Dans un peu moins d’un an se tiendront les prochaines élections municipales. Ces élections sont souvent présentées comme bénéficiant d’un statut particulier : en effet, elles apparaissent en général fortement personnalisées, tout comme l’élection présidentielle, et « tiraillées » entre les enjeux locaux et nationaux, tout comme les autres élections qualifiées d’intermédiaires, les premiers l’emportant jusqu’à aujourd’hui sur les seconds dans les déclarations et comportements des votants. Dans ce contexte, le Maire incarne un acteur politique de proximité connu et le plus souvent apprécié de ces administrés et l’on n’observe pas toujours de logique ou de cohérence entre l’expression au niveau national (vote à l’élection présidentielle) et celle au niveau local (vote à l’élection municipale). En nous appuyant principalement sur une enquête de Harris Interactive conduite auprès des habitants des communes d’au moins 3500 habitants (seuil au-delà duquel l’élection se fait au scrutin de liste à deux tours), nous avons réinterrogé ce statut particulier des élections municipales.
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Des territoires de proximité essentiels, des Maires connus et appréciés… mais pas épargnés par la défiance croissante à l’égard des élus
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L’enquête menée par Harris Interactive démontre non seulement la large satisfaction des Français d’habiter au sein de leur commune (83%, dont 20% « très satisfaits ») mais également leur fort attachement à cet échelon territorial de proximité : en effet, 76% des répondants se déclarent attachés à leur commune et 75% indiquent même qu’ils recommanderaient à un de leurs proches de venir y habiter. Loin d’apparaître comme des individus déracinés dans une société de plus en plus mondialisée, les Français continuent à entretenir une relation forte avec leur commune, ce qui se traduit, nous allons le voir, par des attentes marquées et étendues à l’égard des équipes municipales.
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Non seulement les Français tissent une relation étroite avec leur commune mais ils perçoivent également leur édile de manière particulièrement positive. En effet, le maire constitue un élu de proximité connu et apprécié. Bien identifié, « personnifiant » parfois « sa » ville, le Maire bénéficie en général de la confiance d’une majorité de ses administrés. 64% des personnes interrogées indiquent ainsi avoir une bonne opinion de leur maire. Et dans une enquête réalisée récemment par Harris Interactive pour Res Publica au sujet de la démocratie locale, 61% des Français mentionnaient avoir confiance dans leurs élus municipaux pour prendre de bonnes décisions. Ces chiffres, comparés aux cotes de confiance de l’exécutif (35% pour François Hollande et 31% pour Jean-Marc Ayrault dans la dernière vague de notre baromètre) ou mis en regard avec la confiance exprimée à l’égard des parlementaires (40%), font état d’un statut particulier, voire privilégié, du maire. Ce dernier est d’ailleurs jugé majoritairement honnête (66%), sympathique (66%), compétent (65%) et dynamique (62%), autant de qualités souvent déniées aux représentants politiques nationaux.
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Toutefois, la figure du maire n’apparaît pas totalement épargnée par la crise de la représentation. En effet, la confiance à son égard, bien qu’encore significativement meilleure que celle envers les représentants nationaux, est tendanciellement en baisse (-4 points depuis 2011). Et seuls 43% des Français des communes de plus de 3500 habitants considèrent que leur maire est proche de leurs préoccupations, signe que le sentiment d’éloignement croissant entre les Français et leurs élus touche également le premier d’entre eux au niveau des territoires. Autre signe de cette désaffection croissante à l’égard de l’élu municipal, la progression constante de l’abstention depuis les élections municipales de 1983, jusqu’à atteindre en 2008 plus d’un tiers de l’électorat. Certes, cela reste en deçà des taux mesurés pour les élections cantonales, régionales ou européennes, mais révèle sans doute en creux une moins bonne image du Maire et une moins bonne appropriation des actions locales.
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Des Maires bien implantés qui bénéficient de la « prime aux sortants » … mais confrontés au désir de renouvellement et de diversification du corps politique
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Les Maires en place bénéficient généralement d’un taux de notoriété élevé et d’une bonne opinion se traduisant par un fort taux de réélection. En effet, les élections municipales de 2008 comme de 2001 ont conduit à la réélection d’environ 60% des maires en fonction. Le bilan constitue d’ailleurs un des principaux motifs de vote identifiés par les Français : 83% des électeurs estiment que cet élément compte dans leur choix de vote, et même un sur deux qu’il intervient beaucoup au moment de glisser son bulletin dans l’urne.
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Mais ce mécanisme de « prime aux sortants » est aujourd’hui contrecarré par un fort désir affiché de renouvellement et de diversification du corps politique, y compris à l’échelle locale. Ainsi, dans une enquête réalisée pour l’émission Place aux idées diffusée par LCP, les Français se montrent majoritairement favorables à différentes mesures visant un renouvellement du corps politique : 79% déclarent être favorables, et même 45% tout à fait favorables, à la fixation d’une limite d’âge maximale pour se présenter à une élection. 67% adhèrent à l’idée d’imposer aux partis politiques la parité hommes / femmes parmi les candidats pour les élections cantonales, municipales, régionales, législatives et européennes, 65% à celle consistant à fixer des quotas de personnes issues du secteur privé pour ces mêmes élections, et 45% indiquent être en faveur de quotas de personnes issues de la diversité.
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Il est difficile de pronostiquer la manière dont ces deux tendances contradictoires seront susceptibles d’influer sur le choix des candidats par les partis politiques puis sur le vote des Français lors des prochaines élections municipales : dans un contexte de crise, les Français privilégieront-ils le caractère rassurant de l’expérience ou la fierté d’avoir un maire occupant parfois d’autres fonctions au niveau national ? Ou feront-ils le choix, dans le contexte de crise de la représentation, de promouvoir des jeunes, des femmes et des membres de la société civile, plus novices, à des fonctions politiques locales ?
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Des enjeux territoriaux distincts et prépondérants… mais de plus en plus lus à travers un prisme national
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Autre dualité affectant les élections municipales : la balance entre les enjeux locaux et les enjeux nationaux. Dans leurs réponses, les Français indiquent que les enjeux locaux déterminent davantage leur vote que les enjeux nationaux : 90% contre 62%. Toutefois, cette dernière proportion montre clairement que les enjeux nationaux sont susceptibles de constituer un levier puissant du vote, particulièrement pour certaines catégories de la population. En effet, si les sympathisants de Gauche et les habitants des petites communes accordent dans leur déclaration un poids plus important que la moyenne aux enjeux locaux, les sympathisants du Front National et les habitants des plus grandes villes ont davantage tendance à « nationaliser » le scrutin. 70% des sympathisants du Front National déclarent ainsi que les enjeux nationaux pèseront sur leur vote, soit quasiment autant que les enjeux locaux. Près d’un Français sur deux déclare que son vote en mars prochain aura vocation à adresser un message à l’exécutif, 9% déclarant vouloir exprimer leur soutien à l’encontre de François Hollande et du gouvernement, et 35% leur mécontentement. Le vote qui permettra d’élire les représentants des communes françaises ne sera donc pas déconnecté de la situation que l’on connait aujourd’hui à l’échelle du pays.
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Et ceci d’autant plus que les Français, qui avaient tendance auparavant à faire nettement la différence entre la situation du pays, jugée difficile, et la situation locale ou leur situation personnelle, jugées davantage préservées, n’établissent plus aujourd’hui que des modulations ténues. Ainsi, lorsqu’on demande aux Français de porter un regard rétrospectif et un regard projectif sur la vie dans leur commune, un tiers porte un regard plutôt positif, un tiers un regard plutôt négatif, le dernier tiers considérant que c’est une forme de statu-quo qui prévaut. Ces chiffres sont assez proches des tendances relevées au cours d’un sondage effectué le jour du second tour de l’élection présidentielle de 2012. A l’évocation de l’élection de François Hollande, 31% anticipaient alors une amélioration de la situation de la France, 44% une dégradation et 25% ni l’un ni l’autre. Concernant leur propre situation personnelle, 23% des Français anticipaient une amélioration, 41% une dégradation et 36% ni l’un ni l’autre. On observe ainsi une forme de convergence, le pessimisme existant à l’échelle nationale ayant tendance à « contaminer » de plus en plus le local, ceci étant particulièrement vrai pour la frange de la population se sentant proche du Front National. La question est aujourd’hui de savoir à quel niveau cela s’incarnera dans le comportement électoral des Français et si les derniers succès du FN à l’échelle du pays ou de circonscriptions sont transposables à l’échelle municipale.
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Le prisme de plus en plus présent de la gestion des dépenses publiques, y compris à l’échelle locale
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Ce croisement des perspectives locales et nationales s’observe également dans la détermination des enjeux prioritaires pour les prochaines élections municipales. On se souvient que la lutte contre la dette et les déficits publics constituait la deuxième thématique ayant le plus pesé sur le vote des électeurs lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2012. En effet, 38% des électeurs citaient ce thème parmi les cinq ayant le plus compté à leurs yeux, juste derrière l’emploi et devant le pouvoir d’achat. Et la campagne avait largement mis en avant cette dimension dans le programme des candidats. Tout laisse à penser que la question des dépenses publiques pourrait être déterminante également pour les élections municipales. En effet, 86% des Français estiment qu’il devrait s’agir là d’un sujet prioritaire, et même 41% tout à fait prioritaire, pour les équipes municipales lors des prochaines années, seuls 48% des répondants se déclarant aujourd’hui satisfaits des dépenses de la municipalité et 38% des impôts locaux. Ainsi, l’endettement et la priorisation des dépenses publiques ne sont plus seulement des problématiques nationales mais également locales, l’efficacité de l’action des équipes municipales étant désormais de plus en plus regardée sous l’angle de la saine gestion, et ce aussi bien par les sympathisants de Gauche que par les sympathisants de Droite. Néanmoins, si la bonne gestion est regardée unanimement comme une condition nécessaire de l’action, il n’en demeure pas moins que les initiatives à mettre en œuvre diffèrent en fonction de la proximité politique des répondants.
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Ainsi, les sympathisants de Gauche accordent une importance notable aux services en direction des familles ainsi qu’en direction des personnes en difficulté. Les sympathisants de Droite se montrent particulièrement exigeants et critiques sur la question de la sécurité, qui constitue la première des priorités à leurs yeux. Ils mettent également en avant des dimensions très quotidiennes comme la circulation et le stationnement, jugés problématiques, et font du maintien et de l’installation des commerces une priorité des équipes municipales. A l’inverse, ils semblent avoir moins d’attentes à l’égard de la commune en ce qui concerne les aides aux familles et aux personnes défavorisées. Les attentes des sympathisants du Front National font encore apparaître un profil différent : si là encore, les dépenses de la municipalité et les impôts locaux figurent en bonne place parmi les priorités affectées aux communes, on voit apparaître des attentes spécifiques mettant en exergue des thèmes chers aux leaders frontistes : la sécurité bien sûr, comme pour la Droite traditionnelle, mais aussi la « défense des petits », à travers le caractère prioritaire attribué à la participation des citoyens aux décisions, l’aide au maintien et à l’installation de commerces ou encore le maintien et la qualité des services publics. Exprimant à travers l’ensemble de l’enquête leurs inquiétudes et leurs revendications, y compris à cette échelle communale, les sympathisants frontistes pourraient vouloir de nouveau signifier dans les urnes pour les prochaines élections municipales leur sentiment d’être abandonnés par une classe politique de plus en plus éloignée de ces préoccupations quotidiennes très ancrées dans les territoires.
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Si pour le moment les communes et les maires conservent encore un statut un peu « à part » dans le cœur des Français, celui-ci semble néanmoins de plus en plus se diluer dans le pessimisme national, la remise en cause de la représentation et la prégnance des enjeux financiers. Comment cela est-il susceptible de se traduire lors des prochaines élections municipales ? Nous vous proposons dans un prochain article d’ébaucher des pistes de réponses à travers l’analyse des premières intentions de vote.