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Demander pardon, une compétence

Publié le 11 avril 2013 par Rolandlabregere

Incontestablement l’affaire Cahusac renouvelle une pratique de la communication publique, celle qui consiste à demander pardon pour des attitudes et des comportements que la morale et les pratiques sociales réprouvent. Face à la dimension de la révélation produite par l’intéressé lui-même, il fallait sortir de l’ordinaire. L’exercice est à la fois difficile et à hauts risques. Difficile en raison de la hauteur de la faute morale et de la réprobation unanime qu’elle suscite et à hauts risques par le fait même que l’opinion des destinataires n’est pas disposée à entendre et à comprendre l’argumentation de l’émetteur. Celui-ci, a, certes, retiré la main du pot de confiture dans lequel elle s’était égarée, mais exhibe à qui mieux-mieux des doigts collants et dégoulinants, traces de ses écarts en dépit d’affirmations réitérées les yeux dans les yeux.

Inspiré par l’exemple déjà ancien de Bill Clinton, le communiqué commis par Jérôme Cahusac inaugure une forme politico-sentimentale de la communication publique. Il résulte d’une réflexion qui a pour objectif le déminage. Ce communiqué a tout pour faire école. Gageons que dans ces temps turbulents, d’autres affaires vont advenir qu’il faudra reconnaître après avoir démenti. L’excuse publique se charge de banalité. Le communiqué de Jérôme Cahusac se devait d’être à la hauteur des enjeux que « l’affaire » révèle. Le fait qu’il soit construit en trois temps progressifs, reprenant en cela le classique du général au particulier de l'exercice de la dissertation pour devenir du personnage public à l’intimité de l’homme et qu’il se présente sous une facture aboutie ne dit rien des effets qu'il produit. Le recours à la fonction expressive incarnée par une dizaine d’occurrences du pronom personnel souligne l’intention de mettre au premier plan les sentiments et les émotions.

Dans son ouverture, la déclaration de Jérôme Cahusac relève d’un certain classicisme. Les adresses nombreuses du plus haut (« A Monsieur le Président de la République, au Premier Ministre, à mes anciens collègues du gouvernement »,  au plus rapproché (« Je pense aussi à mes collaborateurs, à mes amis et à ma famille »), en passant par ce qui constitue la référence de tout élu et de tout politique (« A mes collègues parlementaires, à mes électeurs, aux Françaises et aux Français »), visent à particulariser le message. Le triptyque « pardon », « regrets » « déception » montre que l’intéressé se pense comme encore un personnage du haut au pire moment de l’affaire et réfléchit dans une démarche de toute puissance. Seuls le Président de la République et l'exécutif bénéficient de sa demande de pardon. Cela inciterait à penser qu’au moment de la diffusion de ce texte, l’auteur n’a pas pris la mesure des conséquences de ses aveux. Il ne conçoit pas non plus que son statut (ministre), son rôle (fraudeur) et son attitude (cynisme et dénégation) constituent les trois pôles du personnage public qu'il représente. Le statut prime ainsi sur les deux autres pôles. D''où l'idée caressée de récupérer le poste de député, perçu comme un avoir bancaire.  Dans son ordonnancement, le premier paragraphe du texte fait davantage penser à l’application d’une fiche méthode du protocole qu’à un message de circonstance. L’objectif semble de veiller à n’oublier personne et d’avoir le mot adapté pour chacun.

Le deuxième paragraphe fait appel au registre psychologique. Le citoyen est pris à témoin des tourments qu’il déclare avoir subi. Le vocabulaire est peu usité (« lutte intérieure taraudante »). L’acteur de la finance mondialisée cherche à fendre l’armure et accréditer l’idée qu’il vit avec les fragilités de l’homme ordinaire. L’aveu est complet tempéré par ses effets (« Je suis dévasté par le remords »).

La dernière section, brève, invite le lecteur-auditeur à passer de la compassion à la compréhension.

Réussir une déclaration de reconnaissance de ce que les médias ont qualifié de faute ne dit rien de l’efficacité et de l'efficience du message. De nombreux éléments interviennent pour que les destinataires des trois niveaux acceptent in extenso l’argumentation proposée.

Jérôme Cahusac s’est lui-même positionné dans une situation extrême d’une crise aux multiples retentissements. La communication de crise serait-elle magique au point de faire oublier les ingrédients de l’affaire Cahusac ? A savoir, l’écart entre le dit (« je n’ai pas de compte à l’étranger »), les missions (la lutte contre la fraude) et le soupçon populaire envers les politiques. Les mots du pouvoir peuvent être impuissants à accomplir le pouvoir des mots. Il appartient aux tenants de l'économie financière de s'approcher de l'économie des mots.

Communiqué intégral de Jérôme Cahusac :

« A Monsieur le Président de la République, au Premier Ministre, à mes anciens collègues du gouvernement, je demande pardon du dommage que je leur ai causé. A mes collègues parlementaires, à mes électeurs, aux Françaises et aux Français j’exprime mes sincères et plus profonds regrets. Je pense aussi à mes collaborateurs, à mes amis et à ma famille que j’ai tant déçus.

J’ai mené une lutte intérieure taraudante pour tenter de résoudre le conflit entre le devoir de vérité auquel j’ai manqué et le souci de remplir les missions qui m’ont été confiées et notamment la dernière que je n’ai pu mener à bien. J’ai été pris dans une spirale du mensonge et m’y suis fourvoyé. Je suis dévasté par le remords.

Penser que je pourrais éviter d’affronter un passé que je voulais considérer comme révolu était une faute inqualifiable. J’affronterai désormais cette réalité en toute transparence. »


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