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Pour aider, faut-il donner de l'argent ou créer des entreprises ?

Publié le 21 avril 2013 par Copeau @Contrepoints

Bill Gates a-t-il plus aidé le monde en créant Microsoft ou en distribuant sa fortune ?

Par Robert Barro, depuis les Etats-Unis.
Article paru initialement dans le Wall Street Journal du 19 juin 2007.

Pour aider, faut-il donner de l'argent ou créer des entreprises ?

Bill Gates

Bill Gates, l’homme le plus riche du monde, a contribué à la création d’une société de logiciels informatiques révolutionnaire. Ce mois-ci, il a été fait docteur honoris causa de l’université Harvard. Cependant, il semble ne pas comprendre le rôle vital que la création de richesses joue dans la société.

Lorsqu’il reçut son diplôme, M. Gates prononça un discours, centré non sur l’ère de l’information, l’avènement des ordinateurs personnels ou l’efficacité durable que son logiciel a permis d’apporter à presque toutes les industries. A la place, il insista sur sa propre philanthropie. Son thème implicite était que, jusqu’à présent, ce qu’il a réalisé a pu être bon pour lui et pour les actionnaires de Microsoft, mais reste une contribution limitée pour la société. Il suggéra qu’avec une fortune d’environ 90 milliards de dollars (en prenant en compte ce qu’il a donné à sa fondation), il était temps pour lui de donner quelque chose en retour [à la société].

Je trouve cette perspective difficile à comprendre. D’après n’importe quelle estimation rationnelle, Microsoft a été une bénédiction pour la société et la valeur de ses logiciels dépasse très largement le montant des efforts philanthropiques de M. Gates.

Voici l’ébauche d’un modèle simple de la valeur sociale de Microsoft: la capitalisation boursière de l’entreprise a récemment atteint les 287 milliards de dollars. En 2006, elle faisait un chiffre d’affaires de 44 milliards avec un bénéfice de 13 milliards. Seuls les concurrents de Microsoft pourraient croire que cette capitalisation boursière, ce chiffre d’affaires et ces bénéfices ont été rendus possibles en vendant des produits de faible valeur pour la société.

Supposons qu’une copie d’une nouvelle version de Windows soit vendue pour 50$ (elle est généralement facturée dans le prix d’un ordinateur personnel). Le revenu tiré par Microsoft de Windows serait alors égal à 50$ multiplié par le nombre de copies que les consommateurs achètent. Les bénéfices de Microsoft sont égaux au revenu moins les coûts de production et de développement. Mais cela n’est pas la valeur sociale. Cette dernière provient de l’augmentation de la productivité que permet le logiciel pour les entreprises et les foyers qui l’utilisent. Le bénéfice social est égal à la valeur apportée par le produit, moins le prix payé. Quasiment par définition, ce bénéfice doit être positif. Autrement, pourquoi les consommateurs payeraient-ils volontairement pour Windows?

Une estimation basse […] est que le bénéfice social du logiciel de Microsoft est au moins égal au 44 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel de Microsoft. En utilisant le même multiple que celui que le marché boursier applique au bénéfice (22), ce chiffre donne une valorisation de 970 milliards de dollars. Ainsi, avec les opérations futures de Microsoft, M. Gates crée pour le reste de la société un bénéfice d’environ un trillion de dollars, soit plus de 10 fois le montant prévu de ses dons. Et cela en ne prenant en compte que les probables bénéfices futurs, sans prendre en compte le passé.

M. Gates a souligné qu’il était difficile de donner un montant si important de façon productive. Ce n’est pas tout à fait exact. Il pourrait faire un chèque de 300 dollars à chaque américain, ou faire un chèque au Trésor afin de réduire la dette nationale. La dernière méthode est plus facile mais a des effets différents sur la distribution des revenus.

Mais, à la place, M. Gates a l’intention d’utiliser la Bill and Melinda Gates Foundation pour réduire la pauvreté dans le monde, en insistant sur l’amélioration de la santé. C’est un but noble. Cependant, il ne fera probablement que s’ajouter aux programmes existants d’aide et de remise de dette, aux montants bien plus importants, qui ont été conduits depuis de nombreuses années par les organisations internationales et les gouvernements. Ces programmes ont, au mieux, un bilan mitigé. Bien que M. Gates soit probablement plus intelligent et motivé que le bureaucrate lambda de la banque mondiale, il ne fera probablement pas beaucoup mieux.

Pour trouver des politiques qui ont lutté efficacement contre la pauvreté, il est préférable d’examiner les succès et les échecs réels. Dans les dernières décennies, le principal succès est la croissance économique dans la Chine d’après 1979 (post-Mao). Xavier Sala-i-Martin (« The World Distribution of Income », Quarterly Journal of Economics, Mai 2006) trouve que le nombre de personnes vivant en dessous d’un seuil de pauvreté standard a baissé de 250 millions entre 1970 et 2000. Cet réduction massive de la pauvreté a eu lieu malgré une augmentation de la population chinoise de plus de 400 millions et des inégalités croissantes dans le pays. La deuxième meilleure histoire est celle de la croissance économique indienne, ou le nombre de pauvres chuta de 140 millions entre 1970 et 2000.

Également éclairante est la plus grande tragédie pour la pauvreté mondiale – la croissance économique faible de l’Afrique subsaharienne. Dans ce cas, le nombre de personnes pauvres a cru de 200 millions entre 1970 et 2000.

Ces exemples suggèrent que la question-clef pour faire disparaitre la pauvreté est de savoir comment faire se développer l’Afrique comme l’ont fait la Chine et l’Inde. Un indice important est que les succès en Inde et en Chine sont dus principalement à des améliorations de gouvernance, en particulier dans l’ouverture au marché et au capitalisme. Pareillement, la tragédie africaine découle principalement de défaillances des états. Un autre indice est que l’aide au développement n’est nullement responsable des succès et n’a pas évité la tragédie africaine.

Une raison en est que l’aide au développement est généralement gérée par les gouvernements et, par conséquent, tend à promouvoir des secteurs publics pléthoriques, corrompus et qui n’aident pas les acteurs du marchés. La fondation Gates conduira-t-elle peut-être des programmes d’aide plus efficaces que ceux observés dans le passé, mais je doute de cela.

Ironiquement, l’idée de M. Gates de « rendre » semble venir de la seconde personne la plus riche du monde, Warren Buffett, qui a promis récemment de faire don de la plus grande part de sa fortune à la Fondation Gates.

Je parle d’ironie car il est bien plus défendable philosophiquement de défendre la décision de M. Buffett de rendre 52 milliards que les 90 milliards de Bill Gates. M. Buffett doit principalement sa fortune à sa capacité à miser sur les bonnes actions [en bourse]. Que sa fortune découle de la chance ou du talent, les bénéfices sociaux sont durs à percevoir. Ces bénéfices doivent découler d’amélioration des pratiques managériales de l’entreprise ou de décisions d’investissement.

Évidemment, M. Gates est libre de faire ce qu’il veut de ses 90 milliards. Mais je pense qu’il se leurre s’il croit que les efforts de la fondation Gates pourront accomplir autant pour la société que les succès passés et futurs de Microsoft. Et, en toute honnêteté, je préférerais recevoir une « bourse Gates » de 300 dollars par personne.

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