L'ex-procureur de la République de Nice, Eric de Montgolfier a été reçu le 22 mai par la commission d'enquête sur l'évasion fiscale pou rtémoigner sur l'affaire du fameux fichier HSBC. (SIPA)SUR LE MÊME SUJET
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Mardi 22 mai, l'ex-procureur de la République de Nice Eric de Montgolfier, était auditionné par la Commission du Sénat sur l'évasion fiscale. Au cœur des interrogations des sénateurs : où en est-on dans l'affaire des fichiers HSBC ? Pour rappel, le procureur avait récupéré en 2009 une liste de 127.000 comptes bancaires appartenant à 79.000 clients de HSBC à Genève dont 8.231 Français, volée par un employé et récupérée par la justice en 2009. Ces fichiers ont révélé une fraude fiscale massive et ont déclenché deux enquêtes, de l'administration fiscale et de la justice pénale.
Pour autant, aujourd'hui côté fiscal, seuls 800 contrôles ont été engagés et 350 achevés d’après une note du ministère du Budget de novembre dernier, permettant au fisc de recouvrer 160 millions d’euros. Côté judiciaire, des enquêtes pour blanchiment ont été ouvertes concernant seulement une trentaine de titulaires de comptes. Eric de Montgolfier a été dessaisi du dossier en janvier 2011, désormais conduit par le procureur de la République de Paris, Jean-Claude Marin.
"Pourquoi Woerth parlait-il de 3000 noms alors qu'il y en avait plus de 8000 ?"
"Placardisé" désormais à Bourges, de Montgolfier n'a pas hésité à faire part aux sénateurs de ses "désillusions" quant au traitement de ce dossier. Ainsi, il a relaté que la ministre de la Justice, à l'époque Michèle Alliot-Marie a, en 2009, failli céder aux pressions de la Suisse qui exigeait de se faire restituer ces données informatiques sans qu'aucune suite ne soit donnée. "J'avais reçu du ministère l'ordre de les rendre aux Helvètes, puis, le lendemain un article fort opportun sur les fichiers HSBC est paru dans le Canard Enchaîné -dont je tiens à dire que je n'étais pas l'instigateur- et, dans l'après-midi, un ordre contraire est arrivé du ministère, disant qu'on pouvait garder et exploiter ces données".
Ensuite, Eric de Montgolfier est revenu sur le jeu du ministre du Budget Eric Woerth qui a organisé un vaste battage à l'été 2009 autour d'une liste de 3.000 fraudeurs français. "J'ai été étonné de ce chiffre donné par Woerth, au point que je me suis dit : 'tiens, les services fiscaux ont également récupéré une liste ?' Je n'avais pas compris qu'il parlait des fichiers HSBC ! Pourquoi a-t-il parlé de 3000 alors qu'il y a plus de 8000 noms ? Parlait-il juste des fichiers qui lui avaient paru exploitables, des comptes sur lesquels ses services s'étaient déjà penché ? C'était peut-être de la fine stratégie : en lâchant qu'il tenait une liste de 3.000, sans donner le nom de la banque, il voulait effrayer les fraudeurs et en amener un bon nombre à se déclarer spontanément au fisc, ce qui n'a pas mal marché".
En effet, Woerth avait mis parallèlement en place, d'avril à décembre 2009, une "cellule de dégrisement" à Bercy, permettant aux titulaires de comptes non déclarés à l'étranger de venir les déclarer et se régulariser sans pénalités. Sous la menace de la "liste des 3.000", plus de 3.500 contribuables ont déposé des dossiers et le Trésor a récupéré près de 1 milliard d'euros.
"Ceux qui résistent trop risquent de se faire placardiser"
Mais, derrière ce jeu du bâton et de la carotte efficace pour ramener dans le droit chemin de nombreux "petits" fraudeurs, il semble que des grands fraudeurs, noms éminents sur la liste, n'aient pas été forcément inquiétés. La police suisse, qui a recupéré désormais des copies des fichiers, affirme ainsi aujourd'hui que la liste a été "manipulée", modifiée par les services de police et fiscaux français, après qu'elle ait été remise par l'employé de HSBC. Une affirmation qu'Eric de Montgolfier ne dément pas vraiment. "Il y a eu quelques erreurs techniques curieuses. Des noms que nous avions relevés et qui étaient bien connus n'apparaissaient plus puis, quand nous demandions pourquoi, lors du décryptage des données, ils n'étaient plus mentionnés, ils ont réapparu".
Eric de Montgolfier relève aussi que "l'on s'inquiète toujours de l'indépendance de la justice, et notamment des procureurs face au ministère de la Justice mais on devrait aussi se pencher sur l'indépendance des services de police, sous la tutelle du ministère de l'Intérieur ou sur celle des services du fisc, sous l'autorité du ministère de l'Economie. Les pressions surviennent et ceux qui résistent trop risquent de se faire placardiser".
Dans l'affaire HSBC, de Montgolfier indique ainsi qu'il avait préféré délibérément confier le traitement et décryptage des données concernant les particuliers à la gendarmerie (Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale) plutôt qu'à la police. "Les gendarmes sont des militaires. Je les ai souvent considérés moins sensibles aux pressions, car ils ont cette ossature qui fait qu'on ose moins souvent leur demander d'intercéder. Mais on peut toujours se poser des questions".
"Pas certain que tout le monde a la même volonté de faire aboutir les dossiers HSBC"
Pour ce qui concernait les données de comptes détenus par des entreprises, Eric de Montgolfier s'était adressé à la Douane judiciaire : "je travaillais en bonne entente avec son directeur mais un autre a été nommé pour des raisons que l'on n'a pas compris. Par la suite, nous n'avons plus eu que des retours très faibles de ce service, ça n'avançait plus".
Au final, le procureur de Bourges se dit "pas certain que tout le monde a la même volonté de faire aboutir les dossiers HSBC", qui constituent potentiellement une vraie bombe. "Au point où j'en suis resté, il manquait beaucoup de clés, on ne voyait pas tout. Manifestement, certains titulaires de comptes n'étaient que des prête-noms. Qui est derrière ? Il restait beaucoup d'investigations à mener. C'est au procureur de Paris de poursuivre l'enquête maintenant".
Mais, pour conclure, il regrette qu'une affaire d'une telle ampleur n'ait pas fait l'objet d'un traitement exceptionnel, d'une cellule d'enquête avec des procureurs spécialisés, des équipes du fisc et de police dédiées... "En fait, le mieux, pour éviter tout soupçon d'intervention du pouvoir et vu que la liste des fraudeurs concerne plusieurs nationalités, aurait été de confier le traitement de ce dossier à Eurojust, l'unité de coopération judiciaire de l'Union européenne".