« Le Monde » a repéré, dans la liste des 2297 lycées généraux et technologiques français dont les résultats au bac viennent d’être publiés par le Ministère de l’Education, 36 établissements où la méritocratie fonctionne encore
Enfin une bonne nouvelle sur le front scolaire dont la chronique récente, désespérante, passait des derniers résultats du Programme international de recherche en lecture scolaire (Pirls) attestant d’un effondrement des performances des écoliers français aux grèves surprenantes des enseignants s’opposant à la mini-réforme des rythmes scolaires de Vincent Peillon. « Le Monde » a repéré, dans la liste des 2297 lycées généraux et technologiques français dont les résultats au bac viennent d’être publiés par le Ministère de l’Education, 36 établissements où la méritocratie fonctionne encore : « Ils se singularisent par une forte capacité à faire réussir leurs élèves ; à amener au bac des enfants qui avaient peu de chance de décrocher un jour ce diplôme ».
Il faut saluer ce travail des journalistes du Monde. Cela nous change des habituels palmarès des lycées du Nouvel Observateur qui encensent tous les ans Louis-le-Grand, Henri IV et L’Ecole alsacienne. D’autant plus que le quotidien a eu la bonne idée d’aller voir de plus prés les équipes enseignantes de ces établissements qui se distinguent nettement des autres dans leur « capacité » à faire réussir des élèves boursiers issus de milieux populaires. Et là, double surprise : ces 36 très bons lycées, dont 28 sont privés, traitent les élèves différemment, avec des méthodes et des règles qui rappellent les heures sombres des hussards de la République.
Qu’on y songe : dans ces lycées l’autorité règne et, témoigne une parente d’élève, « il y a un respect d’autrui, de l’enseignement, des professeurs et des élèves entre eux ». Les profs n’ont donc pas pour objectif principal et parfois unique de « tenir leur classe » : ils peuvent enseigner. Mais ils en ont aussi envie : « A l’approche du bac, les profs restaient très tard le soir pour nous faire réviser. Si j’ai eu 19 en maths et en économie, c’est grâce à eux »,témoigne Assya, bachelière du lycée Averroès de Lille.
Si les profs se décarcassent dans ces 36 lycées, les élèves en veulent et ne rechignent pas à un rythme intensif qu’ils considèrent plus comme une faveur que comme une surcharge de travail qui épuiseraient les pauvres enfants, selon une complainte trop souvent entendue. Marie-Pierre Chabartier, directrice du lycée de Tour-Sainte, qui fait réussir beaucoup d’élèves des quartiers nord de Marseille, ne craint pas de passer pour un bourreau d’enfants :« Chez nous, tous arrivent à 8 heures et repartent à 18h15. Cette longue plage de présence nous permet vraiment de dégager du temps en journée pour les aider ». Comme les instituteurs de l’école d’antan, les profs « repèrent les problèmes précis de chaque élève » et multiplient les attentions individualisées, avec cours de soutien et de rattrapage. Et la discipline règne : pas de retards ou d’absences injustifiées. La proviseure du lycée Romain-Rolland de Goussainville « rappelle la grande sévérité qui prévaut dans ses murs, chez elle chaque heure séchée est rattrapée et il n’y a pas de devoir qu’on oublie de rendre », témoigneLe Monde qui lui donne la parole : « Nous organisons aussi une fois par mois des examens sur deux matières tournantes. Une manière d’obliger les lycéens à travailler régulièrement ».Avec ces méthodes inouïes le lycée Romain-Rolland, pourtant doublement classé en « Zone d’éducation prioritaire » et en « Zone violence », obtient 82% de succès au bac. On est loin des habituelles pétitions de l’Observatoire international de la violence à l’Ecole qui réclament la fin des notes et des tribunes de l’écrivain Daniel Pennac qui ravit les beaux quartiers en faisant l’éloge des cancres.
La clé de ces réussites ? Des vraies communautés éducatives d’accord sur leurs objectifs et leurs règles et d’accord aussi pour les appliquer. Les lycées privés sont doublement maîtres de leur recrutement : les élèves qui n’ont pas envie ne perdent pas leur temps et ne font pas perdre celui des autres et les chefs d’établissement peuvent choisir leurs enseignants au sein d’un corps qui n’est plus ce qu’il était. Dans les lycées publics, où l’autonomie des proviseurs est moindre que dans le privé, Le Monde nous explique que le succès est dû à « la carrure du chef d’établissement » et à la « cohésion de l’équipe éducative ».
Ces « lycées qui font réussir » confirment les travaux anciens des sociologues Raymond Boudon et Mohammed Cherkaoui qui avaient montré, au terme de convaincantes études internationales, que « la rigueur de la sélection scolaire bénéficie paradoxalement aux élèves issus de milieux modestes ». Ils constataient qu’un renforcement des sanctions positives ou négatives (système de notation, horaires stricts, discipline, récompenses, punitions, concours) ont plus d’effet positif sur la réduction des inégalités que leur suppression, laquelle privilégie les élèves des milieux favorisés. La division par trois, en cinquante ans, de la proportion d’élèves d’origine populaire dans les grandes écoles leur a malheureusement donné raison.
Un peu gêné par la découverte de ces lycées et de leurs méthodes atypiques, Le Monde parle à leur propos de « pédagogie repensée ».Il s’agit plus simplement du maintien des principes qui existaient avant les grandes réformes de ces vingt dernières années mettant « l’élève au centre du système » et masquant leurs résultats par tous les subterfuges possibles, de la suppression des notes et des redoublements en passant par l’allégement des programmes. Plutôt que le lieu d’une « pédagogie repensée », ces établissements « qui cassent le déterminisme social » sont les conservatoires de l’enseignement public d’avant le désastre.
N.D.L.R
La preuve, par l'exemple, que mettre les enfants au centre de l'éducation n'est vraiment pas la meilleure façon de réussir leur éducation.
Au demeurant, seuls les candides et les simples d'esprit peuvent encore être persuadés que l'éducation, de nos jours, en France, a pour ambition "d'élever" les enfants qu'on lui confie.
Les études sociologiques ont prouvé, depuis longtemps, que le vrai but de l'éducation "officielle" c'est la reproduction des "élites" c'est-à-dire des couches sociales favorisées (il n'y a plus de classes sociales). "L'ascenseur social "n'existe plus depuis belle lurette.
Cela n'a pas changé depuis des décennies et cela a même empiré.
Et cela a peu de chances de changer car de la même façon que les religions sont l'opium du peuple, et donc empêchent les peuples de penser, l'école a pour fonction, inavouée, mais très efficiente, de maintenir les enfants à leur place dans l'échelle sociale.
Avec le triomphe de l'ultra libéralisme financier et sa conséquence évidente : la privatisation rampante de l'éducation (entre autres) je ne vois rien qui pourrait ressembler à un changement dans les décennies à venir.
Pour ceux que cela intéresserait un article résumant la pensée de Bourdieu (et Passeron) sur ce thème de la reproduction