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Délétère et chaotique

Publié le 14 avril 2013 par Egea
  • France
  • Philosophie politique

Nous vivons un moment pour le moins surprenant. Comme le disait un de mes correspondants (PS), la situation est chaotique, au sens scientifique du terme. On ne peut prévoir l'étincelle qui va déclencher, mais l'environnement est à un tel point d'excitation que n’importe quoi peut avoir des effets incroyables. Le battement d'aile du papillon n'a d'effets que s'il intervient dans une situation météo très particulière. On est au-delà des signaux faibles : au fond, peu importe de savoir la situation de chacun des marchands de quatre-saisons de Tunisie intérieure pour sentir que quelque chose allait se passer. Nous en sommes là, aujourd’hui, en France, et en Europe. Qu’il soit immédiatement précisé que le constater et l'observer ne signifie en rien un appel quelconque aux débordements.

Délétère et chaotique
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1/ Le tableau français est en effet inquiétant.

  • Il y a crise économique, même si elle pourrait être plus vive avec des effets plus vigoureux encore (je le précise pour ceux qui m'objecteraient que les gens continuent de faire leurs courses et de se déplacer normalement : toutefois, partout autour de moi j'entends des constats que les affaires freinent et que les gens ne payent plus ou plus mal). Comme je l'ai déjà mentionné sur égéa, nous arrivons en fin de cycle, celui où il faut payer toutes les bulles accumulées les unes après les autres.
  • il y a une crise sociale et sociétale : pas seulement la manif pour tous, mais aussi ces pères divorcés qui montent en haut des grues, ces chômeurs qui s'immolent, ces ouvriers syndiqués qui font le coup de main....
  • Il y a une crise morale : il ne s'agit pas seulement d'argent roi ou de corruption, mais surtout du relativisme érigé en ultima ratio societis. S'il n'y a plus de valeur partagée, il n'y a plus de contrat social, et nous revenons en vitesse accélérée au monde pré- (ou post-) hobbésien, celui de la guerre de tous contre tous.
  • il y a une crise politique : non pas seulement à cause des affaires, avec ces à-coups incroyables que nous observons tous, mais surtout que la distinction droite et gauche n'a plus aucun sens. Je comprends bien qu'on essaye de cliver à nouveau la société sur cette question du mariage pour tous, mais cela ne sert qu'à masquer l'absence de projet politique réel. Politiquement, il n'y a plus de projet de droite, et il n'y a plus de projet de gauche. Nous sommes en panne de philosophie politique qui nous permette de penser la fin de l’État.

2/ Le tableau environnant n'est pas plus rassurant : l'extérieur ne va pas nous stabiliser, car il est lui-même profondément déstabilisé. En mars, une manifestation au Portugal a rassemblé 400.000 Personnes, dans un pays de 10 millions d'habitants. A l'échelle française, c'est une manif de 2,5 millions d'habitants ! En Grèce, Aube dorée. En Italie, pas de gouvernement. En Espagne, les indépendantistes. Au Danemark, la droite radicale à 20 % des voix. Les dérèglements politiques se multiplient en Europe. Aux États-Unis, le processus politique se bloque de plus en plus souvent, par exemple autour de la question de la "falaise budgétaire". Le Japon vit en déflation depuis vingt ans, avec un système politique connu pour son népotisme. Le système international est profondément déstabilisé : l’émergence voit la montée de pays qui jouent exclusivement leur carte, et aucune négociation internationale n'est arrivée à ses fins au cours des cinq dernières années (sauf le récent traité sur les exportations d'arme : mais je doute qu'il soit ratifié avant longtemps...).

3/ Les esprits s'échauffent, y compris contre la domination médiatique. Certains qui n'ont cessé de jouer avec l'agit-prop trotskiste s’étonnent de voir que leur opposants les prennent au mot. La chose est pourtant classique, et la dialectique révolutionnaire, insistant sur des résolutions maximalistes, entraîne par conséquent et en toute logique les radicalisations du camp opposé. Le cycle provocation/répression est un des artifices de base des activistes. Jouer après aux Saintes-n'y touche, quand on n'a cessé de verser du pétrole sur le feu, n'abusera que les idiots utiles, surtout quand, paradoxalement, les simili Jeanne d'Arc et du Guesclin, chevaliers sans peur et sans reproche, ont constamment bénéficié du soutien du système qui les a constamment porté. La révolte contre les icônes traduit la révolte contre le système médiatique, jugé partie prenante du système en son ensemble.

4/ Que se passe-t-il aujourd’hui ?

  • une partie des bonnes gens, qui ont pour la plupart manifesté pour la première fois de leur vie cet hiver, s'aperçoivent qu'il n'y a pas eu de débat autour de leur revendication. J'observe qu'une part d'entre eux sont ulcérés.
  • une autre partie des bonnes gens, qui ont plutôt l'habitude de manifester, voient que le camp qui est censé défendre leurs intérêts, et qui dispose de tous les leviers du pouvoir, ne fait pas d'autre politique. J'observe là aussi qu'une part d'entre eux sont également ulcérés.
  • Les envies de coup de fourche se multiplient. De tout bord. Et on ne peut réduire ça simplement (confortablement) à du simple "populisme".
  • j'observe enfin un décalage abyssal entre les "élites" et la population. La population ne croit plus aux "dirigeants", qu'ils soient politiques ou économiques ou médiatiques. Et les "dirigeants", notamment politiques, sont aujourd'hui complètement déphasés par rapport à la situation, et aux attentes du peuple. Et surtout, ils n'ont aucune idée, aucun projet, aucune pensée politique qui réponde aux défis du moment.
  • on continue donc de poursuivre les recettes habituelles : on croit que la machine est "réglable" et qu'il s'agit d’ajuster les réglages à coup de micro réformes. Voir le ministre des finances passer une journée à Bruxelles pour expliquer que notre déficit de l'an prochain sera de 2,9 % mais peut-être pas est proprement hallucinant. Mais cela ne fait traduire qu'une chose : l'alliance de fait entre une "gauche de gouvernement" et le "capital" (voir ce billet). Gauche et droite sont des notions dépassées. Trépassées.

La "crise" est aujourd’hui systémique (elle n'est d’ailleurs pas "crise", elle est épuisement de la logique interne du système). Il faudrait une réponse systémique, que le système ne peut produire de lui-même. Seul un choc provoquera ce basculement. Je n'appelle pas à ce choc : je crains qu'il ne soit désormais inéluctable, car nous sommes au-delà du délétère, nous abordons le chaotique. Cela fait quelque mois désormais que je note que la prochaine "surprise stratégique " aura lieu de Europe. L'épicentre en sera peut-être la France.

O. Kempf


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