Notre grand pédagogue, toujours aussi à l’aise lorsqu’il entreprend de redéfinir le vocabulaire à sa guise, est venu nous expliquer la différence entre rigueur et réforme. Comme à son habitude, il a ponctué ses explications de gestes significatifs qui nous ont permis de le voir maniant le rabot. Mais cédons lui la parole : «La rigueur, ça consiste à faire un coup de rabot. On impose à chacun le même effort. Ce que nous faisons, c’est la réforme de l’appareil de l’Etat pour obtenir les économies et la maîtrise de la dépense publique». Remarquons au passage l’aspect incantatoire de cette répétition du verbe faire au moment même où l’on se réfugie dans le verbe, avec une distinction spécieuse entre rigueur et réforme. Et il a sans doute aussi échappé au président Sarkozy que la réforme peut désigner la mise hors service de ce qui est impropre.
Une des 140 mesures adoptées est le non remplacement de la moitié des fonctionnaires partant à la retraite. Essayons maintenant d’imaginer la mise en oeuvre de cette mesure. Considérons un établissement scolaire A, avec un nombre moyen de 36 élèves par classe. Quatre de ses enseignants partiront en retraite cette année, deux seulement seront remplacés. Ceci aura pour conséquence de porter le nombre moyen d’élèves par classe à 38. Soit maintenant un autre établissement que nous appelons B. Le nombre moyen d’élèves par classe y est de 30 et, aucun professeur n’y atteignant l’âge de la retraite, en l’absence d’évolution de la démographie, ce nombre de 30 restera le même. La politique annoncée aura ainsi pour conséquence d’aggraver le déséquilibre entre A et B. Si l’on procède de la sorte, on n’aura aucunement pris en compte les caractéristiques de chaque établissement, et certains subiront le coup de rabot dénoncé par notre Président.
Nous nous trouvons devant l‘alternative suivante : ou bien, en tenant de nous convaincre par sa démonstration, notre Président nous prend pour des imbéciles, ou bien, si son raisonnement l’a convaincu lui-même, son bon sens mérite d’être mis en doute.