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Jean-Luc Mélenchon à la conquête des océans une interwiew de Paris Match

Publié le 13 avril 2013 par Lino83

Depuis plus d’un an, Jean-Luc Mélenchon a le regard tourné vers le large. Energies marines, avenir de la pêche, mariculture, exploitation des ressources minières, tous ces thèmes prennent une part de plus en plus importante dans ses propos. La France a le deuxième territoire maritime au monde et c'est en mer que se trouve son avenir, martèle-t-il à longueur de discours. Le patron du Parti de gauche multiplie les rencontres avec les professionnels du secteur, pêcheurs, ingénieurs ou scientifiques.

Pour sa conquête des océans, le député européen est conseillé par Nicolas Mayer, un Aquitain qui dirige le syndicat national des personnels de l'administration de la mer, rattaché à la CGT. L'homme est un fin connaisseur des dossiers maritimes, qui s'évertue à conjuguer les exigences de l'«écosocialisme», nouvelle doctrine de Mélenchon, aux perspectives offertes par l'expansion en mer. Jean-Luc Mélenchon, lui, est convaincu que le sujet est porteur d'une espérance qui a déserté la politique française. Pour Paris Match, le tribun a développé sa vision.

Paris Match. Pourquoi l’économie de la mer prend-t-elle désormais tant de place dans vos discours politiques? Jean-Luc Mélenchon. Au départ, j’étais à la recherche d’un horizon. De quelque chose qui soit susceptible d'enthousiasmer, de donner du sens à l’action économique et à l’action sociale. Un responsable politique, ça ne peut pas être simplement quelqu’un qui dit: «Moi, je vais vous expliquer comment réduire les dettes de telle sous-administration». Les français marchent à l’enthousiasme et aux défis! Je me suis aperçu en travaillant, en mettant les choses bout à bout, que je venais de mettre la main sur une politique globale qui donnait un point d’appui à un «keynésianisme» moderne.

Et pourtant, alors que vous en parlez très régulièrement aujourd’hui, ça ne figurait pas dans votre programme présidentiel. Dans la campagne présidentielle, j’ai aussi découvert tout un monde. C’est le contact avec les professionnels de la mer qui m’a mis en jambes, en quelque sorte. Ça m’a confronté à un milieu que je ne connaissais que de loin. Et à mesure que la campagne se déroulait, les défauts que contenait le programme -on peut trouver qu’il est davantage compilatoire que visionnaire à certains moments- m’ont paru insupportables. Je me suis dit: non, je ne peux pas continuer comme ça. Et puis, l’idée de l’expansion humaine en mer s’est présentée à moi comme une espèce d’antidote à la déprime générale. Et comme un fait d’évidence totalement occulté!

Vous dressez souvent un parallèle avec la conquête spatiale. D’où vous vient cette fascination pour le progrès scientifique? L’utopie d’un humanisme radical. On peut tout avec nos cerveaux à condition qu’ils ne soient pas encombrés de préjugés. Chaque fois qu’on fait la démonstration que c’est vrai, je hurle de joie. Et puis c’est très profond en moi et très ancré. Quand j’étais gamin, je découpais et je collectionnais les articles sur la conquête de l’espace. Je crois que j’ai encore dans ma cave un cahier où j’avais collé fiévreusement les exploits de la chienne Laïka et de Youri Gagarine.

"Le travail qu'avait fait Rocard pour l'Antarctique, c'était tout à fait admirable"

L’économie de la mer, c’est aussi du pétrole, du gaz, des terres rares dans les profondeurs des océans. Vous vous dites partisan de l’écosocialisme: quelle place y tiennent ces ressources? Nous avons pour l’essentiel une page neuve, même si l’expansion humaine en mer a commencé sur le mode néo-libéral. Il est temps de dire que certaines choses ne seront pas faites en mer. Il y a eu des moments de sagesse humaine, par exemple quand on a décidé que l’Antarctique serait un endroit préservé où l’on n’aurait pas le droit d’avoir certaines activités. On se rappelle du travail qu’avait fait Rocard pour ça, c’était tout à fait admirable.

Donc il ne s’agit pas d’exploiter par tous les moyens les fonds marins. Le but n’est pas de donner un nouvel espace à l’extractivisme forcené des productivistes. Nous voulons tirer de la mer des occasions d’améliorer le niveau écologique de notre production à terre. Il faut par exemple extraire de la mer l’énergie qui s’y trouve en permanence, qui est gratuite, qui est illimitée. Il faut développer la culture en mer des algues riches en protéines. Je sais bien que ça ne remplacera pas un bon bifteck. Mais on paie aussi l’élevage bovin mondial au prix fort: le gaz méthane des troupeaux, c’est une réalité.

Vous rejetez l’idée de croissance au profit de celle de progrès. Quelle est la différence à vos yeux? Quand on parle de croissance, on ne porte pas d’appréciation qualitative. C’est une illusion qui est au coeur de toutes les doctrines politiques actuelles. Les libéraux ne se posent pas de questions, puisqu’ils pensent que c’est le marché qui fait valoir la rationalité humaine. Le communisme d’état, quand vous combinez le mythe du développement sans fin des forces productives et l’illusion technicienne, ça vous donne la mer d’Aral. Et puis vous avez la social-démocratie, avec son air gentillet et doucereux, qui vous dit: «Nous allons partager les fruits de la croissance». Donc la croissance illimitée dans un monde illimité ! C’est absurde. L’élément qualitatif est absent de la pensée social-démocrate. L’écosocialisme veut rompre avec ça. Il ne s’agit pas de créer des instruments de pilotage idéologiques ou moraux, abstraits. Je déteste ça, je sais ce que ça donne immanquablement: des clergés, agressifs et haineux. Non, il nous faut des règles stables, compréhensibles par tous, y compris par ceux qui ne sont pas d’accord. Par exemple la «règle verte»: ne prendre pas davantage que ce qui pourra être reconstitué par la nature. Et bien sûr la planification écologique.

"Vous verrez, des gens de droite se mettront aussi à défendre cette idée"

N’est-ce pas difficile de financer de tels projets dans le contexte actuel? Honnêtement, c’est la question la plus simple. La France est immensément riche. Le niveau d’épargne des Français est gigantesque. Plutôt que de penser à la dévaliser, l’idée la plus intelligente serait de la réquisitionner. En France, vous pouvez augmenter tant que vous voulez le plafond du livret A, il y a toujours des gens qui vont au plafond. C’est mon cas. Parce qu’on n'a aucune culture financière, ça ne nous intéresse pas d’acheter des actions. La collecte qui permettrait le financement de ces activités est assez simple à réaliser.

La question de la mer n’a pas été totalement abandonnée ces dernières années. Le Grenelle de la mer, lancé par Nicolas Sarkozy, a permis par exemple de lancer des grands projets d’éoliennes en mer. Ma position dans cette affaire, c’est que j’ai intérêt à faire avancer cette idée. Tant que je n'ai pas besoin de le faire, je ne la conflictualise pas. Si vous êtes d’accord pour installer des hydroliennes, bravo, je me moque de savoir de quel bord politique vous êtes. Il y a une phase pendant laquelle on doit faire comme ça. Après, ça sera un objet de polémique: on me dira: «Vous, monsieur Mélenchon, vous êtes un planificateur, il faudrait créer des sociétés par actions...» Et là, la politique investira la question. Pour l’instant, je suis le seul à en parler, il faut faire émerger le champ.

Est-ce que vous chercherez à créer un rapport de force sur le sujet avec le gouvernement et Frédéric Cuvillier, le ministre des Transports, de la Mer et de la Pêche? Celui-là, je peux peut-être le convaincre. Je l’ai bien connu au PS. C’est un homme qui peut être ouvert intellectuellement. Et puis il faut quand même que nous parvenions à tirer quelque chose de cette équipe! On ne peut pas être dans la même situation que quand on était dans l’opposition à la droite. Certes, rien de ce qu’on raconte ne les intéresse. On est obligés de leur taper dessus rudement pour arriver à faire passer une idée. Mais on ne va pas dire que, comme ce gouvernement ne vaut rien, aucune de ses lois ne vaudrait rien. Quand Benoît Hamon va présenter sa loi sur les coopératives ouvrières et sur le droit de préemption des travailleurs, nous l’aiderons.

Pensez-vous réussir à convaincre d’abord vos partisans, puis les Français, de la pertinence de cette aventure maritime? Ça me prend du temps. Plus d’une fois les copains disent: «Ah, il recommence avec ça, le revoilà avec la mer». J’ai besoin que ceux qui me suivent comprennent ce que je suis en train de faire. Il ne faut pas qu’ils pensent: «Mais qu’est-ce qui lui prend, tout d’un coup, à se transformer en ingénieur maritime? Où va-t-il trouver ça? Quel rapport ça a avec notre vision du monde?» Nous sommes dans une phase de préparation des esprits. Ca marche fort auprès des gens qui sont directement impliqués dans l'économie de la mer. Certains qui ne sont pas du tout de mon bord viennent me voir et me disent: «C’est vous qui avez raison». Vous verrez, des gens de droite aussi se mettront à défendre cette idée, à la valoriser. J’aurais gagné quand on se disputera la paternité de l’idée sur la scène politique.


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