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ANI: l'accord qui cloche et choque

Publié le 12 avril 2013 par Juan
L'accord national interprofessionel (ANI) signé le 11 janvier 2013 entre le MEDEF et trois syndicats majoritaires déboule à l'Assemblée nationale pour sa transcription législative. Et la rage ou l'énervement de ses opposants et critiques avec. Dix jours plus tard, il est adopté en première lecture par un vote attendu mais surprenant.
La messe est-elle dite ?
La dernière séquence
Quand l'accord est signé après l'habituel suspense psychodramatique, on comprend vite que l'accord est mauvais. Ce n'est pas l'abrogation du code du travail, mais le document nous hisse en haut d'un tobogan à la méchante descente.
Le MEDEF s'en sort bien, trop bien. L'UMP cache mal sa joie.
Dès sa signature, nous pouvions relever les quelques avancées du droit social revendiqué par les syndicats signataires et le gouvernement, comme le relèvement des cotisations patronales pour les contrats très courts (moins de 3 mois), ou la création d'un compte personnel de formation transférable et d'un droit rechargeable à l'assurance chômage. Mais le pire était ailleurs: le contrat de travail individuel, demain, pourra être amendé par un accord collectif. Certes, il faudra respecter les minima légaux ou des conventions collectives de branche (sic!). Mais quand on mesure la (trop) faible représentativité des syndicats au sein des entreprises, on comprend l'inquiétude.
Cette simple mesure était déjà une honte.
Ensuite, l'exécution des plans sociaux dans les entreprises de moins de 50 salariés sera accélérée. En période de crise et de licenciements massifs, la justification éco-politique ("rassurer les employeurs en atténuant l'incertitude née de la longueur des procédures") est une tartufferie. Enfin, le texte prévoit d'autoriser l'expérimentation du recours à l'intermittence dans des secteurs qui n'y ont pas recours aujourd'hui. Une boîte de Pandore dont on ne comprend pas bien l'utilité de l'ouvrir...
Débat parlementaire... ou bien
Après la signature de cet accord le 11 janvier dernier, le gouvernement a amendé le texte initial dans sa version de proposition de loi. Le Medef a failli hurler, avant de comprendre que l'essentiel du texte initial serait respecté. Puis, près de trois longs mois plus tard, la loi est prête. L'un des députés socialistes les plus critiques contre l'ANI, Jérôme Guedj, député de l'Essonne (*), reconnaissait, au début de la discussion générale, que "par rapport à l’ANI, le texte qui nous est soumis (...) comporte déjà des enrichissements, des améliorations, des précisions nécessaires."
Mardi 2 avril, Michel Sapin croyait encore que le débat parlementaire permettrait de dissiper les "incompréhensions". Car il y en a, c'est sûr. Comment comprendre que les uns le vouent aux gémonies quand d'autres louent une "avancée historique" du dialogue ? Les députés membres de la commission des affaires sociales n'ont pas caché leur trouble devant les interprétations extrêmement divergentes des personnes auditionnées sur la portée de l'accord.
Mardi 2 avril, le ministre du Travail s'enflamme sans y croire: "Je n’ai jamais cédé à cette illusion naïve de l’égalité des forces. Je n’ai jamais cru qu’il n’y ait pas de divergence d’intérêts entre les employeurs et les salariés." Et d'ajouter: "Au contraire, c’est parce que des intérêts différents existent que l’on doit chercher et trouver des compromis qui les transcendent. La négociation n’est pas l’effacement des divergences, elle en est le dépassement. Et je prétends que cet accord et cette loi aideront à ce dépassement en donnant de nouvelles armes aux salariés et à leurs représentants." Et il défend un vrai point, la légitimité du dialogue social: "si l’accord ne vaut rien, si son contenu peut être complètement redéfini, à quoi bon négocier et s’engager en le signant ?" Car cette loi, aussi funeste soit-elle sur certains de ces aspects, est le fruit d'un compromis social.
A l'Assemblée, plus de 5.000 amendements sont pourtant déposés. Près de 4.000 proviennent des quelques élus du Front de Gauche, bien décidés à "dynamiter" le texte. Très faibles sont (malheureusement) leurs chances. Les débats ont été longs, mais les rangs clairsemés, comme le regrette l'un des socialistes opposants au texte, Jérôme Guedj: "j’étais fier d’être là nuit et jour pour le texte « Mariage pour tous » dans un hémicycle bien rempli. Je crois que le code du travail méritait le même engouement (si ce n’est plus)." Ces heures de débats, y compris nocturnes, sont littéralement effacés de l'agenda médiatique à cause de la déflagration Cahuzac. Car l'ancien ministre a tout avoué aux juges le jour même des premières discussions à l'Assemblée.
Il y avait pourtant des amendements pas si symboliques qu'ils n'y paraissent, comme celui, plusieurs fois déposés, qui vise à préciser dès le début du Code du Travail comment les choix de gestion des entreprises doivent-ils être orientés: "L’activité économique des entreprises de production de biens ou de services, qu’elles soient privées ou publiques, à but lucratif ou non, a pour finalités le bien être des producteurs, la sécurité de l’emploi et de la formation, la satisfaction des besoins des citoyens, la préservation de l’environnement." La proposition est évidemment contradictoire avec la logique capitaliste ou avec celle des entreprises à but explicitement lucratif.
La droite n'est pas en reste. Elle a notamment proposé de laisser aux entreprises le soin de choisir leurs mutuelles complémentaires (amendement 64: « Les modalités de choix de l’assureur s’effectuent, dans le respect du dialogue social, au niveau de chaque entreprise. ».)
Le député socialiste Pascal Terrasse propose d'améliorer la transparence des appels d'offre réalisés au niveau des branches pour le choix des assureurs. A quoi répondent un collectif de députés UMP pour réclamer davantage de transparence dans les comptes des syndicats...
A droite, l'UMP Dominique Dord confirme combien cet accord fait plaisir à droite: "il dit, et vous l’avez rappelé vous-même, monsieur le ministre, que le code du travail qui, dans votre culture, est un rempart, une protection, joue en fait contre l’emploi dans des situations comme celle dans laquelle nous nous trouvons."
Le texte est finalement adopté. Si ce résultat était - malheureusement - prévisible, le scrutin est presque surprenant: l'abstention est massive et majoritaire (278 sur 554 votants... soit 50,1%).
Et le texte alors ?
Au final, ces heures de débat n'inverse pas la donne. Rien n'est dynamité. Qui est surpris ? Voici donc les articles principaux, et quelques commentaires, principaux.
  • Article 1er: la généralisation de la couverture collective « santé » pour les salariés est une bonne chose, mais elle reste tardive, avant le 1er janvier 2016. La portabilité des droits aux couvertures « santé » et « prévoyance » en cas de rupture du contrat de travail non consécutive à une faute lourde est généralisée à tous les salariés dans la limite de douze mois. 
  • Article 2 : le compte personnel de formation assorti d'un dispositif d'accompagnement (le conseil en évolution professionnelle) est créé. Qui aurait pu s'opposer à cela ?
  • Article 3: le MEDEF conserve cette formidable idée de créer une "période de mobilité volontaire sécurisée" censée permettre aux salariés d'enrichir leur parcours professionnel. Les débats ont permis d'ajouter qu'il fallait alors prévoir dans un avenant au contrat de travail un délai "raisonnable" applicable au retour anticipé du salarié. Les débats ont aussi permis d'ajouter l'obligation d'une information semestrielle du comité d'entreprise des demandes de périodes de mobilité volontaire sécurisée de l'entreprise.
  • Article 5:  la représentation des salariés au conseil d'administration ou de surveillance des grandes entreprises implantées en France devient obligatoire, à raison de deux administrateurs représentant les salariés dans les sociétés dont le nombre d'administrateurs est supérieur à douze (et un s'il est égal ou inférieur à douze). Ces administrateurs élus ou désignés par les salariés devront disposer d'un droit à disposer du "temps nécessaire à l'exercice de leur mandat".
  • Article 8: le travail à temps partiel sera mieux encadré, en fixant une durée minimale de travail sur la base d'une référence hebdomadaire de vingt-quatre heures. C'est déjà ça.
  • Article 10: les entreprises devront organiser une négociation "triennale" sur les conditions de la mobilité interne professionnelle ou géographique. L'article valide la "prise en compte de la vie personnelle et familiale", et même les "contraintes de handicap et de santé" lors de la négociation. On tousse, on suffoque... Cet article autorise la mobilité des salariés, et les signataires de l'ANI nous avaient oublié de prendre en compte la vie personnelle, familiale et les conditions physiques dans la négociation... Alors, oui, le débat parlementaire a amélioré cette saloperie initiale.
  • Article 12: La mise en place d'un "nouveau cadre juridique spécifique aux entreprises confrontées à de graves difficultés économiques", appelé « accords de maintien de l'emploi ». est la partie qui heurte et fait hurler, à juste titre. L'examen parlementaire y a ajouté le respect de la durée légale de travail de 35 heures, c'était heureux. La disposition initiale ne se signifiait pas la fin du code du travail ni la fin du monde. Mais elle plaçait notre droit du travail sur une pente évidemment dangereuse. La fin du contrat individuel au profit d'accords collectifs dans un pays où le syndicalisme salarié est effroyablement faible.
  • L'article 13 est une autre dangerosité: la réforme de la procédure de licenciement collectif pour motif économique avec l'instauration "d'une voie négociée autour d'un accord majoritaire et d'une voie administrative reposant sur une homologation."  Car il s'agissait donc d'accélérer les licenciements... en période de crise...
  • L'article 18 est une curiosité ultra-libérale, l'autorisation des expérimentations du contrat à durée indéterminée intermittent jusqu'au 31 décembre 2014 dans les entreprises de moins de cinquante salariés.
Au final, voici donc l'ANI amendé trop modestement et donc voté. La partie est passée au Sénat. On peut penser que l'article sera avalé.
On peut, on doit tenir le gouvernement responsable pour cette adoption abstentionniste. On peut, on doit retenir combien le pays tout entier est resté si faible et peu mobilisé contre la Chose.
(*) il vota contre, finalement.
Lire le dossier législatif.

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