Magazine Humeur

381- Seins nus et liberté.

Publié le 30 mars 2013 par Ahmed Hanifi

Seins nus et liberté.
Je suis depuis quelque temps happé par une délicate question que je vous soumets : la lutte pour l’émancipation de l’homme et de la femme ou de la femme et de l’homme, doit-elle tenir compte oui ou non du contexte et de l’Histoire des hommes et des femmes qui la mènent ? Doit-elle être identique partout dans le monde, quels que soient les contextes ?
C’est d’une part la multiplication de messages, sur Facebook notamment, encourageant le dévêtement des femmes tunisiennes, et d’autre part une réaction du cœur de la comédienne tunisienne Leïla Toubel, qui m’ont poussé à y réfléchir un peu plus. Un cri du cœur ainsi adressé à une va-t-en-guerre médiatique française : « La Tunisie n’est pas une femme aux seins nus ! » On ne s’improvise pas défenseur des libertés, des droits des femmes « Quand on a eu la bouche cousue pendant les 23 années de la dictature de Ben Ali (…) Est-ce que vous avez mal pour ‘‘Amina’’ ou est-ce juste la France (…) qui veut choisir– à notre place – nos attitudes, nos positions, nos mots… » En effet. La Tunisie a une Histoire importante et riche. Douloureuse ces dernières décennies. Aujourd’hui elle se bat pour la libération et l’émancipation de ses citoyens avec ses armes, pacifiques. D’aucuns veulent lui imposer un schéma, une sorte de « feuille de route » comme on dit dans les milieux politiques ou stratégiques, une feuille de route à l’image de ses concepteurs (la feuille de route).
Depuis 2008 un phénomène est apparu en Europe. Ce phénomène est encore discuté et discutable. On est pour, on est contre. Ce phénomène est radical. Il use du corps comme d’une arme. Il est né en Europe de l’Est, en Ukraine exactement. Il a pour nom « Femen ». Ses membres sont étonnamment conformes aux standards attendus de la publicité de « la femme libérée », en fait enchaînée. Leurs méthodes sont contestées en Europe même. Le débat est assez vif. Leur combat vise autant la prostitution, la corruption, que la religion. Il est violent parfois. Ses conceptrices elles-mêmes se définissent comme « Sextrêmistes ».
Personnellement, autant je suis pour la libération de toute entrave des femmes et des hommes, autant je suis contre l’assaut systématique d’Occidentaux (en mal de pouvoir ou de carrière), au nom de la liberté, de la démocratie et du féminisme contre les sociétés maghrébines. La liberté et la démocratie pour nombre d’entre eux sont à géométrie variable. Je ne parle pas des gouvernants, il va sans dire - mais surtout de l’élite médiatique et intellectuelle française ethnocentrique. Je dis bien ethnocentrique.
Les nations maghrébines ont une culture, une identité un rythme et un mode d’évolution (tout ceci peut être conjugué au pluriel) qui leurs sont propres. Un souffle qui leur est propre. Ces nations sont pétries d’une Histoire qui est la leur. Ni meilleure ni mauvaise. Qu’il faut respecter. Plaquer des schémas importés, des feuilles de route, comme on plaque à nos besoins des téléphones portables, risque de rouiller ces sociétés, de les faire trébucher. Montrer ses seins nus sur Facebook, devant les caméras ou ailleurs, serait révolutionnaire. Beaucoup trop facile. Je veux dire, qu’ici en France et généralement en Europe, nous sommes abreuvés d’images proposant une savonnette ou un biscuit concomitamment avec le corps dénudé de femmes à longueur de journée (corps à notre théorique disposition), corps dénudés de femmes et corps suggestifs de mineurs sur papier glacé d’hebdomadaires écoeurants. Cela est dégradant, choquant, révoltant, mais cela n’émeut personne. Le commerce doit passer, y compris par le corps des femmes dénudées. Normal.
Il ne s’agit nullement de tout rejeter en bloc. Je ne dis absolument pas cela. Je dis que les sociétés maghrébines ne se sont construites sur une histoire et une pensée grecques que très anecdotiquement (Hiarbas plus que Didon à cet égard) et indirectement, alors qu’entre les Européens d’aujourd’hui et les Grecs anciens il y a un quasi-continuum. « Notre socle est gréco-romain » cocoricoquent nombre d’entre eux.
La société française elle-même a évolué, mais parfois dans un sens qu’on aurait qualifié il y a 35 ans de « rétrograde ». Jugez : quelle perception avaient les Français (surtout l’élite intellectuelle et médiatique française) durant le grand bazar des années soixante et soixante-dix sur la protection des enfants ? Je me souviens qu’à l’époque on militait, au nom du combat contre l’ordre établi et pour les libertés, pour que la sexualité concerne aussi les enfants. Comme tout le monde (le monde « in », branché aujourd’hui) je lisais le tout jeune « Libé » et je m’efforçais de me confectionner une image-reflet de mon journal. Mais cette question me dépassait, la guerre fratricide que se livraient le Maroc et l’Algérie me préoccupait plus que tout. Je ne pipais mot des mœurs françaises. C’eût été ringard de donner un avis opposé (on ne disait pas « ringard » à cette époque). Je me taisais donc. Avec quelques copains Maghrébins on gloussait, on désapprouvait entre nous, mais rien de plus. En Algérie, au Maroc comme en Tunisie, certains osaient s’insurger, mais ils étaient ici ignorés. Quantité négligeable. Aujourd’hui le moindre regard porté sur un enfant peut être sujet à interprétation, à risque. La pédophilie s’est substituée au mal absolu, alors même que par ailleurs la pornographie est conseillée aux mineurs par certains « spécialistes ».
Pour revenir à la question du combat des féministes, on intime l’ordre aux militants Maghrébins (Tunisiens) sous peine d’être stigmatisés du sceau de l’arriérisme ou de l’intégrisme, on leur intime l’ordre de manifester leurs soutiens plutôt aux seins nus qu’au combat des femmes en général pour leur dignité, dans leurs contextes, dans leur Histoire. Se promener sur Facebook, seins nus ou comme le dit Leïla Toubel « mettre du rouge à lèvres est insuffisant. Notre combat est avant tout un combat pour tous, hommes et femmes, pour le travail, la dignité, la liberté ». Dans cet ordre et pour tous. La liberté n’est pas dans le mimétisme irréfléchi et inconséquent. Il n’y a certes qu’une liberté, mais il y va de la liberté comme de Rome, plusieurs chemins y mènent. Je crains que montrer ses attributs de femme ou d’homme ne soit le meilleur.
Ahmed Hanifi, Marseille, le 30 mars 2013
Voilà un exemple de la « culture de masse » que les médias français (et pas que) veulent nous imposer. L’imbécillité au summum de la distraction, de la culture ou de la pensée. Celles qu’on veut nous imposer. Et demain semble promis à un avenir encore plus sombre. Il est vrai que cette débilité est recherchée, imposée même par ceux qui sont en charge des médias, de la télévision en l’occurrence. Vous souvenez-vous de ce que disait Patrick Le Lay, PDG de TF1 juillet 2004 ?:

« Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective ”business”, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit (...) Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. »

(On : Acrimed)Abjecte. Le pire, c’est que dans leurs pitoyables tentatives mimétiques, des journalistes de la presse algérienne reprennent ce type de connerie (pardon), peut être pour cour cacher le désert intellectuel que les journaux algériens encouragent par leurs censures de l’expression. video
----------- Origine de ce “buzz”
La jeune Suissesse de 20 ans, héroïne des Anges de la téléréalité sur NRJ12, fait le buzz depuis quelques jours et la diffusion d'une phrase désormais culte.
Elle est grande, brune et aime porter des bikinis légèrement trop petits pour elle. Elle, c'est Nabilla. Vous ne la connaissez pas ? Impossible ! Vos ados, vos collègues ou vos amis s'amusent de son désormais culte "Allo ? Non mais allo quoi ? T'es une fille et t'as pas de shampoing ?", prononcé lors d'un épisode de la 5e saison des Anges de la Téléréalité, diffusé sur NRJ12 la semaine dernière. Non, vraiment, ça ne vous dit rien ? Explication. Le concept de l'émission : une dizaine d'anciens candidats "qui ont marqué l'histoire de la téléréalité en France" dixit le générique, s'envolent pour les Etats-Unis afin de réaliser des projets professionnels. La jeune Suissesse de 20 ans, repérée dans "L'Amour est aveugle" sur TF1, y participe pour la deuxième fois. Son objectif : devenir un modèle reconnu aux Etats-Unis, une "It Girl" et faire la couverture de magazines, comme son idole Kim Kardashian. (…) On : http://lci.tf1.fr/insolite ----------------
"Ne stigmatisons pas les musulmans !"
A l'heure où nous traversons une crise économique et sociale de grande ampleur, la haine et le rejet s'expriment de plus en plus ouvertement à travers l'Europe ; force est de constater que la classe politique française ne prend pas suffisamment la mesure d'une forme de racisme qui se manifeste désormais librement dès lors qu'elle se dissimule sous les atours d'une laïcité dévoyée de son sens historique, pour en faire, entre autres, un outil de stigmatisation et d'exclusion des musulmanes et des musulmans.
La laïcité par laquelle, selon l'article 1 de la loi de 1905, la République "assure la liberté de conscience" et "garantit le libre exercice des cultes", dans le respect mutuel des appartenances et l'égalité de toutes les croyances devant l'Etat, se retrouve détournée au profit d'une vision clivante, légitimant le rejet de l'Autre en prétendant participer à l'émancipation des personnes.
Il semble plus que jamais nécessaire de rappeler une vérité élémentaire : il n'existe pas de laïcité réelle sans liberté. Or cette liberté ne peut exister sans respect de la différence. Il s'agit ici de droits fondamentaux, établis par la loi de 1905, la Déclaration universelle des droits de l'homme ainsi que la Convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales.
Le devoir de neutralité, tel qu'invoqué par les tenants d'une laïcité d'exclusion, est la négation de toute forme de diversité. Il n'est ni plus ni moins qu'une censure de l'expression d'un choix, en l'occurrence religieux.
Dès lors, nous voulons réaffirmer notre volonté de vivre et d'évoluer dans une société où la différence est reconnue comme une richesse et où le respect de chacun, dans tout ce qui fait sa singularité, est une valeur centrale, en accord avec les droits humains tels qu'y souscrit notre pays.
Nous attendons de nos maires, de nos députés, de nos ministres et du président de la République, qu'ils soient les garants de ces droits, sans jamais céder à la tentation autoritaire de ceux qui voudraient, aujourd'hui comme hier, mettre à l'index des individus ou une communauté.
SURENCHÈRE LÉGISLATIVE
Plutôt que de se lancer dans une surenchère législative qui viendra, une fois de plus, restreindre les libertés fondamentales au mépris des dispositions du droit positif, national et international, nous proposons de faire un état des lieux du développement de l'islamophobie en France.
Une commission parlementaire réunie sur ce sujet pourra étudier les dérives auxquelles a donné lieu l'instrumentalisation de l'identité nationale, des luttes féministes et de la laïcité, et prendre la mesure du racisme, voire de la haine, qui visent aujourd'hui nos concitoyens musulmans, ou perçus comme tels. Une telle commission devra également être pluraliste, indépendante, ouverte sur la société civile et capable de dresser un bilan objectif de la politique menée durant les dernières années.
Intellectuels, universitaires, élu(e)s, cadres associatifs, journalistes, artistes ou simples citoyen(ne)s, nous voulons croire que dans la France de 2013 il existe encore des responsables politiques capables d'être à la hauteur de ces enjeux, de se prononcer et d'agir clairement et efficacement contre le racisme et les discriminations.
Par un collectif d'intellectuels
Liste des signataires
Armelle Andro, démographe, Paris 1 ; Valérie Amiraux, sociologue, Université de Montréal ; Houssen Amode, chevalier de la Légion d'Honneur, président de l'association musulmane de la Réunion ; Jean Baubérot, historien et sociologue ; Laure Bereni, sociologue ; Christophe Bertossi, sociologue, directeur du Centre Migrations et Citoyennetés, IFRI, Paris ; François Burgat, politologue ; Samy Debah, professeur d'histoire, président du CCIF ; Dominique de Courcelles, chercheur en histoire comparée des religions, CNRS-CIRID ; Bruno Cousin, sociologue, maître de conférences à l'Université de Lille 1 ; Christine Delphy, sociologue, ENS ; Rokhaya Diallo, essayiste et chroniqueuse ; Abdelhak Eddouk, aumonier ; Renaud Epstein, politiste, Université de Nantes ; Nabil Ennasri, doctorant et écrivain ; Mireille Fanon-Mendès France, Experte ONU ; Eric Fassin, sociologue, Paris 8 ; Veysel Filiz, secrétaire général d'EMISCO ; Virginie Gautron, maître de conférences en droit pénal et sciences criminelles, Université de Nantes ; Virginie Guiraudon, politiste, CNRS et Sciences Po Paris ; Vincent Geisser, président du CIEMI ; Nacira Guénif, sociologue et anthropologue ; Abdellali Hajjat, sociologue ; Stéphanie Hennette-Vauchez, juriste, Université Paris Ouest Nanterre ; Jean-Marie Heydt, président de la conférence INGO du Conseil de l'Europe ; Noémie Houard, chercheuse associée au Centre de recherches politiques de Sciences Po ; Thomas Kirszbaum, sociologue, ENS Cachan ; Pierre Lenel, sociologue, Think Tank Different ; Raphaël Liogier, sociologue ; Françoise Lorcerie, CNRS ; Grégoire Mallard, sociologue ; Jean-Paul Martin, historien ; Virginie Martin, politologue, présidente de Think Tank Different ; Zaouia Meriem, syndicaliste ; Kamel Meziti, historien des religions, secrétaire général du Gric ; Marwan Mohammed, sociologue ; Marwan Muhammad, statisticien, porte parole du CCIF ; Catherine Samary, économiste, militante altermondialiste ; Frédéric Sarkis, conseiller municipal EELV, membre fondateur de la coopérative "laïcité n'est pas racisme!" ; Madjid SI Hocine, médecin, animateur de l'Egalité d'abord ; Patrick Simon, démographe, INED ; Sihem Souid, chroniqueuse ; Djamel Djeziri, chercheur en gnostique et Consultant-dirigeant en Management ; Line Sultani, chef d'entreprise ; Pierre Tevanian, professeur de philosophie, auteur ; Tommaso Vitale, sociologue, Centre d'études européennes, Sciences Po, directeur scientifique du Master "Governing the Large Metropolis" ; Valentine Zuber, Ecole Pratique des Hautes Etudes.
On : http://www.lemonde.fr/idees
28 mars 2013
J'adhère.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, il ne s'agit pas pour moi de faire l'apologie du Haïk (lire l'article de Akram B.), NON. Si j'ai mis ces photos sur mon blog (et je l'ai bien précisé y compris en intégrant des photos "d'ailleurs") c'est pour dire qu'en Algérie un vêtement propre à de nombreuses femmes du pays a été remplacé à cause de pressions nombreuses des islamistes intolérants, par un habit qui est étranger à l'Algérie. C'est tout. Retrouver cet habit traditionnel, propre aux Algériennes, et ancestral, est préférable aux nikabs et autres voiles venus d'autres contrées, loin de notre pays.
Le Haïk n'est pas synonyme de liberté pour la femme (encore que.... durant la période coloniale il le fut d'une certaine manière).
 Le Haïk n'est pas l'idéal, mais à deux habits plus ou moins identiques, je préfère de loin, celui qui nous est le plus accessible.
Et puis, cette "journée du Haïk", revendique une authenticité de l'Algérie, et le voile n'est qu'un élément de cette authenticité. la journée "Haïk" sert à cela également.

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...Ni haïk, ni hidjab, ni seins à l’air Il fut un temps où l’Algérie indépendante entendait dévoiler ses femmes. Bien sûr, la méthode n’était pas celle, brutale, qui fut utilisée, un temps et en vain, par le colonisateur à la fin des années cinquante. Non, il s’agissait de progressisme volontariste, l’objectif étant de donner aux Algériennes les mêmes droits que les hommes. Les deux premières décennies de l’Algérie indépendante furent donc, vaille que vaille, celles de la mixité, des têtes découvertes et des jupes plus ou moins courtes. Puis, vint la régression que nous connaissons aujourd’hui avec ses voiles imposés par des prédicateurs influencés par le Machrek et le Golfe. Dernièrement, et pour dénoncer cela, des femmes ont défilé à Alger habillées du haïk traditionnel. Une petite vaguelette blanche qui a fait beaucoup parler d’elle et dont l’objectif était de revendiquer une authenticité bien algérienne face aux hidjabs, niqabs et autres djelbabs. On pourrait applaudir à cet acte de résistance contre la propagation dans le pays de ces accoutrements étrangers et d’un autre âge (à ce sujet, les hommes pourraient aussi se pavaner à leur tour en seroual loubia pour dire tout le mal qu’ils pensent de la tenue kamiss-claquettes). Le problème, c’est qu’on ne lutte pas contre une régression par une autre régression. En clair, le haïk n’est pas la solution, bien au contraire. Il faut même se demander si le hidjab ne lui est pas préférable car, au moins, il ne cache pas le visage de la femme et la laisse plus libre de ses mouvements. Mais n’entrons pas dans ce genre de raisonnement, il ferait trop plaisir aux conservateurs qui savent servir à merveille ce genre d’arguments spécieux. Non, le vrai objectif est de faire en sorte que les Algériennes aient les mêmes droits que les Algériens. Une égalité qui passe par l’abrogation du Code de la famille que plus personne ne semble réclamer. Il est vrai que certaines de ses anciennes contemptrices sont désormais ti- rées d’affaire, ayant accédé à de hautes fonctions ou sévissant au sein de l’Assemblée nationale. Oui, défendre l’égalité homme- femme, c’est dire haut et fort qu’il faut interdire la polygamie, qu’il faut légiférer sur l’égalité d’accès à l’emploi, qu’il faut criminaliser les violences conjugales et qu’il faut mettre fin au scandale honteux de la répudiation et des femmes mises à la porte de chez elle par la simple volonté masculine. C’est reprendre le combat de nos aînées, leur dire que ce qu’elles réclamaient n’était pas utopique car un peuple qui bride et brime une part de lui-même ne s’en sortira jamais. C’est aussi commencer le combat à la maison, dans la cellule familiale, pour que les pères mais aussi les mères – qui sont trop souvent les outils de répression de leurs propres filles – fassent en sorte que les frères aient les mêmes devoirs que leurs sœurs, notamment en ce qui con- cerne les tâches ménagères, et que ces mêmes sœurs aient les mêmes libertés que leurs frères. Bien entendu, ce n’est pas facile, ce n’est pas évident dans une société à la fois patriarcale, méditerranéenne et musulmane. Mais là est le vrai combat. Il n’est pas dans l’exhumation d’un bout de tissu blanc aussi dentelé et fin soit-il... Cette petite manifestation en faveur du haïk témoigne de cette confusion et de cette ab- sence de discernement propres à nos sociétés. Le manque de cul- ture politique, la volonté de frap- per les esprits par le biais du buzz médiatique en sont responsables mais aussi l’égotisme, véritable maladie de ce début de siècle comme le montre l’explosion des réseaux sociaux sur internet où chacun raconte sa vie dans les moindres détails comme s’il s’agissait d’une aventure extra- ordinaire. Mais, ce genre d’actions fait rarement avancer les choses et seul compte le travail de fond et de proximité. Et, avec lui, l’explication, et l’argumentation. Cela vaut pour ces jeunes femmes arabes qui empruntent le sillage des Femen ukrainiennes en exhibant leurs poitrines nues pour revendiquer leurs droits et faire passer un message féministe et anti-intégriste. Sans surprise, ce mode d’action a les faveurs élogieuses des médias occidentaux et de leurs chroniqueurs en mal d’engagements (que feraient-ils d’ailleurs si le monde arabe n’existait pas ?).
Mais il faut vraiment être naïf – ou cynique – pour affirmer qu’une poitrine nue peut changer les choses. Bien sûr, cela offre une petite notoriété, un visa pour l’Europe, peut-être même un prix d’une quelconque fondation humaniste avec à la clé une rétribution bienvenue. Cela donne lieu à un moment de célébrité warholien et contribue à alimenter en sujets l’industrie française de l’indignation et des mobilisations sélectives. Car, il y a celle qui enlève le haut et celles et ceux qui s’inquiètent et tempêtent pour elle, ce qui leur offre aussi, le moment de célébrité... Mais, tout cela ne fera certainement pas disparaître le machisme et la misogynie en Algérie, Tunisie ou ailleurs dans le monde arabo- musulman. Une poitrine à l’air avec inscrit sur elle un mes- sage politique ? Les intégristes y trouvent matière à fulminer et à menacer, les imams une occasion pour donner de la fatwa rétrograde et la majorité silencieuse, celle qui, demain, pourrait enfin comprendre pourquoi l’égalité entre les hommes et les femmes est si vitale, va se demander si tout cela est bien sérieux. Comme je l’ai déjà écrit dans un texte récent (1): n’est pas Lady Godiva qui veut. Et ces néo-militantes seraient mieux inspirées de s’en retourner vers des modes d’actions plus classiques, certes moins spectaculaires et moins susceptibles de les rendre célèbres, mais, à terme, bien plus efficaces à l’image du « Grassroots commitment » cher aux sociétés civiles anglo-saxonnes. La cause des femmes est une affaire trop sérieuse pour être réduite à ce genre d’actions, certes risquées et dangereuses, mais néanmoins guignolesques et narcissiques... ----------- Akram Belkaïd Le Quotidien d’Oran, 28 mars 2013
(1) : Rapide rappel historique: selon la légende, vers l’an 1000, Lady Godiva, une aristocrate saxonne, aurait chevauché nue à travers la ville de Coventry, pour obliger le comte Léofric, son seigneur de mari, à baisser les impôts imposés à la population pour financer ses guerres. Depuis, à travers l’histoire, on retrouve de manière régulière des femmes qui se revendiquent de celle qui, vêtue uniquement de ses longs cheveux, aurait finalement obtenu gain de cause. Ainsi, en Ukraine comme en Russie sans oublier Notre-Dame des Landes en France, Lady Godiva est la lointaine inspiratrice de ces militantes qui exposent leurs corps —notamment leur poitrine— pour des motifs politiques. On : Lignes quotidiennes, lundi 31 décembre 2012 et : www.slateafrique.com

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