La gauche ne peut pas apporter des réponses de droite à des questions de gauche! Illustration: l’accord national interprofessionnel, signé par le Medef, la CFDT, la CFTC et la CGC... transformé en loi?
«La nouvelle conjoncture de l’emploi creuse les disparités au détriment des strates inférieures du salariat ; depuis la “crise”, de nouvelles inégalités se sont creusées.» Le regretté Robert Castel, dès 2009, dans ''la Montée des incertitudes'', l’un de ses ouvrages les plus fameux, nous invitait à l’acuité du regard face aux bouleversements du monde financiarisé, qui, disait-il, «amplifieraient une insécurité sociale aux visages multiples et frapperaient plus durement les catégories déjà placées “au bas de l’échelle sociale”, accroissant leur subordination». Les sociologues ne sont pas des prophètes – parfois des visionnaires. Nous avons beau retourner dans tous les sens le contenu de l’accord national interprofessionnel (ANI), signé par le Medef, la CFDT, la CFTC et la CGC, nous ne lisons en germes que ce que redoutait le plus Robert Castel, «le chemin de l’atomisation sociale, la décollectivisation, la désaffiliation», bref, «la montée d’un individualisme lié à un détachement des appartenances et des valeurs collectives»…
Depuis mardi 2 avril, ce qui se discute à l’Assemblée nationale est au moins de ce niveau-là. Les députés ont en effet engagé l’examen du projet de loi dit de «sécurisation de l’emploi» qui vise à retranscrire dans la loi le texte de l’ANI tel qu’il est. Le souhait du gouvernement? Que les parlementaires, qui disposent pourtant du droit constitutionnel, s’effacent derrière l’accord signé par le patronat et quelques syndicats, en somme, qu’ils se courbent devant le pouvoir économique. Pour y parvenir, une procédure «accélérée» a été privilégiée, une seule lecture dans les deux chambres, le tout bouclé en moins d’un mois… C’est peu, bien peu pour un texte concernant 23 millions de salariés, qui, s’il était adopté en l’état, institutionnaliserait la flexibilité comme atout principal de l’emploi, livrant à la représentation libérale une victoire dramatique, alors que capitalisme financiarisé nous plonge dans un cycle violent d’austérité, de récession et de creusement des inégalités. Ce serait le chantage à l’emploi permanent, la remise en cause de la hiérarchie des normes, la renégociation à tout moment des modalités du contrat de travail, la mobilité imposée, l’accélération des procédures de licenciements collectifs, l’accès à la justice rendu plus compliqué, ce qui, par exemple, aurait empêché la noble lutte des Fralib… on en passe et des meilleurs!
Face à ce désastre annoncé, des parlementaires communistes et du Front de gauche entendent bien montrer que la gauche ne peut pas apporter des réponses de droite à des questions de gauche. Mais, n’en déplaise à Hollande et Ayrault, ils ne seront pas seuls! Nombreux sont les élus socialistes ou écologistes qui souhaiteraient améliorer le texte, en tenant compte de l’opinion de la CGT et de FO. Mais les laissera-t-on « libres » de créer des convergences avec les élus du Front de gauche ? Une chose est sûre : socialistes et écologistes ne se tiennent pas comme un seul homme derrière ce texte législatif, pierre de voûte du dispositif social-libéral imaginé par le chef de l’État et les tenants du « There Is No Alternative ». À ce propos : le porte-parole du groupe socialiste, Thierry Mandon, aurait pu s’abstenir, dès l'ouverture des débats, mardi à l'Assemblée, d’adresser un hommage appuyé à la présidente du Medef… Car, contrairement à Madame Parisot ou Messieurs Copé, Fillon et Raffarin – ça laisse songeur! –, de plus en plus de militants et d’organisations se mobilisent pour que l’accord ne soit pas voté en l’état. Il n’est donc pas trop tard pour imposer, par une pédagogie collective et massive, un débat critique et renversant qui dépasse l’arrière-plan du «grondement de la bataille», comme disait Michel Foucault.