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Le FN, clé de voûte de l’oligarchie

Publié le 10 avril 2013 par Lino83

Dans les temps étranges de crise politique, certaines choses se troublent quand d’autres s’éclaircissent. Le malaise vient de l’impréparation de nos représentations politiques à la nouvelle réalité qui émerge. Ou parfois de l’évidence mise au jour de ce qui n’était auparavant que soupçonné. C’est le cas avec le Front National. La séquence Cahuzac aura permis de révéler de façon troublante la fonction et la nature oligarchique du FN, comme le révèlent de nouvelles informations de Mediapart.

La préférence fiscale plutôt que la préférence nationale

La retenue de Marine Le Pen, habile à tempêter contre la clique oligarchique aux affaires depuis trop longtemps, sur l’affaire Cahuzac avait étonnée. Le ministre du budget est un affairiste qui fraude l’État, mais la présidente du parti de la préférence nationale ne trouve rien à redire (que ce soit lors des révélations de Mediapart, lors de l’ouverture d’une information judiciaire pour blanchiment de fraude fiscale ou lors de la démission du ministre, le 19 mars, pas un communiqué n’est produit sur le sujet). Pour cause : on apprendra que le compte frauduleux de Cahuzac a été ouvert par Philippe Péninque, ex-membre du GUD et ami de Marine Le Pen.

Mais le FN semble avoir avec UBS (la banque Suisse spécialiste de l’optimisation fiscale des pactoles français) une histoire plus intime encore : Mediapart nous apprend aujourd’hui que Jean-Marie Le Pen y possédait un compte dans les années 1980. Nous apprenons aussi que « l’ancien trésorier du micro-parti Cotelec (qui sert à récolter des fonds pour les campagnes électorales), l’éditeur Jean-Pierre Mouchard, a utilisé dans les années 1990 les services de plusieurs sociétés offshore – Overseas Property Services Limited à Gibraltar, et la panaméenne Hadret al Raiss.» Le parallèle avec le trésorier de campagne de François Hollande, Jean-Jacques Augier, actionnaire dans des sociétés implantées dans des paradis fiscaux, est troublant. Quant à Jean-Pierre Mouchard, c’est aussi le père de Laurent Joffrin, directeur de la filiale Nouvel Observateur de Claude Perdriel et grand admirateur de la nuance social-démocrate du néolibéralisme. Le monde des grands est petit, décidément.

Chantre du patriotisme, le FN fréquente pourtant et pratique parfois l’évasion fiscale. S’il ne s’agit que d’un délit dans le code pénal, en politique c’est un crime : l’impôt est l’assise matérielle qui permet à tout un peuple de tenir ensemble, à la cité de perdurer dans des conditions de civilisation décentes. S’y soustraire quand on prétend la diriger est une indignité majeure. Mais il semble qu’à la préférence nationale le FN privilégie la préférence fiscale.

Pour un capitalisme blanc

Empiriquement, le FN appartient par bien des manières à l’oligarchie (rappelons que la candidate des invisibles à la dernière élection présidentielle habite dans un hôtel particulier de Saint-Cloud, une banlieue chic parisienne, et qu’elle a poussé le vice jusqu’à hériter d’un parti politique). Mais comme disait Jean-Marie Le Pen, «mieux vaut hériter de bons chromosomes conduisant à la richesse, plutôt que de faibles chromosomes qui vous font perdre le magot légué. » Mais par bien des manières aussi, il en promeut programmatiquement l’idéologie et en caresse les intérêts particuliers.

Sortie de l’euro, protectionnisme, lutte contre l’immigration sont les principaux piliers du programme économique du FN. D’autres, moins connus, sont essentiels : lutte anti-keynésienne contre la dette publique (Marine Le Pen candidate promettait de la réduire à 0% du PIB avant 2018), comme si toute dette collective était illégitime, politique de l’offre et non de la demande. Au tableau également, 70 milliards d’euros d’économie dans la dépense publique, suppression de l’ISF, apprentissage à 14 ans, durcissement vis-à-vis des chômeurs (un député ex-FN a même proposé le mois dernier de les faire travailler gratuitement), amoindrissement du pouvoir des syndicats, instauration d’une TVA sociale déguisée en contribution aux importations. Marine Le Pen avait même réussi cette subtilité de promettre 200 euros de SMIC supplémentaire qu’elle comptait financer par une réduction non pas des cotisations patronales, mais des cotisations salariales : mettre dans la poche droite du salarié ce qu’on lui prend dans la poche gauche.

Absents du programme : salaire maximum et limitation de l’écart salarial, planification de la production, socialisation du travail et de la plus-value, taxation du capital financier, mesures contre la concentration du pouvoir économique, répartition du pouvoir dans l’entreprise… Autrement dit, rien sur un quelconque partage des richesses. Rien qui puisse contraindre politiquement la circulation du capital et modifier les rapports de propriété qui ordonnent sa course. Le Front National défend un capitalisme austéritaire, classique, libéral. Seulement, un capitalisme blanc, ethnique, discriminé.

Mais n’oublions pas que Jean-Marie Le Pen a fait dès les années 1980 de Ronald Reagan un modèle pour lui, et qu’il a largement poussé les idées néolibérales hostiles à la puissance publique, à la régulation du marché, etc. Une inscription idéologique remise au goût du jour par cette étrange apologie de Margaret Thatcher au moment de son décès : « Le Front national adresse ses condoléances au Parti conservateur après le décès de Margaret Thatcher, Premier ministre britannique de 1979 à 1990. Il salue la mémoire d’une dirigeante de convictions profondément attachée à la souveraineté de son pays et adversaire résolue de l’Europe fédérale» pouvait-on lire dans le communiqué de presse du FN, le 9 avril 2013. Margaret Thatcher, c’est la main de fer qui privatisa la majorité des secteurs publics gérés par l’État, qui gouverna main dans la main avec les patrons des multinationales britanniques et qui, via la politique autoritaire du TINA (There is no alternative), se fit le relais européen du «consensus de Washington», coup d’envoi de la grande mondialisation financière. Margaret Thatcher soutint activement les régimes criminels d’Amérique du Sud qui servirent de laboratoire d’essai aux théories ultra-libérales des Chicago Boys, dont le régime criminel du dictateur Pinochet au Chili (1973 à 1990) : plus de 3 200 morts et « disparus », autour de 38 000 personnes torturées et des centaines de milliers d’exilés. Un détail de l’Histoire, sans doute.

L’idiot bien utile du néolibéralisme

Sans doute est-ce la fonction électorale et symbolique du FN qui le rend indispensable à l’oligarchie. En 2002, Chirac bénéficie de l’accident du 21 avril, qui voit Jean-Marie Le Pen accéder au second tour, pour être réélu haut la main. De fait, la droite restera plus de 15 ans au pouvoir, au point de se confondre avec l’État, d’où les dérives affairistes qui se décantent devant nous aujourd’hui. Depuis, le «vote utile» verrouille la vie politique française et limite l’alternance démocratique au va et vient des deux partis majoritaires, lesquels défendent, à quelques nuances près, la même politique économique.

Le spectre du FN garantit ainsi une rente de situation électorale à ces deux partis «de gouvernement» et empêche l’accession au pouvoir de tendances politiques susceptibles de remettre en cause les bases matérielles de l’oligarchie. Dès que les deux partis du gouvernement oligarchique faiblissent, il suffit aux médias d’agiter la menace du 21 avril et de mettre en scène une figure d’extrême-droite qu’ils ne cessent par ailleurs de légitimer (on pense à Thierry Ardisson donnant du «Marine» à Marine Le Pen). Et dès que des mouvements politiques issus de la gauche radicale commencent à prendre de l’ampleur, il suffit de les introduire dans le «jeu des extrêmes» indifférencié pour les décrédibiliser – un procédé que Laurent Joffrin maîtrise d’ailleurs parfaitement (souvenez-vous du dernier numéro de l’Obs avant le premier tour de la présidentielle). Le FN est le sas de décompression par lequel le vote populaire, révolté, désespéré revient inexorablement dans les mains de l’oligarchie.

Les dés de la démocratie sont donc pipés par le Front national. Et, à tout prendre, la classe dominante et ses attributs médiatiques préfèrent une extrême droite sans programme fiscal qu’une gauche redistributrice. Nombreux sont ceux qui préfèrent une réponse ethnique à une réponse sociale ; la première maintient la domination intacte. Ce faisant, la persistance politique du Front national permet à la classe oligarchique de maîtriser d’éventuelles perturbations démocratiques susceptibles de remettre en cause son pouvoir et ses intérêts matériels. Dans la division du travail politique accomplie par l’oligarchie pour se maintenir au pouvoir, le FN est une pièce-maîtresse.


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