Cette bien curieuse bienveillance de nos moralisateurs à l’égard de celui qui apparait désormais comme « une brebis galeuse » incite, évidemment, à se demander si l’ensemble du troupeau ne serait pas plus ou moins contaminé. Le Monde révèle que celui qui fut le trésorier de campagne de François Hollande, en 2012 - Jean-Jacques Augier -, est actionnaire de… deux sociétés off-shore domiciliées aux Iles Caïman. Le moins qu’on puisse dire, c’est que… « ça la fout très mal », pour citer M. Desjardins. François Hollande a du prendre la parole, avant-hier soir, depuis le Maroc, où il achèvait sa visite d’Etat, pour répondre à cette dernière révélation. Les valeurs morales de la gauche en prennent de nouveau, un sérieux coup, deux fois en 48 heures…
Polytechnicien, énarque (de la promotion Voltaire, comme Hollande), inspecteur des Finances, Jean-Jacques Augier a quitté la haute administration pour rejoindre André Rousselet - l’âme damnée de Mitterrand, qui fut son trésorier lors de sa campagne en 1981 -, comme patron des taxis G7. Avant de partir pour la Chine et d’y faire fructifier le petit magot qu’il avait constitué à Paris en créant là-bas une chaine de librairies et surtout un certain nombre de sociétés. Que François Hollande ait choisi comme trésorier de sa campagne présidentielle, un ami de plus de trente ans, inspecteur des Finances, n’a rien d’étonnant. Mais la promotion Voltaire a produit d’autres inspecteurs des Finances aux activités autrement plus… transparentes. Le président de la République va-t-il ainsi nous raconter qu’il ignorait totalement que Jean-Jacques Augier s’était reconverti depuis longtemps, dans le business international. On attend avec impatience la suite des révélations du Monde ou les prochaines découvertes de Médiapart sur ce personnage. Ce qui est sûr c’est qu’après l’affaire Cahuzac, cette affaire Augier qui commence permet de se demander si, comme il nous l’avait affirmé, François Hollande n’a vraiment pour seule ennemie que la finance et si, en nous promettant une république irréprochable, il ne nous a pas encore raconté des balivernes.
Cahuzac a commis et reconnu des fautes qui relèvent du tribunal. Augier nous affirme qu’il n’a rien fait d’illégal en ouvrant ses comptes aux îles Caïman. On veut bien le croire… jusqu’à preuve du contraire. Mais le problème n’est pas là. Que Jean-Jacques Augier soit un homme d’affaires respectable ou pas, il s’agit avant tout d’une affaire de « morale », c’est le problème de la frontière entre le judiciable et la « morale » - si tant est que ce mot ait encore une signification dans notre pauvre pays -, et particulièrement lorsqu’il s’agit de la gauche. François Hollande a fait toute sa campagne en fustigeant l’argent, les riches, la finance et en nous promettant qu’il s’attaquerait aux revenus du capital, aux salaires excessifs, aux parachutes dorés et… aux paradis fiscaux. Ainsi, au moment même où François Hollande soulevait les foules, en disant « mon ennemi, c’est la finance », au moment même où il prenait un avantage décisif sur son adversaire Nicolas Sarkozy, en promettant de taxer les très riches à hauteur de 75 %, il avait un responsable financier de campagne - que personne ne connaissait à l’époque -, qui se révèle être un homme d’affaires prospère, avisé, ayant des investissements partout dans le monde et maitrisant de toute évidence, à la perfection, l’optimisation fiscale. François Hollande se retrouve pris au piège. Mais le piège s’est mis en place, il y a plusieurs mois, bien avant l’affaire Cahuzac.
On a eu d’abord, une déception d’ordre économique et social. Et peu à peu, la popularité des deux têtes de l’exécutif - le président de la République et le Premier ministre -, ont commencé leur inexorable chute dans les sondages. Mais maintenant, nous sommes dans une crise politique et « morale », et qui touche au cœur même de l’identité de la gauche. Le père fondateur du socialisme, Jean Jaurès, lorsqu’on lui demandait de définir le socialisme, en disait « le socialisme, c’est une morale ». Nous sommes au cœur de la culture de la gauche, et c’est cela qui est touché. Ainsi, la dernière enquête Sofres qu’a publié Le Figaro, montre très bien que ça craque dans le cœur politique de l’électorat. Hollande a crevé tous les planchers dans tous les sondages, n’ayant plus maintenant que 27% des Français qui lui font confiance (ce qui veut dire, on ne le souligne pas assez, que 73% de nos compatriotes ne veulent plus de lui). Mais la chute la plus importante se situe chez les électeurs socialistes, et dans la base sociologique du PS. Ainsi, plus que 18 % des classes populaires font désormais confiance à François Hollande, et la chute la plus sévère - environ dix points -, se situe chez ces classes moyennes, qui avaient investi leur confiance, derrière la République exemplaire, derrière la présidence normale, derrière ce socialisme moral. Et quand il ne reste plus la confiance économique, plus la confiance sociale et plus la confiance politique et morale, on est en droit de se demander ce qu’il reste.
La gauche n’est pas plus morale que la droite, mais elle veut à tout prix garder ce magistère « morale ». François Hollande avait déjà perdu, le magistère économique (puisque de toute évidence, depuis onze mois, il court derrière la crise sans réussir à la rattraper), et il perd maintenant ce dernier élément. Ainsi Cahuzac n’est peut-être qu’une brebis galeuse, mais Augier démontre que la gauche hollandaise est tout aussi « caviar » que celle de Mitterrand. Cahuzac va, on peut du moins l’espérer, être condamné par la justice, et Augier, lui, entraine toute la gauche dans le box des accusés devant le tribunal de l’opinion publique…
J. D.