Souvenez vous de cette petite phrase : « Cher Monsieur, je suis dans l’obligation de vous dénoncer. Mais ne vous inquiétez pas, je serais là pour vous défendre »… (L'avocat délateur)
Vous le savez, des directives européennes luttant contre le blanchiment d'argent, dont la troisième, de 2005, est en cours de transposition, étendent aux avocats l'obligation de déclaration de soupçon pour certaines interventions.
Peut-on imposer à l'avocat de jouer le rôle d'agent de la poursuite, délateur de son client ?
Il y avait une contradiction évidente entre la lutte contre le blanchiment et la protection du secret professionnel de l’avocat, principe essentiel de la profession qui induit la confiance du client. Cette dérogation au respect du secret professionnel était susceptible de dénaturer les rapports de confiance entre un avocat et son client.
Cette déclaration de soupçon était- elle contraire au principe du procès équitable ? Dans le cadre d’une question préjudicielle posée par les barreaux belges, la CJCE (arrêt du 26 juin 2007 - aff. C 305/05) a répondu par la négative.
Puis, la Cour constitutionnelle belge (arrêt rendu le 23 janvier 2008) a été la première des cours constitutionnelles européenne à porter, à l'occasion de sa transposition, une appréciation sur les dispositions de la troisième directive "anti-blanchiment". Elle a donné raison aux avocats en faisant prévaloir le respect du secret professionnel sur la lutte anti-blanchiment.
En France, une procédure semblable à celle initiée en Belgique était pendante devant le Conseil d'Etat.
Cette décision fort attendue a été rendue, et vient d'être publiée.
Le Conseil d'Etat, dans sa décision du 10 avril 2008, a fait droit au recours de la profession d'avocat en annulant partiellement le décret du 26 juin 2006 pris en application de la loi du 11 février 2004 transposant la deuxième directive blanchiment du 4 décembre 2001.
En premier lieu, il censure la disposition prévoyant que Tracfin pouvait directement demander à l'avocat de lui communiquer des informations sans mettre en œuvre le filtre du bâtonnier (article R. 562-2-2 CMF). Le Conseil d'Etat conforte donc le rôle du bâtonnier et protège la relation de confiance entre l'avocat et son client.
En second lieu, il annule la disposition du décret du 26 juin 2006 qui compromettait le respect du secret professionnel dans le cadre d'une consultation juridique (article R. 563-4 CMF).
Le Conseil d'Etat a jugé que la directive du 4 décembre 2001 devait être interprétée comme obligeant les États à exonérer les avocats des obligations de vigilance et déclaratives qu'elle prévoit lorsqu'ils exercent leurs missions de conseil ou de consultation juridique ainsi que de défense et de représentation en justice qui sont couvertes par le secret professionnel.
Pour autant, lorsque l'avocat prend lui-même part à des activités de blanchiment de capitaux et lorsque sa consultation juridique est fournie à des fins de blanchiment ou qu'il sait que son client souhaite obtenir des conseils juridiques aux fins de blanchiment, les dispositions de la directive du 4 décembre 2001 continueront à s'appliquer. Ces dispositions n'étaient pas contestées.
Cet arrêt, qui fait application des principes européens, est fondamental en ce qu'il définit la portée du secret professionnel de l'avocat en tant que droit absolu de chaque citoyen.
Il fait prévaloir le secret professionnel sur les obligations liées à la lutte contre le blanchiment dans le cadre des activités de consultation juridique et de représentation en justice de l'avocat.
Le législateur, lors de la transposition de la troisième directive blanchiment du 26 octobre 2005, devra tenir compte des principes fondamentaux rappelés par la décision du Conseil d'Etat du 10 avril 2008.
A consulter :
Décision du Conseil d'Etat du 10 avril 2008 au format .pdf
Décision du Conseil d'Etat du 10 avril 2008 au format HTML
Sur le site du Conseil d'Etat, le communiqué de presse : Le Conseil d'Etat annule partiellement le décret du 26 juin 2006 relatif à la lutte contre le blanchiment de capitaux.
Sur le site du CNB : Le Conseil d'Etat fait prévaloir le secret professionnel de l'avocat.
Sur le site du Sénat : Utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux (texte E 2734) Communication de M. Hubert Haenel (Réunion du 1er décembre 2004) Sur tracfin.minefi.gouv.fr : Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins - Le dispositif de déclaration de soupçon Sur le site du Conseil National des Barreaux : OBSERVATIONS & PROPOSITIONS DU CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX SUR LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPEEN ET DU CONSEIL relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux, y compris le financement duterrorisme présentée par la Commission européenne le 30 Juin 2004 (Édition du 19 juillet 2004) (PDF). Sur le même site, la Décision à caractère normatif n° 2007-002 portant adoption d’un règlement relatif aux procédures internes destinées à mettre en œuvre les obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme & Dispositif de contrôle interne destiné à assurer le respect des procédures (PDF).
Sur le site du Monde : Blanchiment : la justice belge défend le secret professionnel des avocats, par Jean-Pierre Stroobants (accès abonnés).
Sur Avocatparis.org : un Communiqué de presse de Christian Charrière-Bournazel, bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris.