Claude Cauquil
Totem pour Saint Pierre
Dans le cadre du Grand Saint Pierre, dont la conception et la coordination ont été confiées à l’écrivain Patrick Chamoiseau, un appel à projets artistiques a été lancé en fin 2012 par le Parc Naturel Régional de Martinique qui en est le maître d’ouvrage. C’est la toute première étape de nombreux projets d’envergure.
L’idée est d’amplifier au maximum l’aura internationale dont la ville de Saint-Pierre. Afin de marquer l’amorce de cette évolution, des plasticiens ont été invités à créer, à partir de cylindre de bois de mahogany de cinq mètres de long, trente – deux totems destinés à l’aménagement provisoire de l’entrée sud du bourg de Saint Pierre.
Les sept lauréats, Claude Cauquil, Yolanda Naranjo, François Piquet, Maure, Laurent Valère, Hervé Beuze, Annabel Guerrro travaillent dans l’ancienne usine Socomor du Morne Rouge.
Après Anabell Guerrero, c’est Claude Cauquil qui répond aux questions de l’Aica Caraïbe du Sud.
Pouvez – vous présenter votre projet, à la fois sur le plan conceptuel et technique ?
L’appel à projet demandait une réalisation fondée tout particulièrement sur l’attraction du lieu, son patrimoine historique et culturel et le développement touristique autour de la ville de Saint-Pierre. Comme ma pratique est axée autour de l’humain et des anonymes en particulier, c’est sous cet angle que j’ai abordé la question. Je me suis attaché à évoquer, sous forme de portraits au cadrage rapproché, les passants, résidents ou de passage, qui au fil du temps ont sillonné les rues de la ville.
Je tenais, à travers ces pièces, à commémorer la catastrophe de 1902 sans tomber dans une évocation morbide des faits. J’ai donc choisi de présenter quelques visages endormis et un seul, en haut d’un des totems en train de crier.
L’accumulation de visages est la base de mon projet. Une quarantaine au total ; Comme le cahier des charges spécifie que le délai de réalisation est de trois mois, j’ai opté pour une technique picturale pour être sûr de livrer les réalisations dans les temps.
Chaque totem se présente sous la forme d’un épi, matérialisé par différentes facettes taillées dans la masse, où alternent visages peints et bois brut.
Les divers visages sont traités tour à tour en bichromie, couleurs réalistes, couleurs saturées, rappelant ainsi que toute vie peut, en fonction des circonstances, osciller de la flamboyance à la discrétion la plus totale en gardant une intensité de même nature et une valeur humaine équivalente.
Le choix des visages s’est fait à partir d’images d’archives de la ville de Saint-Pierre du début de la photographie jusqu’aujourd’hui s’attachant à mettre en valeur les anonymes.
Dans l’atelier du Morne Rouge
De l’esquisse à la réalisation, quelles surprises, quelles découvertes ?
La première surprise est évidement liée à la découverte des troncs, ils ont chacun une énergie, une personnalité propre qui oblige à adapter le projet papier à la réalité du bois.
La qualité de l’espace et de l’outillage mis à notre disposition m’a aussi très agréablement surpris.
Je pensais en amont que la partie picturale de la réalisation serait la plus laborieuse. Au final, c’est la préparation des supports, dégrossissage à la tronçonneuse, rabotage, ponçage, qui s’est avérée la plus fastidieuse. C’est un travail extrêmement plus physique que le travail de chevalet.
Les troncs étant couchés pour faciliter le travail, j’ai dû peindre les portraits à l’horizontale, ce qui m’a contraint à une gymnastique mentale assez intéressante.
Qu’apporte cette nouvelle expérience par rapport à tes réalisations antérieures dans l’espace public ?
C’est la première fois que j’étais confronté à un matériau vivant à aussi grande échelle. J’étais dans l’angoisse permanente que l’un des troncs se fende.
Les réalisations précédentes se faisaient in situ ou en collaboration avec des sous- traitants, ce qui implique des échanges permanents avec un public de passage ou des artisans. D’où un aller- retour constant entre concentration et rapports humains, ce qui est parfois
difficile à gérer.
Claude Cauquil
Totem pour Saint – Pierre
L’expérience du travail en commun dans cet immense atelier a – t- il modifié ton projet par des échanges, des interactions ?
Dans l’atelier de Morne Rouge chacun était concentré sur son travail et avait un grand respect de la concentration des autres. Les échanges se faisaient lors de courtes pauses. De plus nos horaires ainsi que nos jours de présence étaient souvent décalés en fonction de nos emplois du temps respectifs. Il n’était donc pas rare que l’un ou l’autre d’entre nous ait l’atelier pour lui tout seul. Cependant nous avons pas mal échangé au sujet des matériaux et techniques utilisés.