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Facebook, nouvel outil du journaliste en zone de guerre

Publié le 03 avril 2013 par Npcheynel @journalismes
Mercredi 3 Avril 2013

Ces dernières années ont été marquées par l’essor des réseaux sociaux. De la recherche d'information à l'exutoire en passant par ses groupes privés, Facebook se détache du lot. Ce dernier a fait sa place dans un milieu où l’on ne l’attendait pas : le journalisme en zone de guerre.


Facebook, nouvel outil du journaliste en zone de guerre « Il arrive qu’en zone de guerre on reste coincé dans un hôtel. On finit par se demander ce qu’on fait là. Dans ces moments, poster un statut facebook, c’est un appel au soutien ».
Johan Demarle est un jeune reporter de guerre indépendant. Il est parti tourner au Mali pendant 2 mois après le lancement des opérations militaires de l’Armée française.
La meilleure façon d’avoir de ses nouvelles est de visiter sa page facebook. Tout au long de son périple, il poste des statuts. « Il y a plusieurs aspects dans ces statuts : je peux dire où je suis, faire des bilans de l’actualité sur place et dire ce que je ressens. C’est un peu un exutoire facebook, c’est aussi dire ce qui te brule les lèvres et que tu as besoin de véhiculer avant même d’entrer en post-production. » S’il diffuse assez librement des informations sur ce réseau social, c’est aussi parce qu’il a barricadé son profil facebook. « Je n’utilise pas mon vrai nom, seul mes amis peuvent voir mes messages. » Conséquence : en réponse aux messages à tournure journalistique, les commentaires sont des encouragements du type "bravo", "courage", "take care".

" L’outil est facebook. C’est sur ce site que les groupes s’organisent."

Ainsi, l’essor des réseaux sociaux permet une évolution de la situation du reporter en zone de guerre. Les amis de Johan Demarle ne voient que la partie émergée de l’iceberg. C’est un changement plus profond qui s’opère, en particulier depuis les printemps arabes.
Le directeur de la section Urgence d’Human Right Watch, Peter Bouckaert, est un des artisans de cette évolution. Après la mort de son ami journaliste Tim Hetherington à Misrata le 21 avril 2011, il décide de lutter contre cette insécurité en créant un groupe privé facebook. « Je l’ai fondé avec des amis indépendamment de mon activité à Human Right Watch suite aux évènements en Libye. Le problème des journalistes en zone de guerre, c’est qu’ils sont très souvent seuls sur place, sans possibilité d’accéder à des informations pour assurer leur sécurité. Ce groupe est une plateforme logistique sur laquelle les journalistes s’échangent des contacts de fixeurs, traducteurs, chauffeur et des conseils sur la sécurité. »

Cette initiative est une main tendue pour les journalistes indépendants qui préparent leur reportage sans structure en amont. Johan Demarle s’est inscrit dans le groupe de Peter Bouckaert lors de son séjour en Syrie. « Quand je préparais mon itinéraire pour traverser la frontière du Liban vers la Syrie, je me suis connecté à ce groupe. Un journaliste avait laissé un message pour annoncer que des mines avaient été disséminées dans la zone alaouite au nord du pays. J’ai donc décidé d’entrer en Syrie en passant par Wadi Khaleb au nord-est du Liban. » 
Le groupe, dont le nom doit être tût pour des raisons de sécurité, rencontre immédiatement un succès conséquent auprès de la sphère du journalisme en zone de guerre. Il comptabilise aujourd’hui plus de 3800 personnes avec le passage de membres éminents comme la défunte Marie Colvin. Pour Peter Bouckaert, ce groupe offre d’autres opportunités que la simple plateforme logistique. « C’est aussi très important que les journalistes chevronnés puissent partager leur expérience avec les jeunes journalistes. »

Les limites du réseau social

Cependant, pour le reporter indépendant, Jacques Duplessy, la prudence est le maître mot de l’utilisation de cet outil. « Je fais toujours très attention pour plusieurs raisons. D’abord pour une question de concurrence : je garde mes infos, il faut que j’ai quelque chose à raconter dans mes papiers. Ensuite pour la sécurité, je ne dis jamais où je suis, ce que je fais. Comment peut-on être sûr que parmi les membres, il ne puisse pas y avoir des barbouzes ?»
Un problème auquel Peter Bouckaert a été confronté « Pour être dans le groupe il faut être journaliste, photographe ou humanitaire et travailler en zone de guerre. On a déjà expulsé des membres [du groupe] pour des raisons de sécurité. Certains avaient des activités trop proches de Bachar el Assad et des membres l'ont signalé. Du coup, autour de la plateforme générale, nous avons créé beaucoup d’autres plateformes plus spécifiques dans lesquelles nous sommes beaucoup plus strictes dans les admissions afin de mieux contrôler la sécurité. » 

L'autorégulation semble donc être de mise, afin d'éviter l'infiltration par des officiels des Etats. De ce fait des groupes fermés réduits se spécialisent en se limitant à un thème, une région. Pourtant Jacques Duplessy reste méfiant devant ces initiatives. « Je considère qu’il n’y a aucune confidentialité sur les groupes de ce type et ceux qui gravitent autour. Après, j’ai des groupes privés comme celui de mon collectif Extra-Muros, dans lequel on est très peu, on se connait tous. C’est fermé, personne de l’extérieur ne peut voir qui sont les membres et ce qu’on se dit. On est une vingtaine et on s’échange principalement des contacts, un carnet d’adresse. » La seule constante dans ces groupes reste l’hébergeur, c'est-à-dire le célèbre réseau social. « L’outil est facebook. C’est sur ce site que les groupes s’organisent » insiste Jacques Duplessy.

En dehors des groupes, Johan Demarle utilise ce réseau social pour ses abonnements aux pages spécialisées. « En Syrie je suivais les pages de l’ASL (Armée syrienne libre). On clique sur j’aime et on reçoit régulièrement toutes les infos. Il m’est arrivé aussi de contacter des militants par ce biais ».  
Dans le domaine de la veille d’information, le réseau social au milliard d’utilisateurs se voit concurrencé par d’autres outils web.  Jacques Duplessy considère Facebook comme complémentaire. « Je trouve aussi des contacts sur Twitter ou Linkedin. » Pour le reporter chevronné, la révolution du web 2.0 a ses limites. « Ces nouveaux réseaux sont très bien pour les reporters sans énormément d’expériences et de contacts. Après rien ne remplace le travail de préparation avant de partir. Ca n’enlève pas les risques : ce n’est pas une assurance de la qualité d’un fixeur, de celle d’un traducteur honnête ou encore d’un bon chauffeur avec une bonne voiture. […] Il n’y a pas que le web, les contacts se trouvent aussi dans les hôtels sur le terrain. C’est ce que j’ai fait en Libye. » Une manière de rappeler que c'est avant tout sur le terrain "réel" qu'un reportage se construit.
 

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