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La romance Caroline

Publié le 19 avril 2013 par Tchekfou @Vivien_hoch
Caroline était la justicière en cape noire au secours des média en panne d'arguments moraux.

Caroline était la justicière en cape noire au secours des média en panne d’arguments moraux.

Il y avait dans Paris une militante qu’on appelait Caroline. Elle avait pour couverture la carte de presse. Elle donnait l’air intelligent, parfaitement intègre dans son refus d’intégrité, une femme aux prétentions masculines.  Les éternels pulls et jeans noirs qu’elle portait semblaient vouloir cacher son corps, ou lui laisser une allure parfaitement indifférenciée. Ne pas être le produit d’une société, ou d’un genre, tellement à se distinguer de la masse qu’elle n’était plus reconnaissable de personne, qu’à vouloir se distinguer de l’humanité elle devenait un ange.

Caroline volait, de média en média, persuadé en bon ange qu’elle était, que tout ce qu’il y avait de désincarné reflétait la réalité. Ses apparitions fugaces laissaient de marbre. En revanche, les propos étaient rapides, extrêmement concis, la cible visée directement touchée : sa force résidait dans la parole, dans l’idée incisive qui déployait le système de pensée qui faisait son univers angélique. Bref, la maison de Caroline, c’était les nuages de la pensée progressiste, si loin du monde, si loin de moi, en osmose avec elle-même. Caroline, c’était la personnification de son ordre d’idées auquel une poignée d’individus adhérait et qu’elle tentait d’imposer auprès du seul vecteur de réalité existant pour les schizophrènes affranchis : le média.

Caroline ne s’adressait qu’au media. Pas au journaliste d’ailleurs, trop humain, trop incorporé. Les émotions des êtres charnels la laissaient de marbre. Non, la caméra suffisait. Devant elle, son rictus marquait son mépris. Son mépris pour l’autre, l’opposé, le dissemblable. Une seule vertu : l’égalité, le semblable, l’égo, le moi.

Les média la confortaient dans son système, moins par conformité d’idée que par crainte. Comme Robespierre, elle inspirait la peur. Car son système de pensée était un système moral. Caroline était l’inquisitrice pour la préservation de son propre idéal. Elle était l’idéologue par excellence, la Torquemada de Michelet, la janséniste de Port Royal.

Avec elle, la grande majorité des journalistes était d’accord. La corporation se sentait contrainte d’accepter ce qu’elle considérait finalement comme la personnification d’une morale qu’elle n’osait s’imposer totalement. Elle était leur bonne conscience. Un peu trop d’ailleurs. Un peu mère la rigueur dans la morale post-moderne. L’ange du bien qui rappelait à l’ordre. Justicière en cape noire qui venait sauver Laurent Ruquier des griffes de Frigide Barjot. Avec pour elle, une arme, la seule qui avait de la valeur à ses yeux, tant le déni du corps était latent : l’esprit.

Cet esprit valsait d’un libertarisme moral à une morale libertaire si vite qu’il était presque impossible de dissocier ce qui relevait du discours d’émancipation ou de l’injonction. Elle consacrait l’idéologie libérale en même temps qu’elle s’acharnait à la combattre, ce qui convenait à l’ensemble de l’élite, soucieux que cette dialectique puisse perdurer le plus longtemps possible, afin de faire cohabiter morale et profit. Les opposants libéraux à Caroline, ceux qu’on appelle communément les libéraux-conservateurs – en contradiction à force de vouloir arrêter la marche du progrès dont ils ont jusque-là été les bénéficiaires –, ne pouvaient faire face à sa rhétorique d’autant plus qu’en tant que pur esprit, elle la maniait fort bien.

En revanche, la sémantique était pauvre. Elle appauvrissait le débat tout en lui donnant le sentiment de l’enrichir. L’écouter ou la lire à plusieurs reprises était un vrai écœurement à force d’entendre la même symphonie des mots, le même champ lexical : pêle-mêle, on y trouvait les termes de ‘nationalisme’, ‘ligue’, ‘fascisme’, ‘nazisme’ avec des petits rajouts qui n’ont souvent pas grand sens, mais qui donne un effet de style, comme par exemple ‘ultra’ ou ‘néo’, ce qui peut donner une phrase du genre : « le journaliste ultra-nationaliste fasciste Edmond a rencontré le comique néo-antisémite Dieudonné, contre l’Etat d’Israël ». Sa stratégie était d’imposer son système de pensée. Dans les débats, sa tactique était d’occuper en permanence l’adversaire par un flot de parole ininterrompu dans un discours très bien construit mais très répétitif : à cet égard, elle ressemblait à Olivier Besancenot, le postier du Nouveau Parti Anticapitaliste, dont le discours parfaitement rodé séduisait tous les bourgeois bohèmes du centre-ville parisien culpabilisés par leur excessive richesse. Caroline peaufinait sa prise de parole, comme un boxeur son upercut devant un punching ball. Et on sentait à chaque fois de l’entrainement, du temps passé derrière le miroir, non à se dire qu’elle était belle – c’est un ange –, mais à contempler le son de sa voix, le sens de ses propos.

Cette contemplation d’elle-même, cet entrisme se mesurait dans ses reportages dont elle était à la fois la réalisatrice, l’intervieweuse, le personnage principal et la voix off. Dans cet extrait des Enragés de l’identité, on la voit au pas de charge peaufiner son investigation dans les rues de Paris, en nous faisant part de l’avancée de son enquête dans les milieux identitaires. Dans ses interviews, l’interrogé a autant d’importance que son hochement de tête pour acquiescer ou au contraire désapprouver les propos. Comme si elle était le référent moral de l’émission qu’elle réalisait. Comme s’il était impératif de préciser aux téléspectateurs qui la regarderaient : « Bien ! », « Pas bien ! », « Ah ! non, il fallait dire ‘pas bien’, on voit une croix gammée dans le rétroviseur ! ».

Caroline était ravie, lors de son dernier passage à Nantes, de rencontrer des opposants au Mariage pour tous qui s’en prenaient à elle, alors même qu’elle se déplaçait pour un colloque sur l’Islam. Enfin, sa morale libertaire prenait sens, enfin, un cas pratique de son manichéisme progressiste. Enfin, des méchants ! Du moins les nommait-elle ainsi : « Il faut désormais les appeler par leur nom. La rage, la haine de ces ligues — allant de militants du Front national à des groupuscules fascisants en passant par des Instituts catholiques intégristes formant ce qu’ils appellent le ‘printemps français’ — ressemble à de la phobie… Envers les homosexuels, l’égalité des droits, et la laïcité. » (Cf son blog) Voyez ce vieil usage sémantique démodé datant du militantisme des années 1990. Bien-sûr, il lui fallait exacerber le trait : il fallait que ces jeunes ados pré-puber, qui avaient besoin d’une activité ludique avant de pavaner dans les soirées rallyes organisées par ces bonnes vieilles familles nantaises, deviennent on ne sait comment « des nervis proches de Civitas et de Jeunesses nationalistes ». « Cours, cours Fourest », avaient-ils dit. Pour elle, c’était une menace à son intégrité, suffisante pour justifier une protection. Ça ressemblait plutôt à de l’humour. Mais Caroline ne rit pas, Caroline est un ange. Quand l’Express lui a demandé sa réaction, elle a répondu : « Je suis restée très calme ». Toujours posée Caroline, l’idée est excessive, mais jamais le comportement, Caroline est un ange.

A l’autre question, pourquoi s’en prennent-ils à vous ?, elle a ajouté : « Je suis attaquée pour ce que je représente et pour mes travaux ».  Caroline a tout à fait raison, elle est attaquée pour ce qu’elle représente, à savoir ce monde imaginaire, irréelle, utopiste qu’elle impose aux média, et à travers eux, à tous, elle impose la verticalité d’une décision liée à une vision horizontale du devenir humain, une morale qui est celle de demain, mais qui doit être appliquée dès aujourd’hui en raison même de son caractère différé. Si Caroline est rétro, elle n’a jamais été autant d’actualité, elle n’a jamais autant personnifié ce dernier bastion de la modernité. Elle représente la fin d’un monde.

Pierre Mayrant


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