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Des "Quantitative Easings" à l'inflation

Publié le 04 avril 2013 par Copeau @Contrepoints

Les quantitative easings des banques centrales portent un aléa moral immense. Un scénario de choc monétaire façon Argentine 2001 se dessine en Occident, laissé en suspens provisoire par une sorte d'érosion du capital par la bulle des actifs entretenus par les banques centrales. Seule une extraordinaire croissance de fond pourrait sauver l'essentiel de l'Occident d'une profonde récession.
Par Xavier Driancourt.

Ces dernières années et ces derniers mois, une bonne part de la faramineuse croissance du bilan des banques centrales occidentales vient des fameux quantitative easings (ou QE) et autres prêts à moyens termes à des taux défiant toute concurrence, concédés par les banques centrales occidentales en violation avec l'esprit de leurs constitutions. Cette baisse de qualité des actifs apportés en gage des emprunts a été concédée par les banques centrales à de fallacieux motifs de relance keynésienne mais aussi pour permettre aux banques commerciales... de ne plus se faire confiance les unes aux autres, ce qui est moins connu de l'opinion publique.

En effet avant la crise majeure de l'automne 2008 et sa prémisse déjà aiguë de 2007, chaque jour les banques s'empruntaient les unes aux autres des sommes considérables durant une journée, processus normal dû aux décalages ponctuels lors du processus de compensation (résultante de l'encaissement des chèques et virements bancaires de leurs clients). Selon les jours de la semaine, les jours du mois ou les mois de l'année, certaines banques étaient emprunteuses puis prêteuses, en fonction des fluctuations des comptes de leurs clients qui sont parfois fortes, par exemple pour les entreprises agricoles, entreprises de tourisme, institutions religieuses, associations caritatives, monde du spectacle, ou industriels de la crème glacée.

Depuis la crise de 2008 et sa prémisse de 2007, les banques ne se font plus confiances les unes aux autres et ne se prêtent plus. Le processus de compensation s'est donc grippé, menaçant de blocage tout le système économique. Les banques centrales ont alors baissé pavillon et se sont lancées dans les QE sur les prêts à court terme et autres prêts à moyens terme à des taux défiant toute concurrence, permettant aux banques de disposer en permanence des liquidités suffisantes pour couvrir leurs périodes débitrices temporaires les plus fortes.

Le brillant économiste Jean-Yves Naudet, dans son article du 19 février intitulé "L'inflation, péché mignon des banques centrales", publiée dans les médias de ce remarquable think-tank qu'est l'Aleps, a parfaitement raison de souligner qu'il s'agit d'une baisse majeure de la qualité des monnaies occidentales. Même si nombres d'acteurs de la finance ne l'ont pas ou peu traduit en baisse des cours de ces monnaies, les QE et autres prêts laxistes concédés par les banques centrales signifient concrètement que ces institutions portent désormais une partie importante des risques de mauvaise créance à la place des banques commerciales qui, elles, sont rémunérées pour porter ce risque. Or parmi ces mauvaises créances, il y a les obligations d’État, les fameux bons du trésor.

La boucle est bouclée : par un tour de passe passe de pure forme circulant via les banques commerciales prises à la gorge mais aussi grassement rémunérées pour cette collaboration à la moralité pour le moins douteuse, les banques centrales financent bel et bien en violation de l'esprit de leur constitution les déficits publics non soutenables des démocraties sociales européennes et américaines. Quand les prêteurs internationaux seront lassés de ce tonneau des danaïde, ils retireront leurs avoirs dans un mouvement qui prendra in fine la forme d'une panique croissante. Ce sera la phase de choc monétaire, avec fermetures bancaires nationales, dévaluations massives, et inflation de plus de 100% en quelques trimestres pour les prix à la consommation.

Ce scénario, dont on voit mal comment nous pourrions l'éviter, s'est déroulé en Argentine au début des années 2000. L'Argentine, lourde démocratie sociale en perte de vitesse économique tout au long du 20ème siècle (alors qu'elle avait été par habitant le 4ème pays le plus riche de la planète), bloquée par ses syndicats et administrations grévistes, n'avait pas réussi à mener les réformes de rigueur budgétaire, en l'occurrence libérales, promises aux prêteurs internationaux et au FMI. Sa monnaie était alors arrimée au dollar états-unien avec une parité de un peso pour un dollar. La banque centrale d'Argentine s'est alors retrouvée à court de devise, d'où la fermeture bancaire de 3 semaines fin 2001, puis le dévissage des taux de change et l'inflation de 300% ou 400% en 6 mois, avec au passage la montée des émeutes et la promulgation de la loi martiale, puis l'apparition de bidonvilles peuplés d'Argentins, ce qui n'avait jamais existé auparavant. La situation de la banque centrale argentine vis-à-vis de la réserve fédérale états-unienne de cette période à parité fixe ressemble fort à la relation de la banque de France à la BCE.

Si les prêteurs internationaux, intimidés par la puissance occidentale, continuaient néanmoins à prêter aux puissances publiques occidentales et à leurs systèmes bancaires de plus en plus soviétisés, nous verrions alors non ce probable choc monétaire, mais une sorte de pourrissement général de la valeur des actifs bancaire, où tout le système bancaire aurait plus intérêt à continuer la courses aux créances de mauvaises qualité, plutôt que d'avouer leur existence. Un tel système dégénératif serait voué à l'anéantissement de la valeur réelle des actifs. Si ce n'est un choc monétaire, ce serait l'effritement du capital réel et la baisse "tranquille" du pouvoir d'achat qui en résulterait, à l'image de l'Union soviétique finissante de la seconde moitié du 20ème siècle. Quel que soit le chemin suivi, l'aléa moral engendré par les QE est immense.

Seule une extraordinaire croissance de fond pourrait sauver ce système monétaire par le haut, où une rapide création de valeur nouvelle viendrait éponger la valeur perdue qui flotte globalement dans le système monétaire via les actifs de mauvaise qualité fournis en gage à la banque centrale avec les QE, et l'immense bulle des actifs, notamment obligataires publics, qui s'ensuit. Une croissance aussi intense peut-elle se produire au point de compenser la fatale récession majeure issue de l'évacuation du PIB virtuel lié aux déficits publics, dont le signal sera donné par l'éclatement des bulles d'actifs impulsées par les puissances publiques et leurs banques centrales ? J'ai peine à croire en l'existence d'une telle source de croissance, qui serait si puissamment à l’œuvre qu'elle sauverait pour l'essentiel tout l'Occident. Certes le monde industriel porte quelques bonnes nouvelles pour l'Occident : l'exploitabilité croissante des gaz et pétrole de schiste a déjà apporté une spectaculaire baisse des prix du gaz aux USA et dans quelques autres pays, une nouvelle ère industrielle se dessine avec les imprimantes 3D, et la robotique commence à rivaliser avec le monde ouvrier des pays pauvre pour la plupart des tâches des chaines de production...


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