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Bien universel, par essence, l'article scientifique, n'est pas un bien comme les autres

Publié le 29 mars 2013 par Cdefi
Les institutions universitaires ne disposent plus de tous les moyens financiers leur permettant de garantir l'équité d'accès à l'information scientifique alors que leurs efforts se concentrent sur la production et la diffusion des découvertes et des nouvelles connaissances.
L'Open Access peut résoudre ce dilemme à condition de repenser le rapport qu'entretiennent les chercheurs et les institutions de recherche avec la diffusion des résultats de la science.
Médias numériques et diffusion des résultats scientifiques par les éditeurs
Les apports des médias numériques ont transformé l'économie de la connaissance et bouleversé l'édition scientifique : accélération de la circulation des idées, accès à la documentation sur le poste de travail du chercheur et traitements possibles sur les grandes masses de données numériques, ont rendu ce secteur plus attractif pour les éditeurs et leurs financeurs et plus intéressant pour le pilotage de la recherche par les pouvoirs publics, au détriment de l'objectif premier de la large diffusion des résultats de la recherche
C'est ainsi que de partenaires scientifiques des chercheurs, certaines sociétés d'édition se transforment en « secteur d'activité rentable pour les investisseurs », avec des marges annuelles pouvant atteindre 28% comme l'annonce Reed Elsevier dans son rapport d'activité 2012.
Conséquence de deux décennies de folle envolée des prix (de 4 à 15% par an), la stratégie de concentration de l'édition scientifique, notamment dans les secteurs des sciences fondamentales, biologiques et technologiques, a radicalement modifié la perception de l'accès à l'information. Les offres d'abonnement sont globales (on parle de bouquets de revues) : le chercheur a le sentiment d'accéder à toutes les connaissances dont il a besoin. Les bibliothèques doivent convertir leurs abonnements en accès à des bouquets, pour des coûts croissants annuellement dans des proportions qui les obligent à suspendre les achats non liés à ces bouquets. Le mécanisme de concentration mais aussi de dispersion de l'édition a pour conséquence la fragilisation d'un très grand nombre d'éditeurs, notamment en Sciences Humaines et Sociales, car ils sont plus souvent frappés par les vagues de désabonnement, en raison de la taille, plus modeste, de leurs catalogues.
Dans le même temps, la raréfaction générale des moyens pousse la puissance publique à subordonner l'attribution de financements aux chercheurs, à des critères de qualité dépendant de la notoriété des revues dans lesquelles sont publiés leurs travaux. Or, si publier dans des revues à haut facteur d'impact devient une stratégie scientifique, toutes les conditions sont réunies pour que le système s'emballe dans une stérile surenchère ayant pour conséquence une surévaluation marchande de ce bien indispensable qu'est l'article scientifique.
Bien universel, par essence, l'article scientifique, n'est pas un bien comme les autres. Hormis pour s'assurer de la qualité scientifique des articles soumis, la validation, par les pairs, devrait être la seule condition à leur diffusion. Or, comme le souligne Yves Gingras, « l'article scientifique change subtilement de rôle, passant d'une contribution à la connaissance à une unitéd'évaluation pour la carrière, les financements, les recrutements. Les éditeurs voient là un potentiel de profit et les chercheurs perdent peu à peu le contrôle sur la diffusion de leurs travaux ».

Tout peut changer avec l'Open Access

Le mouvement pour l'Open Access, porté depuis 20 ans par des chercheurs et des bibliothécaires, encourage les chercheurs à devenir des acteurs de la diffusion ouverte de leurs travaux. Entre dépôt des travaux scientifiques dans des archives ouvertes (green open access) et création de revues ouvertes (gold open access), de grands succès jalonnent ce mouvement : en sciences physiques avec 830 000 dépôts, le Directory of Open Access Repositories, avec plus de 2200 archives ouvertes, le Directory of Open Access Journal avec près de 9000 revues ouvertes et plus modestement, en France, l'archive HAL8 avec 220 000 dépôts.
En France, le consortium Couperin9 s'est prononcé en faveur de l'Open Access et conduit un ensemble d'actions et de projets pour promouvoir l'Open Access auprès de ses membres.
Par exemple, OpenAire, infrastructure de diffusion en libre accès des publications issues des recherches conduites avec des financements européens, est portée depuis 2 ans, en France par Couperin. Le dispositif complémentaire, Open Aire Plus, s'attachera à valoriser, également, les données de la recherche.
Dernières des actions en date, les 5èmesJournées Open Access, co-organisées par Couperin, la CPU, la CGE, la CDEFI et le CNRS, les 24 et 25 janvier 2013, ont fortement marqué le débat car elles ont mis l'accent sur l'importance des politiques publiques et institutionnelles.
Dans le même temps la Bibliothèque Scientifique Numérique, cadre de politique globale pour l'information scientifique et technique en France, instruit, dans le segment BSN4, la politique d'archive ouverte avec la signature de la convention HAL pour une infrastructure d'archive partagée entre tous les établissements de recherche et connectée aux archives institutionnelles ; la BSN4 prépare, également, des éléments pour une politique en faveur de l'Open Access.
Enjeu pour les Etats et pour les institutions universitaires
Le mouvement vers l'Open Access s'accélère avec des prises de position, récentes et majeures.
En juillet 2012, la Commission Européenne a adopté des recommandations, débattues le 19 février 2013 par le Conseil de l'Europe enjoignant les Etats à se doter de politiques Open Access pour conserver et diffuser les publications scientifiques et les données de la recherche.
Le 22 février 2013, la Maison Blanche demande aux agences fédérales de recherche de rendre accessibles les publications et les données de la recherche.
La Ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, Geneviève Fioraso, prend position en indiquant sa volonté d'avancer sur la question de l'open access, une prochaine étape étant la signature de la convention HAL pour rendre l'archive compatible avec les archives institutionnelles et pour en repenser la gouvernance dans une UMS (Unité Mixte de Services).
Plusieurs établissements présentent des politiques institutionnelles fortes (INRIA, IFREMER) avec une obligation de dépôt de leurs publications dans une archive institutionnelle ouverte, mais peu d'établissements universitaires affichent clairement leur position alors que les conférences universitaires (CPU, CGE, CDEFI) souhaitent voir leurs membres s'engager.
Refonder les dispositifs de diffusion de la science
Il s'agit de s'engager dans une transformation profonde et plusieurs verrous sont à l'oeuvre, notamment le glissement du rôle de la publication scientifique, ainsi que la pression exercée par l'éditeur pour l'obtention d'une cession exclusive des droits de publication.
Tous les leviers sont à notre portée : prendre conscience du glissement du rôle de la publication scientifique pour le replacer à sa juste valeur ; diffuser les publications dans des archives ouvertes, se saisir des technologies numériques pour repenser le rôle des acteurs de l'édition et assurer, plus économiquement, le processus de validation des articles et leur publication.
Nombreuses sont les pistes d'actions. Notamment, une réflexion approfondie doit être conduite avec les éditeurs qui jouent un important rôle d'accompagnement des chercheurs et de promotion de leurs travaux ; ceci est particulièrement vrai des nombreux éditeurs en Sciences Humaines et Sociales et les conditions de la transformation de l'édition vers une diffusion ouverte doit être pensée avec eux.
Instruire ces questions, collectivement, dans les institutions universitaires, avec les conseils scientifiques, avec les chercheurs, avec les instances d'évaluation et de financement, avec les pouvoirs publics et avec les éditeurs, est la bonne méthode.
Le consortium Couperin est acteur de cette réflexion et il institue un groupe de travail se donnant pour objectif d'explorer quelques unes de ces pistes : créer les conditions d'un déploiement généralisé des archives ouvertes pour le dépôt des publications et explorer les conditions de la transformation des dispositifs de l'édition vers la publication nativement ouverte.
Portée par les professionnels de l'information, cette réflexion associera les trois Conférences et leurs instances, ainsi que les chercheurs.
Au-delà de l'enjeu scientifique pour la conduite de la recherche, de l'enjeu économique et social pour une meilleure appropriation des résultats de la recherche par la société, l'accès ouvert aux résultats de la recherche représente un enjeu démocratique pour le partage de l'information entre tous les citoyens. Les conférences universitaires se fixent l'ambitieux objectif d'agir, sereinement, et de témoigner de leur engagement car elles se reconnaissent dans les valeurs et les enjeux de l'accès ouvert aux résultats de la recherche.
Contact : Monique Joly, Responsable du Département Etudes et Prospectives de Couperin, [email protected]

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