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"Symphonie fiduciaire et autres nouvelles" de Nicolas Gracias

Publié le 30 mars 2013 par Francisrichard @francisrichard

Notre époque, peut-être davantage que celles qui ont précédé, donnent des armes aux imaginations fertiles.

En effet, les sciences, en dépit de leurs limites bien connues, traduites en nouvelles technologies, nous ont en effet habitués à l'impossible et ouvert la porte à un surréalisme ordinaire auquel n'auraient même pas pensé les grands esprits de ce mouvement.

Il n'est donc pas étonnant que des nouvelles fantastiques surgissent du cerveau d'écrivains qui s'intéressent à ces nouvelles technologies et à notre monde qui ne semble pas à court d'innovations.

Le titre du recueil de nouvelles de Nicolas Gracias comporte celui d'une de ces nouvelles, Symphonie fiduciaire. Commençons par évoquer celle-ci, bien qu'elle ne soit ni la première ni la dernière du recueil.

Dans cette nouvelle, après s'être fait expliquer les mécanismes de la finance, un compositeur de musique trouve le moyen de transposer en notes les variations des cotations des valeurs boursières. A partir de là il compose une symphonie fiduciaire de commande pour le mariage d'une belle cantatrice avec un magnat de la finance. Encore faut-il qu'un événement déclenche la volatilité des titres pour que cette symphonie unique puisse seulement exister ...

Les autres nouvelles partent d'idées similaires, même si elles ne procèdent pas directement toutes des nouvelles technologies. Elles partent alors de notre humaine condition, confrontée à la surabondance de biens matériels induite par ces technologies et aux grands moments de solitude auxquels conduisent un monde où le virtuel prend une place de plus en plus grande.

Un informaticien de génie invente un jeu virtuel véritablement révolutionnaire dans lequel chaque joueur peut s'identifier et s'impliquer de manière sans précédent, en apportant une solution différente de celle des autres joueurs. La version 3 devrait faire franchir une nouvelle étape en rendant le jeu imprévisible. Mais son inventeur meurt dans un accident d'avion, ce qui ne l'empêche de parachever le jeu ...

Un gardien de phare est confronté à la suspension du temps souhaitée par Lamartine. Le temps des gardiens de phare est révolu. Les nouvelles technologies permettent de se passer d'eux. Le héros de la nouvelle n'en croit pas ses yeux. Un paquebot, qui devrait bouger, ne bouge plus. Les jours de janvier continuent à s'égrener après le 31: 32, 33, 34, etc. jusqu'à 41, mais c'est pour mieux souligner que le temps est devenu immobile...

Aujourd'hui les greffes humaines sont devenues monnaie courante. Ce qui l'est moins est que des êtres humains se décomposent, perdent un à un leurs membres et les reçoivent par la poste. C'est pourtant ce qui arrive à Achiléum Maltère, qui commence par perdre la main et s'adresse à un rebouteux pour la recoller. Les ennuis commencent dès lors et ne sont pas près de se terminer...

La nouvelle qui narre les effets des traumatismes littéraires sur des lecteurs ne pouvait que ravir le lecteur impénitent que je suis. Ainsi ai-je particulièrement apprécié la trouvaille du spécialiste du syndrome de Stendhal, de la proustophobie et autres maladies de bibliothèque. Que celui qui n'a jamais été traumatisé par la lecture obligatoire d'un texte à l'école lève le doigt? Peut-être ne sera-t-il pas fâché d'apprendre qu'un néo-stendhalien dame le pion à un balzacien incurable...

Habiter une grande maison de trois étages, aux vingt-quatre fenêtres, permet de regarder le monde tout autour. A partir de l'une ou l'autre de ces fenêtres, il est possible de contempler les gratte-ciel du centre ville, l'hypermarché, la gare, l'aéroport, la voisine d'en face qui se promène toute nue... Il n'est pas nécessaire de sortir de chez soi pour savoir ce qui se passe à l'extérieur...

D'après les notaires la plupart des successions se passent mal. Les héritiers ne pensent plus du tout à ceux qui leur ont laissé des biens de ce monde. Ils se disputent les restes et c'est souvent bien triste. Et si, en réalité, les parents décédés ne l''étaient pas et que le notaire se prêtait au simulacre de leur disparition?

Il existe de nos jours toutes sortes de syndicats, où des gens unissent leurs solitudes. L'auteur en a déniché un qui n'est pas banal, le syndicat des indécis. Un journaliste s'intéresse à cette association de gens pour qui l'indécision est le credo. Malgré qu'il en aie, il est bientôt saisi à son tour par le doute, avec plein de conséquences, que le lecteur ne peut même pas imaginer...

Entre voisins d'un grand immeuble, il est fréquent de ne pas se connaître vraiment. Les échanges se limitent à bonjour, bonsoir. Quand un voisin ordinaire commence à faire tout à trac des confidences à un voisin tout aussi ordinaire, ce dernier a de quoi s'étonner. En fait il ne finira de s'étonner que lorsqu'il aura enfin compris qu'il s'agissait de la part de son voisin de la politesse du désespoir.

Si vous avez une bonne idée, que, par mégarde, vous la diffusez sur le Net et qu'elle fait un buzz, elle ne vous appartient plus. C'est la mésaventure qui arrive à trois lurons. A six mains ils ont écrit le Manisfeste de Karl Flux, dont ils ont dressé un pastiche de portrait. Ils en sont dépossédé et cette dépossession n'est pas sans effet sur leur personnalité...

Nicolas Gracias, de son propre aveu, dit de ces nouvelles que "toutes traitent du thème de la désincarnation et gravitent autour du fantastique, de l'absurde et du burlesque". Certes, mais, auraient-elles pu être écrites à une autre époque que la nôtre, à l'exception peut-être de celles des héritiers, des indécis et des voisins? Encore que, jamais, semble-t-il, les êtres humains ne se sont sentis aussi désemparés que dans cette société d'abondance, que la crise ne fait même pas disparaître.

Nicolas Gracias sait habilement, et agréablement, nous embarquer dans ses histoires à dormir debout. On y croirait presque. Quoi qu'il en soit, elles donnent matière à réflexion. Ainsi, si la désincarnation est autant symbolique de notre monde, n'est-ce pas parce que la spiritualité n'y occupe pas la place qu'elle devrait y occuper? Les technologies et l'abondance n'en sont pas responsables, quoi qu'on dise. Ce sont les hommes qui le sont, avec l'usage délétère qu'ils en font et auquel rien ne les oblige.

Francis Richard

Symphonie fiduciaire et autres nouvelles, Nicolas Gracias, 184 pages, Xenia


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