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Après Cahuzac: fraude fiscale... ou évasion fiscale, tous des menteurs ?

Publié le 04 avril 2013 par Juan
Après Cahuzac: fraude fiscale... ou évasion fiscale, tous des menteurs ? Depuis le début de la Grande Crise, en septembre 2008, on a tout entendu sur la chasse à l'impôt perdu et notamment la lutte contre la fraude fiscale.
Depuis quelques heures et la déflagration Cahuzac, un autre story-telling tente de s'imposer dans l'éditocratie officielle.
Petit rappel, qui enrage.
De la fraude fiscale...
Le premier discours de Nicolas Sarkozy, dix longs jours après l'effondrement de la banque Lehman Brothers, comprend déjà de larges chapitres sur la moralisation du capitalisme financier (sic!) et, notamment, la suppression des paradis fiscaux. Ce sera un leit-motiv de la suite de son quinquennat, comme un hochet agité sur toutes les tribunes internationales pour mieux divertir l'opinion.
La lutte contre la fraude fiscale devenait une "priorité" d'affichage. Quelques mois plus tard, Eric Woerth brandissait une liste de 3.000 comptes clandestins planqués en Suisse. Nous eûmes la "cellule de dégrisement" où les "repentis" pouvaient "négocier" leur retour patrimonial. Nous eûmes le décompte semestriel des sommes - toujours en millions - récupérées par cette fabuleuse lutte contre la fraude fiscale. Au plus fort de la crise du "Woerthgate", Sarkozy fait supprimer non pas son ministre du Budget mais la cellule spéciale chargée des "situations individuelles", au coeur de Bercy. En janvier 2012, la Cour de Cassation achevait le mythe sarkophile en annulant "les perquisitions fiscales dans la mesure où le fichier était volé".
La même équipe mélangea aussi la lutte contre la fraude qualifiée de "sociale". Cela permettrait de rééquilibrer les quotas de boucs-émissaires. Quelques riches fraudent à l'impôts, mais des centaines de salauds de pauvres trichaient aux allocations ! On se souvient d'un effroyable assaut du Figaro contre ces "abus de l'assistanat" rédigé par l'épouse d'un grand patron. On comprendra plus tard combien la manoeuvre était basse. La triche aux allocations était certes scandaleuse mais financièrement chose négligeable (4 milliards d'euros par an) par rapport à la fraude fiscale dans son ensemble (60 à 80 milliards d'euros par an). Pire, quelques chercheurs évaluaient à plus de 7 milliards d'euros annuels les aides sociales dues mais non réclamées par leurs bénéficiaires !
Sur la fraude fiscale, les estimations ne manquent pas. Elles donnent le tournis.  Dans un ouvrage publié en mai 2012, Antoine Peillon (frère de Vincent) évoque 600 milliards d'euros de placements clandestins hors de nos frontières.  En janvier 2013, le syndicat Solidaires-Finances publiques évalue à environ 20% le manque à gagner de recettes fiscales brutes annuelles (""16,76% à 22,3%").
Les paradis sont toujours là. Une certaine extrême gauche a fait mine de ne pas voir que Chypre - avec sa fiscalité si attrayante - était l'un d'entre eux qu'il fallait démembrer à la faveur d'une énième secousse de la zone euro. Le Luxembourg voisin nous fait toujours horreur. La Belgique sert de refuge à quelques traîtres à une heure trente de train de Paris. Et la Suisse... les banques commerciales du pays ont fait mine de céder à la pression américaine. Barack Obama les avait menacé de boycott sur le sol américain en cas de refus de transparence à l'égard de l'IRS.
Mais la parade fut vite trouvée. Une journaliste suisse confiait ainsi au Monde que "depuis de nombreuses années, c'est l'activité principale de certains banquiers privés d'héberger des comptes offshore". Et d'ajouter: "A titre d'exemple, quand certains comptes américains sont apparus problématiques compte tenu des procédures entamées par les Etats-Unis, certaines banques privées, plus accommodantes qu'UBS, ont accepté de récupérer ces comptes".
... à l'évasion fiscale
Détenir un compte à l'étranger, même quand on est résident fiscal en France, n'est pas en soi illégal. L'opération n'est pas nécessairement fiscale. Mais quand elle l'est, on appelle cela de l'évasion fiscale. Et c'est là que le bas blesse.
Car la fraude et l'évasion fiscales ne diffèrent pas de nature mais de degré.
En 2009, des sénateurs chiffrent à 35 milliards d'euros le coût annuel de l'évasion fiscale
Rappelons l'addition: 70 milliards de fraude, 35 milliards d'évasion... Fichtre... Voici une belle centaine de milliards annuellement perdus.
"Le déficit public de la France s'est élevé à 98,2 milliards d'euros en 2012. Il est en baisse de 7,2 milliards par rapport à 2011. Mais cet effort est insuffisant par rapport à l'objectif de déficit fixé par le gouvernement en accord avec ses partenaires européens."
Source: l'Expansion.
Le ver est dans le fruit. On l'a écrit, dit et répété: les moyens de lutter contre la fraude fiscale sont insuffisants. La RGPP de l'ancienne Sarkofrance a servi à démembrer des services, affaiblir leur efficacité, sous couvert de "simplifier" et de "moderniser" l'administration fiscale comme bien d'autres.  En 1999, des sénateurs nous pondaient un rapport précurseur (de bêtises) sur l'efficience des services fiscaux. On s'y indignait du "caractère relativement coûteux de notre administration fiscale". On pouvait lire qu'il "n'existe pas de corrélation étroite entre les effectifs mobilisés pour gérer un impôt et le rendement de cet impôt." Dans un autre rapport, l'OCDE nous apprenait que moins de 8% des effectifs fiscaux français (en 2007) étaient dédiés au contrôle, soit la plus faible proportion de la zone OCDE ! En valeur absolue, cela donnait moins de 6.000 agents, contre 10.000 au Royaume Uni ou aux Pays-Bas !
On pouvait et on doit encore s'interroger sur l'incroyable clémence fiscale - récemment rappelé dans une très complète analyse d'Alexis Spire publiée par le Monde Diplomatique - que le fisc accorde aux plus riches. Le constat ne date pas d'aujourd'hui. Il met à mal le sacro-saint principe d'égalité devant l'impôt. Nul besoin de s'exiler pour contourner l'impôt. Certains centres pratiques la clémence locale.
On pouvait, on devait s'indigner de ces multiples appels à la fraude l'évasion propagés à longueur de couvertures et de dossiers spéciaux par nos hebdomadaires de la presse conservatrice (Le FigMag, le Point, L'Express, etc) pour "mieux placer" et donc "mieux vivre son argent". Des hebdomadaires dirigés et animés par les mêmes donneurs de leçons sur-le-tard contre l'infamant Cahuzac.Ecoutez donc Christophe Barbier nous assigner "le plus rouge des cartons pour Jérôme Cahuzac, coupable de fraude fiscale et mensonge global." Lisez Franz-Olivier Giesberg du point nous affirmer qu'un "homme d'État digne de ce nom doit expliquer qu'il n'y a pas de trésors cachés ni de remèdes miracles."
Répétons: la fraude et l'évasion fiscales ne diffèrent pas de nature mais de degré.
Car il y a ce beau et gros morceau de l'évasion fiscale que d'aucuns aiment à distinguer de la fraude éponyme. La ficelle est grosse, l'arnaque est belle. L'évasion est la vitrine légale, l'opération toujours présentée comme malheureusement de ces pauvres entrepreneurs ou cadres dirigeants contraints à l'exil à cause d'une pression fiscale jugée insoutenable. L'évasion fiscale est ce chantage si récurrent à droite et chez une certaine gauche.
L'exil, s'il est donc jugé inévitable par ceux qui le décident, devrait être total: reddition des passeports et abandon de la nationalité, sinon rien ! La première des preuves d'appartenance à une nation est le paiement de son impôt.
Quelques heures après la déflagration Cahuzac, voici une autre preuve et une autre affaire. La preuve enfonce l'ancien ministre - une liste des donations de laboratoires pharmaceutiques à Jérôme Cahuzac. Le timing est médiatiquement précieux. L'autre affaire est cette autre liste publiée par THE GUARDIAN, des centaines de noms de titulaires de comptes aux Îles Caïmans. Dès potron minet ce jeudi 4 avril, le nom d'un ancien ex-trésorier des comptes de campagne de François Hollande était avancé. L'homme ne s'en est pas caché, il explique qu'il s'agit non pas d'un compte personnel mais professionnel, ouvert dans le cadre d'une joint-venture avec un entrepreneur chinois.
Dans ces milliers de noms (2,5 millions de fichiers, 12.000 sociétés), environ 130 seraient français.
Alors... le ménage, c'est maintenant ?

Lire aussi:
  • La clémence fiscale de l'Etat (Sarkofrance, janvier 2010)
  • Les révélations du rapport de l'IGF dont Sarkozy ne parlera pas (Sarkofrance, juillet 2010)
  • Coucou Hollande, l'ordre juste, maintenant ! (Politeeks, avril 2013)
  • Cahuzac ou le syndrome du laxisme fiscal (Seb Musset, avril 2013) 
  • (Romain Blachier, avril 2013)
  • Cahuzac et les nécessaires contradictions de la politique (Nicolas, avril 2013)
  • Evasion fiscale : Les brillants résultats ... catastrophiques d'Eric Woerth (Slovar, avril 2013)

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