Les partenaires sociaux s’avèrent de piètres gestionnaires et les dernières négociations sont loin d’avoir résolu le problème financier des régimes de retraites complémentaires.
Par Yann Henry.
Comme évoqué dans un article précédent, le régime français de retraites actuel est un système par répartition à prestations définies. Il s’agit d’un système pyramidal dans lequel les actifs payent des cotisations qui sont redistribuées aux retraités sous forme de pensions. Les montants des prestations sont en général calculés à partir des droits acquis par les cotisations.
Les régimes de retraite complémentaire Agirc (Association générale des institutions de retraite des cadres, créée en 1947) et Arrco (Association des régimes de retraite complémentaires, créée en 1961) fonctionnent un peu différemment. L’Arcco implique tous les salariés du privé alors que l’Agirc ne concerne que ceux qui sont en plus cadres.
Les différents régimes de retraite obligatoire des salariés sont résumés ici :
Source : Sécurité Sociale.
Le mode de fonctionnement du système est le suivant. Le salarié va acquérir des points de retraite par ses cotisations. Le montant annuel de sa retraite complémentaire se calcule en multipliant le nombre de points acquis au cours de la carrière par la valeur du point, défini chaque année par les partenaires sociaux.
La situation actuelle de ces régimes est grave : ils sont déficitaires et si rien n’est fait leurs réserves seront épuisées à la fin de la décennie. En effet, le déficit pourrait atteindre 5 milliards d’euros en 2013 puis monter à 10,5 milliards d’euros en 2017 (7,6 milliards d’euros pour l’Arrco et 2,8 milliards d’euros pour l’Agirc). Contrairement au régime général de retraite, le déficit ne peut pas être épongé par le budget de l’État ou la dette. Les partenaires sociaux ont donc dû se résoudre à ouvrir une négociation, qui a abouti le mercredi 13 mars dernier à un accord censé sauver le système. Les syndicats et le patronat ne voulant pas se voir contraints de laisser la main à l’État alors qu’ils sont co-gestionnaires de ce régime depuis 1947, ils étaient donc condamnés à s’entendre.
L’enjeu est de taille, puisque pas moins de 30 millions de personnes sont concernées, pour un montant annuel de pensions d’environ 60 milliards d’euros :
De plus, la part de la pension issue de la retraite complémentaire représente en moyenne 31% du montant de la retraite d’un salarié et 57% de celle d’un cadre.
L’ajustement d’un régime déficitaire (hors renflouement extérieur donc) ne peut se faire qu’en jouant sur trois paramètres :
- Le taux de cotisation
- La durée de cotisation
- Le niveau des pensions
La durée de cotisation (et l’âge à partir duquel le pensionné peut toucher une retraite) restant pour l’instant tabou, les partenaires sociaux ont donc décidé de jouer sur les deux autres paramètres.
Au 1er avril 2013, les pensions Arrco progresseront ainsi de 0,8% et celles de l’Agirc de 0,5%. Les deux années suivantes, la revalorisation se fera sur la base d’une inflation minorée de 1,0% (la valeur du point ne pourra pas diminuer en valeur absolue). Cela devrait alors permettre d’économiser 2 milliards d’euros par an.
Les cotisations augmenteront (scénario pourtant exclu par Laurence Parisot) de 0,1% au 1er janvier 2014 et au 1er janvier 2015, 40% étant à la charge du salarié (les 60% restants étant pour l’employeur). Cette solution fait malheureusement fi des conséquences sur le coût du travail que cela génère, et donc des pertes d’emplois et de cotisations que cela entraîne. C’est un cercle vicieux : le coût du travail élevé fait augmenter le chômage, ce qui débouche sur une autre augmentation du taux de cotisation, et ainsi de suite…
L’augmentation du taux d’appel, préconisée par le Medef, n’a finalement pas été retenue. Le taux de cotisation est calculé de la manière suivante :
Taux de cotisation = Taux d’acquisition d’un point x Taux d’appel
Le principe est le suivant : quand le taux d’appel augmente, le salarié cotise plus mais cela n’ouvre pas de nouveaux droits. Le taux d’appel est actuellement fixé à 125%. Une augmentation de 1 point par an pendant 3 ans aurait rapporté 1,5 milliard d’euros en rythme annuel.
Pas d’évolution non plus sur les règles de réversion. L’alignement par le bas des règles de réversion Agirc-Arrco (à partir de 60 ans et moyennant un taux unifié à 54% aurait rapporté 409 millions d’euros.
Voici finalement le chiffrage de l’accord trouvé par les partenaires sociaux :
Le sort d’un montant non négligeable des retraites d’environ trente millions de Français est dans les mains de personnes n’ayant aucune légitimité démocratique, c’est-à-dire les partenaires sociaux. Ces derniers s’avèrent de piètres gestionnaires et les dernières mesures sont loin d’avoir résolu le problème financier puisqu’elles ne couvriront qu’un peu moins d’un tiers du déficit prévu pour 2017. De nouvelles négociations seront donc sans doute nécessaires.
Peut-être quelqu’un aura-t-il alors le courage d’évoquer la solution jusqu’ici taboue de la retraite par capitalisation, qui a déjà fait ses preuves. Cet accord va-t-il impacter les réformes à venir sur le régime général des retraites ? Difficile à dire. Alors que Jérôme Cahuzac avait estimé, en parlant de l’accord des partenaires sociaux, qu'on « ne pourra pas ne pas en tenir compte », il a été opportunément débarqué. Michel Sapin semble de son côté refuser de telles solutions. Il a écarté tout « parallélisme » et considère comme « très difficile » une désindexation des pensions du régime général. Mais il est vrai qu’à l’inverse des régimes complémentaires, l’État dispose de marges de manœuvre plus importantes avec les leviers de l’impôt et de la dette (souveraine et sociale). Mais ces derniers ont déjà atteint en France des niveaux difficilement supportables.
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Sur le web. Article publié le 4 avril 2013 sur 24hGold.