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250 milliards de dollars: les profits des spéculateurs sur les matières premières en une décennie

Publié le 21 avril 2013 par Eldon

Food speculation graphic 007 250 milliards de dollars: les profits des spéculateurs sur les matières premières en une décennieTout simplement incroyable. 250 milliards de dollars ou 191 milliards d’euros, c’est le montant des profits accumulés en dix ans de 2003 à 2012 par les sociétés spécialisées dans la spéculation sur les matières premières. Plus que les constructeurs automobiles  (179 milliards d’euros pour Toyota, Volkswagen, BMW, Renault et Ford) ou les grandes banques de Wall Street ( 171 milliards d’euros pour JPMorgan, Goldman Sachs et Morgan Stanley).

Qu’on nous dise ensuite qu’il n’y a pas d’argent, que c’est la crise et qu’il faut consentir à une « chimiothérapie » pour éradiquer « le cancer de la dette » comme l’a affirmé Philippe Dessertine, économiste à la solde des banques s’il en est, à l’émission « C dans l’air de jeudi dernier ».

Article de Mathilde Damgé dans Le Monde

Les négociants, pierre angulaire des échanges mondiaux de matières premières, font traditionnellement le lien entre producteurs et consommateurs. Pourtant leurs noms (Glencore, Vitol, Trafigura, Gunvor, Cargill, Archer Daniels Midland, Louis Dreyfus, Wilmar, Noble, Mitsubishi, Mitsui) ne sont pas encore connus du grand public.

Lire : Les négociants prennent la main sur le marché des matières premières

Les chiffres d’affaires font encore davantage vaciller : les revenus des dix plus gros négociants en 2012 tournent autour de 916 milliards d’euros, soit l’équivalent du PIB de la Corée du Sud. Toutes ces données, compilées par le Financial Times, dessinent un paysage impressionnant et jusqu’ici méconnu puisque rares sont les négociants cotés en Bourse et contraints à un minimum de transparence financière – des entreprises peu ou pas régulées, comme la plupart des grandes multinationales opérant dans des pays en développement.

Le quotidien de la City s’interroge sur la taille de ces intermédiaires dont les besoins en liquidités surpassent désormais la capacité de prêt des banques. Ainsi, quand le russe Rosneft décide d’acquérir son concurrent TNK-BP pour créer le premier pétrolier mondial coté et se met en quête de 42 milliards d’euros, il demande à deux négociants, Vitol et Glencore, de l’aider à financer l’opération.

LES ÉMERGENTS, PROUE DU NAVIRE

Cette étude montre que la période de croissance, commencée en 2000 quand les profits cabotaient vers 1,6 milliard d’euros, reflète de plus en plus l’expansion des pays émergents, Chine en tête, même si la croissance de cette dernière montre des signes de ralentissement. Et même en cas de consommation déclinante ou simplement stagnante, les négociants peuvent toujours stocker en attendant que les cours remontent.

Lire :  Le cuivre joue en sourdine (édition Abonnés)

Symbole d’une nouvelle domination dans les échanges de matières premières, les places financières asiatiques entrent dans la course pour devenir le « hub » de prédilection des traders. Singapour, qui offrait déjà, sous certaines conditions, un taux presque imbattable de 5 % d’imposition, voit son offre fiscale concurrencée par Shanghaï, Hongkong et Kuala Lumpur dans la course aux marchés émergents.

Ces destinations sont synonymes d’une optimisation fiscale forcenée : selon leFT, les négociants s’en sortent avec un taux d’imposition compris entre 5 et 15 % grâce à des implantations choisies sous les auspices cléments que sont laSuisse, Chypre, les Pays-Bas ou Singapour. A titre de comparaison, l’industrieminière et pétrolière s’acquitte d’un taux de 30 à 45 %, et les banques paient environ 20 % d’impôt.

Et même si la Suisse envisage d’alourdir sa fiscalité, l’industrie reste très rentable. Les patrons de Glencore (Ivan Glasenberg) ou de Trafigura (Claude Dauphin) sont milliardaires, alors que les familles telles que les Cargill et les Louis Dreyfus ont vu leur patrimoine s’épanouir à la chaleur des marchés des matières premières.

DES SIGNAUX NÉGATIFS

L’envolée des prix de 2009 aidant, les profits ont été multipliés par presque 120 en douze ans. Selon le département américain de l’agriculture, les échanges de céréales ont bondi de 20 % entre 2001 et 2010, contre moins de 2 % sur les dix années précédentes et une baisse de 0,9 % entre 1981 et 1990.

Vitol est un exemple probant de cette explosion des gains des négociants : la multinationale aux 800 millions d’euros de profit était à peine à l’équilibre dans les années 1990. En 2009, elle affichait 1,74 milliard d’euros de bénéfices. Contrôlant l’offre et la demande, les maisons de négoce déploieraient leurs propres observateurs pour évaluer les stocks de cacao en Côte d’Ivoire ou ceux de charbon au Japon, raconte le journal britannique.

Pourtant, l’industrie est aujourd’hui confrontée à des signaux négatifs. Les bénéfices commencent à stagner, et la rentabilité est en baisse. Le bénéfice net de Vitol, spécialisé dans le pétrole, a chuté l’an dernier à 800 millions d’euros, son plus bas niveau depuis 2004 et moins de la moitié de son résultat de 1,74 milliard d’euros (un record) de 2009. Les mirifiques retours sur investissement des premières années sont derrière une industrie qui a tenté de se construire en pariant sur le contrôle de toute la chaîne d’approvisionnement.

Et le FT de rapporter les inquiétudes d’un membre de la Banque centrale canadienne, Timothy Lane, soulevant la possibilité que « certaines de ces institutions soient en train de prendre une importance systémique ». En d’autres termes : mettent en danger l’écosystème financier des matières premières.

« L’importance croissante du secteur lance d’autres défis sérieux, notamment en rapport avec les droits de l’homme et la situation environnementale dans les pays exportateurs, la lutte contre la corruption et le phénomène dit de ‘la malédiction des matières premières dans des pays en développement’. Des risques pour la réputation de certaines entreprises et de la Suisse elle-même sont liés à ces défis », reconnaît même le très prudent Conseil fédéral.

Mathilde Damgé

Source: Le Monde


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