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"A la légère" de Michel Déon

Publié le 19 avril 2013 par Francisrichard @francisrichard

Depuis plus de quarante ans, je lis du Michel Déon, sans me lasser. A vingt ans, je l'ai découvert. Il venait d'obtenir le Prix Interallié pour les Poneys sauvages, qui fait partie depuis lors de mes livres culte.

A la légère est un recueil de nouvelles qui ont paru dans des magazines à des dates entourant celle de ma naissance, entre 1947 et 1957, décennie d'après-guerre, de retour à la vie, après des années sinistres.

En lisant ces nouvelles, je me retrouve en terrain connu. Est mien le regard romanesque que porte Déon sur les êtres et les choses. Est mienne la manière dont son imagination s'emballe à partir de menus détails qui font la beauté féminine.

Toutes ces nouvelles sont une invitation au voyage. Déon y part pour des pays et des lieux qu'il fait siens et lui ressemblent donc.

Paris, un bord de mer, Genève, la piste d'un cirque, Formentera prennent sous sa plume des couleurs singulières, qui me parlent et me font rêver. 

Alors que je peux distinguer le Léman noir de cette nuit, à travers les frondaisons du parc qui jouxte mon jardinet d'Ouchy, je relis la phrase qui donne son titre au recueil et qui suit un "je t'aime" lâché imprudemment par le jeune diplomate Jérôme, au bord du lac, à une jeune femme mal prénommée Constance:

"Sa faute était de s'être aventuré à la légère sur un terrain mouvant."

Celui de l'amour avoué sans y penser, pour avoir le menu plaisir de lui tenir le bras...

Car, en disant ce "je t'aime", Jérôme ne ment pas. Il n'en sait tout simplement rien. Mais il est prêt, quoi qu'il arrive, à honorer sa signature.

C'est également à la légère, dans une autre nouvelle, que Tristan demande à Geneviève incrédule si elle porte une culotte blanche...

Il faut dire que peu de temps auparavant, Jérôme a reçue la jeune bibliothécaire dans son bureau du Quai d'Orsay, porteuse des annuaires diplomatiques des années 1890 et 1905. Quand elle choisit de s'installer dans le fauteuil en face de lui, levant les yeux il la détaille rapidement, alors qu'elle regarde dehors tomber les premiers flocons de neige:

"Son visage était nu, sans apprêt, avec des lèvres d'un admirable dessin, des yeux gris qui remontaient légèrement vers les tempes. Assise, elle croisait les jambes et le rebord du fauteuil tirait en arrière le bas de sa robe de laine, découvrant le genou très lisse, le bas noir qui coupait la chair de la cuisse et, très loin, l'amorce d'un linge blanc."...

C'est cette image de Geneviève qui jouera les trouble-fête quand il sera dans les bras d'une autre...

Le narrateur d'une autre nouvelle danse avec Agnès. Chaperonnée par sa grand-mère, elle prend nue des bains très matinaux après avoir, sur la plage, laissé tomber peignoir et enlever maillot, reconnaissable à ses longues jambes brunes et à ses belles épaules. Il se laisse aller:

"J'approchai ma joue brûlante de celle d'Agnès. Elle ne recula pas. Un moment, nous restâmes ainsi l'un contre l'autre. Je n'osais plus parler. Ce fut elle qui, tout d'un coup, renversa la tête en arrière, sourit et lâcha: - Et Irène?"

Le prénom de sa femme...

Dans chacune de ces nouvelles, il y a donc de belles femmes. Dans la dernière, Une nuit à Formentera, le narrateur, écrivain de son métier, voit dans la jeune femme espagnole qui l'héberge la belle Akrivie, d'une nouvelle de Gobineau, et il écrit:

"Dans cette nuit humide et fraîche, sous ce ciel sans lune à peine semé d'étoiles, il aurait pu me venir des pensées sur les mystérieuses rencontres de la littérature et de la réalité, sur la façon dont la première rejoint la seconde contre toute vraisemblance, mais ce n'était pas encore l'année. Je devais découvrir plus tard, une fois mon attention éveillée par plusieurs signes de ce genre, combien les choses que nous écrivons avec le secret espoir de les voir un jour prendre corps, influent sur notre destin."

De telles lignes ne peuvent que trouver une résonance chez le lecteur impénitent, qui engrange, à la faveur de ses lectures et de ses notes de lecture, "plus de souvenirs que s'il avait mille ans". Comme Charles Baudelaire...

Francis Richard

A la légère, Michel Déon, 128 pages, Finitude


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