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Les attaques post-mortem contre Raymond Boudon

Publié le 22 avril 2013 par Copeau @Contrepoints

Théoricien de la sociologie et philosophe politique libéral, Raymond Boudon est pour d’aucuns un monument à abattre.

Par Marc Crapez.

Les attaques post-mortem contre Raymond BoudonRaymond Boudon était devenu un auteur minoritaire. Dans son « Que sais-je ? » sur La Rationalité (2009), il souligne la responsabilité des interventions étatiques dans le déclenchement de la crise de 2008. Dans Pourquoi les intellectuels n’aiment pas le libéralisme (2004), il critique ceux qui, au lieu de « faciliter la discussion et la compétition entre les idées », cherchent à « coloniser les institutions, notamment les institutions d’enseignement et de communication ».

Boudon a toujours été courageux. Mais le paysage intellectuel s’est tellement gauchisé en un demi-siècle qu’une forme de libéralisme à peine teintée de conservatisme, hier institutionnellement acceptée, est devenue scandaleuse. Comme lorsqu’il compara subtilement Pierre Bourdieu à Gustave Le Bon pour leur propension à juger le peuple comme irrationnel.

Boudon est pour d’aucuns un monument à abattre. Au boycott s’ajoute non pas des critiques -toujours légitimes car l’esprit critique est fécond- mais une attaque en règle. Sur Contrepoints.org, un internaute lui dénie le titre de sociologue en demandant : « à quand remonte sa dernière enquête ? ». Sur Franceculture.fr, le ton d’un autre internaute est faussement neutre : « Raisonner sur le social, sans enquête à l’appui, n’est que rarement de la bonne sociologie. En cela consiste l’essentiel des travaux de Boudon, naïfs par certains endroits, mais qui restent toutefois intéressants à lire ».

Scientisme sectaire

Cette attaque, d’une incroyable condescendance, ne tombe pas du ciel. L’accusation de naïveté est empruntée à Bourdieu, bien qu’elle ait été déjà réfutée par Boudon dans L’Idéologie ou l’origine des idées reçues. Cette accusation, et celle de déficit d’enquête, sont également empruntées à un texte publié sous l’égide de l’Association française de sociologie, dont voici la conclusion :

« Ses productions postérieures au milieu des années 1990 eurent un moindre écho que ses travaux initiaux. Probablement parce que la sociologie d’enquête, fondée sur de solides bases empiriques, s’est imposée comme une norme centrale, qui à ce titre agence la circulation des travaux et oriente les débats et les emprunts. Sans doute aussi parce qu’aujourd’hui les sociologues ne considèrent plus guère les paradigmes théoriques comme des modèles d’affiliation, mais les travaillent, les froissent, les combinent en assemblages plus composites ».

Ce texte est consternant. Non signé, mais ayant aux yeux du public la caution d’une association scientifique censée être éminente, il est en réalité d’un niveau intellectuel moyen et parsemé de stéréotypes, poncifs et prénotions intellectualistes. En effet, bien avant les années 90, L’Inégalité des chances de Boudon présenta, selon la formule de la sociologue Nonna Mayer, des « résultats de recherche qu’on ne tient pas à connaître ». Et s’il y eut par la suite moindre écho, ce fut peut-être à cause du caractère de plus en plus orienté de certaines institutions.

Contrairement aux insinuations, les bases empiriques des travaux de Boudon sont solides et n’ont jamais pu être contestées (en dépit de critiques aussi empressées que celles qui visent Raymond Aron). Il effectua de nombreuses enquêtes, même si, par la suite, son œuvre de philosophe politique et la co-rédaction de plusieurs Dictionnaires et d’un Traité de sociologie ne furent pas forcément compatibles avec l’exploration de sujets à la mode.

Jeannine Verdès-Leroux a finement critiqué chez Bourdieu les méthodes de cette « sociologie d’enquête », que l’on pourrait appeler de la micro-sociologie. Cet outillage prétendument épistémologique, avec son cortège de proclamations d’interdisciplinarité, n’est pas exempt de cuistrerie scientiste. Raymond Boudon, lui, fut un sociologue, un sociologie de la connaissance, un philosophe politique, un chercheur, un penseur, un savant et un grand esprit. Le texte publié par l’Association française de sociologie illustre somme toute fort bien le titre d’un article d’une sociologue britannique que Boudon aimait citer : « Pourquoi la sociologie est-elle devenue un tel foutoir ? ».


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