Hier, jour gris, venteux et pluvieux. Une fois encore. Or, la lune monte dans le ciel et commence sa phase décroissante. Les travaux de la terre ainsi que la taille, l’élagage et le bouturage sont donc formellement déconseillés au jardinier de base. Refusant sans vergogne d’exercer mon libre-arbitre, j’ai obéi sans aucun remord. Rien ne vaut en effet, en ces jours moroses, un bon fauteuil devant une petite flambée dans la cheminée. Nous sommes encore en avril et mes os recroquevillés sur leurs frissons réclament un peu de chaleur. J’ai glissé dans le lecteur de disques les « Études karnatiques » de Jacques Charpentier avec Michael Schäfer au piano et j’ai commencé à remonter la Marne avec Jean-Paul Kauffmann. Une bonne manière d’approcher ainsi du bonheur. Même si les publicités, à la télévision comme dans les magazines, y invitent par d’autres chemins. Car notre bonheur semble être leur unique raison d’être. La ménagère l’atteindrait grâce aux prodigieuses vertus de la toute nouvelle version d’un produit bien connu qui élimine le calcaire. Son linge ressortira de la machine non seulement plus blanc que blanc, ce qui n’est pas original, mais plus doux encore que la fesse dodue d’un bébé ou la joue sans rides d’une grand-mère. L’homme moderne, quant à lui, parviendrait au nirvana au volant de la dernière berline de son constructeur préféré. Dûment munie des ultimes perfections de la technique, elle le conduirait par les routes les plus escarpées du rêve dans le meilleur confort et la plus grande sécurité. Leurs enfants, blonds à souhait et l’œil pétillant de malice, délaisseraient enfin leurs consoles de jeux en ligne, les sermons de Bossuet imposés par le programme scolaire et les racines carrées du professeur de mathématiques. Ils se pencheraient sur l’avenir de la planète grâce à Yann Arthus-Bertrand, toujours bon pied bon œil, et le film événement de sa fondation, "Océan ". Hélas, je crois qu’en réalité, madame a des soucis autrement importants ! Peu lui chaut que ses linges se décolorent ou que des bactéries s’incrustent sur son évier apparemment immaculé. Elle s’inquiète pour sa taille enrobée à quelques semaines de l’été, ses jambes lourdes, sa mauvaise digestion, sa peau flétrie, son teint bistre et ses cheveux fourchus. Qu’à cela ne tienne. Elle trouvera tous les remèdes disponibles en seulement quelques écrans. Son sourire éclatera de nouveau comme un soleil de mai. Elle remontera le cours des Champs-Élysées d’un pas guilleret et consommera une boisson zéro calorie en compagnie de ses meilleures amies. Au grand désarroi de celles-ci d’ailleurs. Ignorant encore que des remèdes miraculeux pourraient venir à bout de leurs propres angoisses, elles masqueront mal leur dépit. Pour le plus grand plaisir de notre héroïne. Car, comme disait Jules Renard, il n’est plus grand bonheur qui n’empoisonne celui des autres. Demeure une question trop rarement soulevée : ce bonheur là rend-il heureux ?