François Hollande a parlé. Sans changer les positions des uns et des autres. Pourquoi fallait-il espérer autre chose ?
Hollande a parlé. Il y avait suffisamment d'annonces pour occuper les éditocrates du soir lors de ces interminables joutes verbeuses censées décortiquer la forme plus que le fond: la TVA restera à 5,5% pour les constructions de logements sociaux (nécessaire); la participation pourra être partiellement débloquée (classique); les petites retraites seront épargnées d'une réforme qui allongera encore la durée de cotisations (oups!); les allocations familiales seront conditionnées aux revenus (enfin!). Mais surtout, le choc de simplification (drôle) et la fameuse taxe à 75% sur les revenus supérieurs au million d'euros, retoquée par le Conseil constitutionnel, est transférée aux entreprises, une sorte de prélèvement à la source pour les Riches.
Au final, le président promet une pause fiscale, une retenue sur les coupes budgétaires. Et donc la conclusion s'impose: la réduction des déficits sera moins rude que prévue. On devrait se réjouir. Hollande est-il en train de faire un bras d'honneur au couple Barroso/Merkel ?
A droite, on a joué au jeu convenu de l'opposition. Car - croyez-le bien - les ténors de l'ancien clan sarkozyste espéraient que Hollande change de politique jusqu'à adouber leurs fantasmes. Il fallait écouter Laurent Wauquiez couiner quand Hollande promis de conditionner les allocations familiales aux revenus afin d'éviter qu'un cadre à 200K par an touche la même obole qu'un RSAiste. Il fallait entendre François Fillon oser prétendre que François Hollande avait aggraver 5 ans de crise en 10 mois de gouvernance. Le président avait-il aggravé les déficits et découragé l'embauche comme Sarkozy ? Non. Il fallait supporter Jean-Louis Borloo, l'homme de tous les renoncements personnels ou politiques oser réclamer le rétablissement des niches fiscales du personnel de maison.
Il fallait supporter ça et autre chose.
Plus à gauche, la saillie était plus énorme car parfois plus crédible, parfois moins audible. Le weekend précédent l'intervention, quelques esprits s'échauffent. Le Parti de Gauche tient son Congrès, quelques belles idées et puis deux dérapages, trop gros pour être simplement "cru et dru". Le premier émane des médias, un raccourci de l'AFP qui laisse entendre que Jean-Luc Mélenchon aurait eu des propos désobligeants voire franchement antisémite contre Pierre Moscovici. C'était faux, nul et crétin. Le second dérapage est réel et assumé. François Delapierre traite le même ministre de salopard. Durcir les positions, surtout dans le verbe, peut être une bonne tactique. Libération joue les bobos soclib indignés deux jours plus tard. Delapierre puis Mélenchon ne comprennent pas qu'ils ne convaincront aucun Hollandiste sincère à coups d'invectives. Jeudi, l'intervention de Hollande énerve à gauche quelques anciens soutiens: Hollande se serait-il transformé en Schroeder ? Non, mais ça motive de le croire. Et Hollande n'est pas Che Guevara.
Cette prestation est largement suivie, 8 millions de personnes. Son accueil est à l'image du pays: ambigüe, contradictoire, paumée.
Hollande est certes impopulaire, mais cette impopularité est protéiforme. Il ne clive pas le pays autour de sa personne. La droite déteste l'homme plus que sa politique. La gauche déteste sa politique moins que l'homme.
Hollande est certes impopulaire, mais cette impopularité ne cristallise rien. Le pays est enragé mais résigné. Enragé quand on voit la violence verbale qui surgit dès que le clivage peut être net et clair. L'affaire du mariage pour tous est une belle illustration. Cette loi n'est qu'un droit supplémentaire à une catégorie de nos concitoyens qui réclament un mariage que d'autres bafouent allègrement dans l'adultère. Mais la position à son égard est si binaire qu'elle permet des mobilisations-défouloirs hors normes, et l'excitation des réacs de tous poils.
A l'inverse, sur la quasi-totalité des sujets économiques et sociaux du moment, les positions sont plus troublées, les plus binaires ne rassemblent que leurs fidèles. Les réponses - quand elles existent - ne parviennent pas à convaincre. Les alternatives que l'on nous sur-vend ne sont souvent que des incantations.
La France est éparpillée, paumée, hagarde.
On fustige les paradis fiscaux et les banksters. Mais quand il
faut faire le ménage à Chypre, ancien havre de paix de l'argent sale et
des chambres de compensation, certains - les mêmes - s'émeuvent du coût
social et critiquent l'Europe. Mardi, les "17 Salopards" ont heureusement épargné les dépôts modestes (inférieurs à 100 000 euros) d'une taxation exceptionnelle pour renflouer les banques locales. Et la seconde banque du pays sera démembrée et fermée. On casse toujours des oeufs pour faire
une omelettes, grosse révélation...
On croit que l'explosion sociale menace; quelques leaders éructent leur rage contre l'accord MEDEF/CFDT-CFTC, mais les dernières élections professionnelles confortent la place en tête des syndicats réformistes dans le secteur privé. Même la CFTC que l'on croyait condamnée à disparaître s'en sorte avec 9% de suffrages. Et cette représentativité syndicale repose toujours sur un nombre ridicule de votants. Satisfaction de la semaine, Laurence Parisot est virée du MEDEF.
On s'indigne de la politique migratoire conduite par Manuel Valls, insuffisamment humanitaire et généreuse. Mais le sujet n'émerge pas. Même la droite buissonnienne(*) ne parvient plus à mobiliser ses troupes sur le sujet. A son corps défendant, Sarkozy coalisait contre lui avec une facilité contreproductive qui permettait la mobilisation sur des causes nécessaires. Aujourd'hui, l'expulsion indigne de quelques malades étrangers ne mobilise plus grand monde.
On couine contre l'austérité qui n'a pas lieu. On couine aussi contre "le dérapage des comptes publics", quand l'INSEE annonce que le déficit budgétaire l'an dernier était de 4,8% du PIB et non 4,5% comme promis.
Les Invisibles ne s'expriment pas. Ils ne votent même plus, comme dans l'Oise, où le FN fait quasiment jeu égal avec l'UMP sous couvert d'une abstention record dans une législative partielle terminée dimanche.
Résignation ?
Crédit illustration: Do-Zone Parody