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15 avril 2008
Restriction drastique d'accès aux archives historiques
Ca se passe en France aujourd'hui, toute ressemblance avec l'URSS de jadis n'est pas fortuite : Le Sénat a adopté en première lecture un projet de loi relatif aux archives et l'Assemblée nationale votera le 29 avril prochain. Les chercheurs, historiens, universitaires ou particuliers sont particulièrement inquiets et on les comprend (voir l'historique ici).
La nouvelle loi impose en effet des nouveautés très importantes.
La première, une nouvelle catégorie d'archives "incommunicables". Extraits d'un communiqué :
"La création d'une nouvelle catégorie d'archives : les archives incommunicables. Elles pourront ne jamais être communiquées au nom de la " sécurité nationale " (armes biologiques) et de la "sécurité des personnes", certainement immortelles. Il y a une contradiction dans les termes du texte, qui ne permet pas de comprendre quelles sont les intentions du législateur.
Il est dit :
Art. L213-1 : "Les archives publiques sont [...] communicables de plein droit" et L 231-2 : " il existe des archives qui "ne peuvent être consultées" ". Cet article 213-2 n'a pas de raison d'être, car :
1- les informations permettant de concevoir des armes biologiques ou de destruction de masse sont nécessairement récentes ; or celles-ci sont déjà couvertes par l'art. 213-2 I 3° ;
2- les informations de nature à compromettre la sécurité des personnes sont déjà visées par le 213-2 I 4°.
De plus, ce projet de loi prévoit une réduction très sensible de l'accès à des archives, dont certaines sont déjà dans le domaine public, par la création du "secret statistique" (8 fois cité dans le texte de loi) et par l'allongement à 75 ans de l'ouverture (ou réouverture) de certaines archives :
" Un nouveau délai, fixé à soixante-quinze ans, est créé, fondé sur une extension de la notion de protection de la vie privée, visant la plupart des archives publiques (Art. L. 213-2-4). Il y a ici amalgame entre la " protection de la vie privée " (celle-ci n'étant pas plus définie) et le fait de rendre publique "une appréciation ou un jugement de valeur", catégories particulièrement floues.
Ou pire, le fait de "faire apparaître le comportement d'une personne dans des conditions susceptibles de lui porter préjudice". Pratiquement tous les dossiers d'archives publiques, tels les rapports de préfets, les rapports et archives de police, contiennent des jugements de ce type. Qui décidera -et sur quels critères- ce qui doit être ouvert alors ?
Fixer la barre à 75 ans, conduirait de plus à refermer de nombreux dossiers ouverts depuis 15 ans. Verra-t-on se de refermer pour quelques années les études sur le Front populaire, la 2e Guerre mondiale et Vichy, ou celles sur la guerre froide qui commençaient à s'ouvrir librement ? Certes, restent les dérogations, mais c'est placer les chercheurs sous le sceau du privilège individuel pour 25 ans de plus".
"L'Association des usagers du service public des Archives nationales" a rendu publique une adresse et une pétition à destination des députés.
La colère des spécialistes et des amoureux de l'histoire semble légitime mais aussi les nombreux questionnements sur les raisons réelles de ce silence définitif ou presque, imposé à une période si intéressante de l'histoire et dont on nous dit qu'il faut en faire un devoir de mémoire. Celui-ci devrait-il être aveugle?
Posté le 15 avril 2008 à 22h06 par Lahire | Catégorie(s): France : Société
Commentaires
Le secret statistique n'est ni une nouveauté ni un scandale : il existe depuis la loi de 1951 et permet de protéger les informations personnelles recueillies dans le cadre des recensements de population. Cela fait plus de 50 ans que nous vivons avec. Ce n'est pas ça le problème.
Le problème, c'est que qu'en même temps qu'il revient sur la communicabilité de nombreux dossiers déjà libres pour protéger quelques informations sensibles (données nucléaires, notamment, qui peuvent relever de l'actuel secret-défense à 60 ans) le projet de loi opère des reculs sur la protection des données personnelles, qui seront beaucoup plus facile d'accès à n'importe qui : la loi ne parle même plus du secret de la vie privée garanti par la loi, mais seulement de "protection" et instaure d'emblée des cas ou l'administration pourra révéler ces informations si l'atteinte aux droits de la personne n'est pas "excessive" : qui va juger de ce caractère pas "excessif" ? L'administration ? sans avis des personnes concernées ? de quel droit ? avec quelles conséquences ? Ou est la liberté personnelle dans tout ça ? Bien loin, bien loin ....
On cède avec beaucoup trop de facilité dans le texte proposé et amendé par les assemblées au lobby des généalogistes, qui s'introduisent ainsi dans la vie de chacun sans leur avis et contre leur volonté (vos données familiales, le niveau de votre fortune, vos biens, vos antécédents génétiques, tout cela intéresse les généalogistes, mais aussi les compagnies d'assurance, les employeurs, les publicitaires ... ).
Qu'une loi d'archives crée aussi des données "jamais communicables" est également scandaleux. Cela a un parfum de lettre de cachet tout à fait stupéfiant à notre époque.
Les archives ne sont plus non plus inaliénables ce qui était le cas dans la loi de 1979 : cela autorise des pratiques qui seront dommageables pour le patrimoine en permettant qu'on vende ou qu'on cède des archives déjà conservées. Ouvrir les archives à un marché de l'autographe et de la "belle pièce" sera très grave : on aura une spéculation qui est faible pour le moment et seules les plus riches pourront acheter des archives (bref, il faut s'attendre à une exportation importante des archives françaises vers les université américaines et les collectionneurs chinois qui se moquent totalement du public).
Les archives ne sont pas des pièces de collections isolées qu'on peut disperser comme ça : pour garder leur intérêt et leur sens, elles ont besoin de rester groupées en fonds d'archives et non pas d'être dispersées par les marchands. Disperser des archives, c'est comme vendre un livre ou un vêtement en petits morceaux.
Les archivistes, qui reconnaissent certes les avancées contenues dans le projet de loi, sont catastrophés par ces propositions qui vont à l'encontre de toute leur pratique depuis trente ans et qui assombrissent considérablement l'avenir de leur mission.
Par exemple, aucune étude d'impact n'a été faite pour mesure les conséquence de l'ouverture de certaines archives (notaires, justice) : aucun bâtiment d'archives actuel ne pourra supporter la masse d'archives qui sera alors remises par les études notariales et les tribunaux pressés de se débarasser de leurs archives et d'éviter d'avoir à recevoir du public.
Certaines dispositions en matière de communicabilité des archives sont inapplicables.
Cet affaiblissement du service public d'archives est volontaire, et à mettre en parallèle avec la suppression de la Direction des Archives de France au ministère de la culture et l'abaissement du niveau de compétence des archivistes, y compris des conservateurs, auquels l'Etat impose désormais un triple cursus classe préparatoire/concours, scolarité et thèse de Ecole des chartes et institut du patrimoine, pour les classer misérablement à bac+3 à l'entrée de l'INP, cette espèce de mini-ENA de la culture :
- privatisation recherchée des archives : certains prestataires comptent retirer un maximum de bénéfice de cela sans aucune avancée sérieuse pour l'accès par le grand public (bien au contraire, tout cela est et sera payant, et cher encore ... Seul le service public d'archives doit procurer l'accès gratuit aux archives, quel que soit l'investissement réalisé pour ménager cet accès ....
- confiscation des informations : extrêmement marqué par les seules préoccupations des Archives nationales, le projet de loi ne dit rien sur l'absence totale d'implication de l'Etat dans la conservation de ses propres archives, au niveau des préfectures et de services territoriaux de l'Etat et la dématérialisation cafouilleuse dans laquelle ils prétendent se lancer sans méthode et sans aucun souci de préserver les données numériques que vont désormais devenir les archives, y compris les archives historiques. L'Etat cède à la vanité de l'affichage (regardez mon beau logiciel, ma belle dématérialisation) et compromet sciemment la conservation future des archives en refusant de gérer ces nouvelles données avec les archivistes en refusant tout accès public futur à des données qui sont créées et gérées sans aucun contrôle extérieur (fichier STC, ficher ARDOISE, etc.)
La collecte des archives historiques est compromise et dépendra à l'avenir de bases de données dont la conservation à long terme n'est même pas envisagée et de de stockeurs d'archives privés, peu enclins à conserver du patrimoine historique mais très contents de monnayer du stockage le plus longtemps possible : qui paiera le traitement et le déstokage des archives publiques à valeur historique qu'il faudra aller chercher dans les sociétés de stockage privées ? Les services d'archives qui collectaient gratuitement ces archives et qui en assuraient auparavant la conservation GRATUITEMENT pour l'Etat et les organismes publics, les frais étant pris en charge par le conseils généraux depuis toujours et par les communes qui entretiennent des services d'archives municipaux ????
La conservation des archives historiques se fait en réseau de façon assez satisfaisante depuis des années, avec des méthodes et des outils de travail archivistiques éprouvés (c'est l'administration qui pose problème et qui NE VEUT PAS gérer ses propres archives, même pour les remettre aux archivistes)
On compromet actuellement ce réseau à coup de réformes mal maitrisées et en niant totalement le travail réalisé et les compétences des archivistes, sans plus aucune réflexion à l'échelle de tout un pays.
Les archivistes ont forgé toute la doctrine et toutes les méthodes pour assurer la conservation des archives papier et électroniques.
Ce sont les premiers (et depuis longtemps) à tirer la sonnette d'alarme sur les conséquences des évolutions actuelles et les plus soucieux des enjeux qu'il y à prendre en charge correctement ces archives.
La volonté d'effacement de leur métier et de leurs compétences alors même qu'on ne parle que d'archivage électronique est plus qu'inquiétante et révèle des tendances qui s'éloignent d'un fonctionnement démocratique.
Un archiviste et un citoyen attentif
Association des archivistes français : http://www.archivistes.org
Rédigé par : Archiviste | 16 avr 2008 07:13:16
Le secret statistique n'est ni une nouveauté ni un scandale : il existe depuis la loi de 1951 et permet de protéger les informations personnelles recueillies dans le cadre des recensements de population. Cela fait plus de 50 ans que nous vivons avec. Ce n'est pas ça le problème.
Le problème, c'est que qu'en même temps qu'il revient sur la communicabilité de nombreux dossiers déjà libres pour protéger quelques informations sensibles (données nucléaires, notamment, qui peuvent relever de l'actuel secret-défense à 60 ans) le projet de loi opère des reculs sur la protection des données personnelles, qui seront beaucoup plus facile d'accès à n'importe qui : la loi ne parle même plus du secret de la vie privée garanti par la loi, mais seulement de "protection" et instaure d'emblée des cas ou l'administration pourra révéler ces informations si l'atteinte aux droits de la personne n'est pas "excessive" : qui va juger de ce caractère pas "excessif" ? L'administration ? sans avis des personnes concernées ? de quel droit ? avec quelles conséquences ? Ou est la liberté personnelle dans tout ça ? Bien loin, bien loin ....
On cède avec beaucoup trop de facilité dans le texte proposé et amendé par les assemblées au lobby des généalogistes, qui s'introduisent ainsi dans la vie de chacun sans leur avis et contre leur volonté (vos données familiales, le niveau de votre fortune, vos biens, vos antécédents génétiques, tout cela intéresse les généalogistes, mais aussi les compagnies d'assurance, les employeurs, les publicitaires ... ).
Qu'une loi d'archives crée aussi des données "jamais communicables" est également scandaleux. Cela a un parfum de lettre de cachet tout à fait stupéfiant à notre époque.
Les archives ne sont plus non plus inaliénables ce qui était le cas dans la loi de 1979 : cela autorise des pratiques qui seront dommageables pour le patrimoine en permettant qu'on vende ou qu'on cède des archives déjà conservées. Ouvrir les archives à un marché de l'autographe et de la "belle pièce" sera très grave : on aura une spéculation qui est faible pour le moment et seules les plus riches pourront acheter des archives (bref, il faut s'attendre à une exportation importante des archives françaises vers les université américaines et les collectionneurs chinois qui se moquent totalement du public).
Les archives ne sont pas des pièces de collections isolées qu'on peut disperser comme ça : pour garder leur intérêt et leur sens, elles ont besoin de rester groupées en fonds d'archives et non pas d'être dispersées par les marchands. Disperser des archives, c'est comme vendre un livre ou un vêtement en petits morceaux.
Les archivistes, qui reconnaissent certes les avancées contenues dans le projet de loi, sont catastrophés par ces propositions qui vont à l'encontre de toute leur pratique depuis trente ans et qui assombrissent considérablement l'avenir de leur mission.
Par exemple, aucune étude d'impact n'a été faite pour mesure les conséquence de l'ouverture de certaines archives (notaires, justice) : aucun bâtiment d'archives actuel ne pourra supporter la masse d'archives qui sera alors remises par les études notariales et les tribunaux pressés de se débarasser de leurs archives et d'éviter d'avoir à recevoir du public.
Certaines dispositions en matière de communicabilité des archives sont inapplicables.
Cet affaiblissement du service public d'archives est volontaire, et à mettre en parallèle avec la suppression de la Direction des Archives de France au ministère de la culture et l'abaissement du niveau de compétence des archivistes, y compris des conservateurs, auquels l'Etat impose désormais un triple cursus classe préparatoire/concours, scolarité et thèse de Ecole des chartes et institut du patrimoine, pour les classer misérablement à bac+3 à l'entrée de l'INP, cette espèce de mini-ENA de la culture :
- privatisation recherchée des archives : certains prestataires comptent retirer un maximum de bénéfice de cela sans aucune avancée sérieuse pour l'accès par le grand public (bien au contraire, tout cela est et sera payant, et cher encore ... Seul le service public d'archives doit procurer l'accès gratuit aux archives, quel que soit l'investissement réalisé pour ménager cet accès ....
- confiscation des informations : extrêmement marqué par les seules préoccupations des Archives nationales, le projet de loi ne dit rien sur l'absence totale d'implication de l'Etat dans la conservation de ses propres archives, au niveau des préfectures et de services territoriaux de l'Etat et la dématérialisation cafouilleuse dans laquelle ils prétendent se lancer sans méthode et sans aucun souci de préserver les données numériques que vont désormais devenir les archives, y compris les archives historiques. L'Etat cède à la vanité de l'affichage (regardez mon beau logiciel, ma belle dématérialisation) et compromet sciemment la conservation future des archives en refusant de gérer ces nouvelles données avec les archivistes en refusant tout accès public futur à des données qui sont créées et gérées sans aucun contrôle extérieur (fichier STC, ficher ARDOISE, etc.)
La collecte des archives historiques est compromise et dépendra à l'avenir de bases de données dont la conservation à long terme n'est même pas envisagée et de de stockeurs d'archives privés, peu enclins à conserver du patrimoine historique mais très contents de monnayer du stockage le plus longtemps possible : qui paiera le traitement et le déstokage des archives publiques à valeur historique qu'il faudra aller chercher dans les sociétés de stockage privées ? Les services d'archives qui collectaient gratuitement ces archives et qui en assuraient auparavant la conservation GRATUITEMENT pour l'Etat et les organismes publics, les frais étant pris en charge par le conseils généraux depuis toujours et par les communes qui entretiennent des services d'archives municipaux ????
La conservation des archives historiques se fait en réseau de façon assez satisfaisante depuis des années, avec des méthodes et des outils de travail archivistiques éprouvés (c'est l'administration qui pose problème et qui NE VEUT PAS gérer ses propres archives, même pour les remettre aux archivistes)
On compromet actuellement ce réseau à coup de réformes mal maitrisées et en niant totalement le travail réalisé et les compétences des archivistes, sans plus aucune réflexion à l'échelle de tout un pays.
Les archivistes ont forgé toute la doctrine et toutes les méthodes pour assurer la conservation des archives papier et électroniques.
Ce sont les premiers (et depuis longtemps) à tirer la sonnette d'alarme sur les conséquences des évolutions actuelles et les plus soucieux des enjeux qu'il y à prendre en charge correctement ces archives.
La volonté d'effacement de leur métier et de leurs compétences alors même qu'on ne parle que d'archivage électronique est plus qu'inquiétante et révèle des tendances qui s'éloignent d'un fonctionnement démocratique.
Un archiviste et un citoyen attentif
Association des archivistes français : http://www.archivistes.org
Rédigé par : Archiviste | 16 avr 2008 08:02:42
Excellents textes des Archivistes.
Tout est dit.
Rédigé par : Pois Chiche | 16 avr 2008 19:20:08
Les délais contre lesquels des historiens croient bon de s'insurger depuis quelques jours sont déjà retirés via les différents amendements présentées par le rapporteur de la Commission des lois de l'Assemblée nationale le 9 et et le 15 avril 2008 : http://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r0810.asp#P179_26649
Leur retrait était déjà demandé par l'Association des archivistes français dans son communiqué du 3 avril 2008 sur le projet de loi :
Lors de son audition par la commission des lois de l'Assemblée nationale, Mme Albanel elle-même a attiré l'attention sur la nécessité de ne pas faire un retour en arrière en refermant l'accès à des archives qui sont actuellement librement consultables par tous , déclarant : ... "s'agissant du respect de la vie privée, le délai retenu par le Sénat constituerait un retour en arrière par rapport à ce qu'avait proposé le Gouvernement .." Le délai concernant la vie privée est désormais à 50 ans dans le projet de loi (retour à la proposition initiale du projet, contre les 60 ans de la loi actuelle). La commission des lois de l'Assemblée nationale a aussi supprimé la notion d' "archives incommunicables" et l'a remplacée par un délai de 100 ans applicable aux dossiers relatifs aux agents spéciaux et de renseignement (au lieu d'un statut d'incommunicabilité définitive), donc à une définition bien précise et touchant très peu de dossiers. Les autres délais se partagent entre un délai de 75 ans (au lieu de 100 avant) , 100 asn et 120 ans au lieu de 150 ans pour le secret médical)
Rédigé par : Archiviste | 18 avr 2008 06:15:13