Magazine

D'un alizé à l'autre

Publié le 29 novembre 2006 par Fraubert

D’UN ALIZE A L’AUTRE

____

de Salvador de Bahia (Brésil) au Marin (Martinique) à la voile

François AUBERT

25 Novembre  au 18 Décembre 2003

/p>

D’UN ALIZE A L’AUTRE

____

de Salvador de Bahia (Brésil) au Marin (Martinique) à la voile

François AUBERT

25 Novembre  au 18 Décembre 2003


A Catherine,

ma femme, qui m’a épaulé, encouragé et soutenu.

A Sylvie,

la femme d’Olivier, reine de la communication et de l’organisation.

A Jean-Pierre,

qui a assumé seul la marche de la pharmacie en mon absence.


Que faisiez-vous le 1er Novembre 2003 ?

Vous ne regardiez certainement pas le départ de la Transat Jacques Vabre à la télévision car aucune chaîne n’a jugé intéressant de le retransmettre.

Personnellement j’étais de garde à la pharmacie.

C’est bien dommage et surprenant que cette course n’ait pas été plus médiatisée car elle réunissait le plus beau plateau que l’on puisse imaginer de grands noms de la voile tant en marins qu’en bateaux. Tous étaient présents. Loïck Peyron, Jean Le Cam, Alain Gautier, Ellen MacArthur, Michel Desjoyeaux, Philippe Monnet, Laurent Bourgnon, Franck Cammas, Thomas Coville, Bob Escoffier,  Didier Munduteguy, Isabelle Autissier, Mike Birch etc etc et les célèbres machines du Vendée Globe ou de la Route du Rhum La Trinitaine, KingFisher, Belgacom, Banque Populaire, Bonduelle, Foncia, Bayer, Groupama, Sodebo, PRB, 60éme Sud etc, etc …

Le départ a été donné à midi pour les monocoques avec un vent violent et contraire. Le départ des multicoques n’aura lieu que trois jours après pour éviter la casse (ils sont plus fragiles et plus coûteux !).

En l’absence de publications par les médias, c’est donc sur internet que matin, midi et soir je suis cette course passionnante sur un site remarquablement conçu.

Je m’intéresse particulièrement au plus petit de tous, le voilier Storagetek. C’est un monocoque de 45 pieds qui a été rallongé à l’avant par un bout dehors et à l’arrière par un prolongement de jupe pour atteindre les 50 pieds, taille minimale pour pouvoir courir. Storagetek barré en solitaire par son propriétaire actuel Régis Guillemot a remporté l’année dernière la Route du Rhum en classe III.

Pour la Jacques Vabre, course à deux équipiers, se trouvent à son bord Régis Guillemot comme skipper et Olivier Salnelle comme second. Olivier est le mari de Sylvie qui est la fille d’un de nos grands amis voileux de Quiberon, André.

C’est surprenant de voir Storagetek dans les premiers jours grignoter les premières places pour atteindre la deuxième puis la première dans sa catégorie et la conserver pendant six jours. Les rendez-vous avec Storagetek sur internet avec le classement, le choix des routes, les vacations radio, les péripéties etc sont palpitants.

Le 12 Novembre, Catherine reçoit un coup de fil de Sylvie qui lui demande si je serais partant pour un convoyage de Storagetek, après son arrivée au Brésil, de Salvador de Bahia au Marin à la Martinique. Jamais je n’aurais pu imaginer qu’une telle proposition puisse un jour m’être faite. Naviguer sur, et à la barre d’un voilier de course !

Je renonce parce que je ne me sens pas assez compétent, parce qu’à la pharmacie on aborde une période chargée de l’année et parce que je ne veux pas imposer une nouvelle fois à Catherine mon absence prolongée pour assouvir égoïstement mon penchant pour la mer.

Mais, contrairement à ma transat avec Sophie, Catherine me pousse à dire oui et arrive même petit à petit à supprimer un par un tous les obstacles que peuvent engendrer une telle participation. Nous discutons longuement et d’un commun accord, nous disons banco pour l’aventure.

Reste à trouver un billet d’avion à prix abordable. Je lance plusieurs moteurs de recherche sur internet et je finis par trouver un site remarquable « karavel.com » qui propose un aller simple Paris-Salvador pour 414 euros avec escale à Madrid, pour le 25 Novembre. Les autres sites ou les autres dates ne proposent rien en dessous de 3 500 euros ! Il ne reste que trois places disponibles à ce tarif. J’en parle à André qui est d’accord à ce prix et Catherine appelle Sylvie pour savoir si l’on procède à la réservation. Sylvie essaye de joindre Olivier pour lui demander s’il m’accepte comme coéquipier mais elle n’arrive pas à entrer en contact avec lui.

Une journée se passe et il ne reste plus que deux places. Enfin Olivier donne son accord et nous pouvons procéder à la réservation des deux dernières places à ce prix, sur Air Europa, pour André et moi. Nous faisons livrer les deux billets à Quiberon chez André qui avait plus de chance que nous d’être présent à l’arrivée du Chronopost.

Comme en partant le 25 nous serons à Bahia avant l’arrivée de Storagetek, il nous reste à trouver un hébergement pas trop cher. Internet est remis à contribution mais sans succès car les prix semblent prohibitifs et je n’ai aucune idée de la distance où les hôtels se situent par rapport à la marina. Heureusement, Sylvie trouve une sorte de pension de famille tenue par des français à un prix tout à fait raisonnable. Je leur téléphone puis formule ma demande par E-Mail. Ils me répondent que toutes leurs chambres sont occupées mais ils feront le nécessaire pour me trouver une chambre ailleurs.

En voyant les photos de Salvador de Bahia sur le site internet et comprenant qu’il faudrait attendre presqu’une semaine au Brésil avant de pouvoir convoyer Storagetek vers la Martinique, Catherine succombe à l’envie de partir aussi passer cette semaine sous les tropiques. Nous cherchons donc une troisième place d’avion aller et retour cette fois mais ne trouvons qu’un vol pour le 26 sur la compagnie aérienne Varig avec escale à Sao Polo et retour à Roissy le 3 décembre.   

Le Samedi 22 Novembre (jour de mes 55 ans) nous partons pour Quiberon récupérer mon paquetage de marin en passant par Vannes pour acheter une tenue de quart plus moderne, plus respirante et plus imperméable que celle que je possède.

Le Dimanche 23 Novembre à 8 heures du matin nous revenons à Vineuil avec André qui participera également au convoyage. Il me donne mon billet d’avion.

André couche chez sa fille à Vineuil et il est convenu que nous passions le prendre Mardi 25 à 5h30 du matin pour aller à Roissy. Catherine doit nous emmener puis elle attendra son départ chez Sophie.

Le lundi 24 Novembre à 22h30 je me couche et Catherine qui n’arrive pas à dormir prend un somnifère. A 23 heures coup de téléphone. C’est André catastrophé qui nous annonce qu’il ne peut plus partir car il a oublié son billet d’avion à Quiberon. Il nous faut du temps pour nous remettre d’un tel choc et nous calculons qu’en partant tout de suite à Quiberon, avec la voiture de sa fille, il pouvait avoir le temps d’aller récupérer son billet puis de filer directement à Roissy où je l’aurais devancé pour les procédures d’enregistrement. Il pourrait laisser les clés de la voiture à Catherine, qui les donnerait à Sophie, qui s’arrangerait pour ramener la voiture à Vineuil. André semblait partir perdant mais accepta de tenter le coup. Inutile de préciser que ni Catherine ni moi n’avons réussi à dormir avant 3h du matin .

Le mardi 25 Novembre à 4h15 du matin alors que j’étais sous la douche et que Catherine dormait encore, coup de téléphone. C’est André qui nous annonce : « Je suis chez vous à Vineuil dans dix minutes avec mon billet ». Même en roulant très vite c’était impossible. Et pourtant, dix minutes après, André sonnait à notre porte avec sa fille Christine et son billet. Explication : En cours de route il avait téléphoné à son ami Bernard de Quiberon qui possède un double des clés de sa maison pour qu’il aille vérifier si le billet était bien dans son bureau à Quiberon. Bernard s’est exécuté, a trouvé le billet à l’endroit dit et a proposé à André de partir dans la nuit à sa rencontre, faisant chacun la moitié du chemin. Ils se sont retrouvés un peu au-delà de Rennes.

Christine qui est infirmière, doit reprendre son travail à 14 h. Comment pourra-t-elle assurer après cette nuit blanche et angoissante ?

Nous voilà donc partis sous la pluie, tous les trois vers Roissy à 5h30 comme convenu avec une nuit de sommeil en moins et une bonne dose de stress en plus. Stress qui alla grandissant encore quand nous découvrîmes que les abords de Paris étaient totalement paralysés et que nous ne serions pas à l’heure malgré la grosse marge sécurité que nous avions pris. Enfin cette marge devait quand même être bonne car nous fûmes à l’heure et c’est l’avion qui annonça une heure de retard.

J’ai la joie de découvrir Sophie qui était venue me saluer pour mon départ à l’aéroport. Mathilde, qui est « Catherinette » aujourd’hui, appelle pour   dire au revoir à Papa et bonne fête à Maman.

L’escale à Madrid consistera à traverser intégralement l’aéroport au pas de course pour embarquer sur le vol suivant. En effet l’avion s’étant posé avec une heure de retard la correspondance était limite. Et moi qui pensais pouvoir avoir largement le temps de manger un petit quelque chose entre les deux avions, je dus rester avec mes gargouillis au ventre. A Madrid il fait grand soleil. Le dépaysement commence. Il fait 11 degrés. A 14h nous embarquons sur un Boeing 767-300 mais André et moi sommes placés chacun à un bout de l’avion. A 16h30 on nous sert enfin un repas mais pas de chance pour André, en entrée des pâtes en vinaigrette, et avec les boulettes de viande encore des pâtes. Or André ne supporte ni la vue ni le goût des pâtes donc ceinture pour lui.

A 19h35 heure locale (23h35 heure française) nous atterrissons à Bahia. Je change des Euros contre des Réals brésiliens pour pouvoir prendre un taxi au cas où, mais Hervé, le propriétaire de la pension (pousada en portugais) nous attend avec Sylvie la fille d’André venue quelques jours plus tôt au Brésil.

A 23h heure locale nous nous couchons à la pousada dite de « l’Alliance Française » après un repas préparé par Valérie, la femme d’Hervé. Sont également hôtes de la pousada, Sylvie, Didier Mondutéguy (marin du Vendée Globe et de tant d'autres courses de haut niveau), Régis Guillemot, propriétaire actuel de Storagetek, José, un photographe journaliste basque dont l'humour et les prises de vue nous réjouiront tout au long du séjour. Réside aussi à la pousada, Nadia Arthaud (femme du frère de Florence) qui a conçu et aménagé Storagetek avec son mari, puis, après le décès tragique de ce dernier, a revendu le bateau à Régis. Sont également présents d’autres jeunes venus s’échouer là pour un temps et des préparateurs de bateaux de la Jacques Vabre. Le confort est simple mais l’ambiance très familiale.

Mercredi 26 Novembre 5h du matin.

Sylvie réveille tout le monde : Nous devons être à la Marina dans dix minutes pour l’arrivée précoce de Storagetek !

Elle vient de recevoir un appel téléphonique du bateau annonçant que Régis et Olivier sont en vue de Bahia. Douche, ou ce qui en tient lieu, rapide. Petit déjeuner absent. Course aux taxis. Arrivée au port. En fait le bateau ne sera visible à l’horizon qu’à partir de 9h30.

En attendant nous avons le bonheur de contempler et de toucher tous ces bateaux mythiques, sagement amarrés aux pontons, dont les noms nous font rêver et qui ont déjà labouré tant d’océans. Nous découvrons aussi pour la première fois Hellomoto et Défi Vendéen qui sont les deux seuls autres 50 pieds à avoir terminé la course et contre lesquels Storagetek a si vaillamment tenu tête. En les voyant nous comprenons vite que ces deux concurrents sont en fait de petits 60 pieds alors que Storagetek est un grand 40 pieds. Les armes ne sont donc pas les mêmes.

André et moi commençons à avoir très chaud, ressentons un coup de fatigue et n’avons plus qu’une obsession : trouver un petit bar, climatisé si possible, pour s’asseoir, manger et surtout prendre un café. Nous arpentons les rues plutôt mal famées autour du port mais impossible de dénicher un tel estaminet. Tout est encore fermé.

Enfin une marchande ambulante nous sert une part de gâteau et une boisson chaude qu’elle puise dans un thermos et qui s’avère être un mélange de lait, café et sucre. Nous allons alors découvrir deux choses : Au Brésil la seule langue comprise et employée est le portugais (personne ne parle ni français, ni anglais, ni espagnol)  et au pays roi du café, personne ne consomme de café.  En effet on ne trouve nulle part de café à boire ou à acheter et nulle part d’ailleurs nous ne voyons de publicité pour telle ou telle marque de café. Quand les brésiliens consomment du café, c’est toujours avec du lait et beaucoup de sucre. C’est comme si en France on cherchait à consommer un chocolat chaud sans sucre et sans lait. Le Brésil est bien un grand pays producteur de café mais toute la récolte est destinée à l’exportation.

Pendant ce temps Régis et Olivier se sont considérablement rapprochés et nous embarquons sur une vedette et un zodiac du port pour filer au devant de lui. A 10h30 Storagetek franchit la ligne d’arrivée et Sylvie et André montent à bord pour féliciter les marins et embrasser, Sylvie son mari et André son gendre.

Alors que Storagetek termine son amarrage au ponton d’arrivée avec les autres concurrents déjà présents, Catherine arrive également, tout droit de l’aéroport de Bahia où elle vient d’atterrir après une escale mouvementée à Sao Paolo.

Nous déjeûnons tous à la pousada et nous faisons raconter à Didier son Vendée Globe. Il est simple et passionnant dans ses explications avec en plus une pointe d’humour basque.

Après-midi shopping puis dîner dans un super restaurant où la viande rôtie est servie à volonté. C’était une idée de Sylvie pour que les deux marins puissent se rattraper d’un mois de conserves, de riz et de pâtes. Mais il semble que si l’idée fut aussi excellente que la table, la transition fut un peu trop brutale.

Jeudi 27 Novembre

Nous avons le temps de jouer les touristes car nous devons attendre deux autres coéquipiers, Jean et Dominique qui n’arriveront que le dimanche soir.

La baie de Salvador de Bahia est la deuxième baie du monde par sa grandeur. Elle fut découverte le 1er Novembre 1501 par Amerigo Vespucci qui la baptisa pour l’occasion Baie de tous les Saints. Le nom officiel de la ville qui y fut créée est « Sao Salvador da Bahia de Todos os Santos ». Ce nom se trouve abrégé aujourd’hui sous différentes appellations : Sao Salvador, Salvador da Bahia, Bahia … C’est une ville de 2,5 millions d’habitants. Pour mémoire, la capitale du Brésil n’est ni Sao Salvador, ni Rio, ni Sao Paolo mais Brasilia. Le Brésil est grand comme 17 fois la France. Grossièrement, Bahia se trouve entre l’équateur et le tropique du Capricorne, au sud de la grosse bosse de l’Amérique du sud.

C’est une ville dont la partie moderne est constituée de buildings construits sur la mer mais curieusement les façades lui tournent le dos car les brésiliens considèrent que la face exposée à la mer est le mauvais côté où donnent le soleil et le vent !

Lever tôt pour partir dans la mangrove que nous atteignons après 2h30 de route dont une heure de piste défoncée. Nous arrivons dans le « ranch » qu’Hervé et Valérie ont acheté et aménagé pour passer leurs week-ends. Il n’y a ni eau ni électricité ni touriste. On est au bout du monde.

Dans son ranch Hervé élève six chevaux. La moitié de l’équipe part à cheval vers un point superbe de rendez-vous pour le déjeuner tandis que l’autre moitié part avec Marco (qui s’occupe des chevaux et du ranch pendant la semaine) faire des découvertes archéologiques et botaniques à pied.


Puis nous embarquons sur une grande vieille pirogue de 9 mètres taillée dans la masse d’un tronc d’arbre. Nous pagayons sur le fleuve Paraguaçu et admirons la mangrove. Les pagayes sont lourdes et nous attrapons vite des ampoules. Il fait très chaud. Nous nous arrêtons pour nous baigner sur une plage où le sable a remplacé la vase. Nulle âme qui vive à part les oiseaux et les crabes.

A midi nous rejoignons l’autre groupe, nous déjeunons de sandwiches préparés par Valérie puis nous échangeons nos moyens de locomotion. Ceux qui étaient venus à cheval rentrent en pirogue et les autres à cheval. Catherine préfère faire le retour également en pirogue. Je l’abandonne donc et me risque pour la première fois de ma vie à monter sur le dos d’un cheval. Heureusement il se montre très docile et je n’ai qu’à me laisser conduire par lui. Mais le terrain est parfois escarpé et glissant et je suis un peu crispé.

Vendredi 28 Novembre

André et moi nous aidons Olivier a changer la grand voile de course de Storagetek par une grand voile moins fragile pour le convoyage. Ces voiles sont réputées justifier leur prix élevé par leur légèreté et pourtant nous sommes surpris pas le poids énorme. Il faut dire que 130 mètres carrés de voile forcément ça pèse.

A midi, en plein soleil, nous allons à pied dans la vieille ville pour déjeûner à l’école hôtelière. La vie au Brésil n’est vraiment pas chère pour un européen alors pourquoi se priver ? Le repas est plein de saveurs inconnues et délicieuses mais le service assuré par les élèves est loin d’être à la hauteur de celui des écoles françaises.

Après midi emplettes au Shopping Barra. Nous regrettons d’avoir apporté des fringues car ici tout est vendu pour trois fois rien. Nous n'échappons pas à la tradition de l'envoi des cartes postales, en découvrant la complexité et les contraintes de l'affranchissement local.


Samedi 29 Novembre

Le matin nous achetons un peu de matériel (couverts, mugs, assiettes, casserole …) pour Storagetek qui n'était équipé que pour deux passagers, puis bricolage sur le bateau. Nous changeons le solent de compétition contre un solent moins fragile mais pourtant de bonne facture puisque fabriqué en 3DL par North-Sails.

L’après-midi est encore consacré à différents préparatifs et bricolages sur le bateau. Au bistrot de la marina nous avons le loisir et la chance de pouvoir régulièrement cotoyer les participants de la Jacques Vabre et du Défi Atlantique, de prendre un verre avec eux et de leur parler en toute simplicité et décontraction, contrairement aux ambiances de pontons de départ de course où tous sont intouchables et où des barrières et la foule nous séparent de leur contact. 

Le soir Régis nous quitte pour son retour en France.

C’est l’occasion de boire une fois encore un Caïpirinha, sorte de grand Ti-Punch local délicieusement préparé par Valérie.

Dimanche 30 Novembre

C’est le jour du départ du Défi Atlantique. Il s’agit d’une course Bahia-La Rochelle en solitaire organisée pour les monocoques 60 pieds de la Jacques Vabre et qui est qualifiante pour le Vendée Globe prochain. Olivier a désormais pris le commandement du bateau et nous emmène (Sylvie, André, Catherine, Hervé, Valérie, leur fille Bahia et moi) en mer sur Storagetek pour assister au départ. C’est fabuleux de voguer au milieu de tous ces monstres qui piaffent en attendant le signal du départ à midi. Nous nous croisons et recroisons sans cesse, bord à bord, en profitant pour faire de superbes photos. Au top départ, Olivier avait magnifiquement placé Storagetek et nous assistons à un spectacle grandiose quand tous se sont élancés, lâchant les chevaux.

Avant de rentrer nous sommes allés au point carburant pour embarquer 100 litres de fuel et le soir nous ferons le plein d’eau douce avec un tuyau de ponton qui délivre parcimonieusement le précieux liquide. Au bout de plusieurs heures quand nous retournons à bord, nous constatons que les cuves sont pleines et que l’eau était en train de couler à l’intérieur du bateau car les évents de trop plein avaient été obstrués pour éviter les entrées d’eau de mer.

Le soir, Sylvie repart pour la France avec plein de souvenirs et de travail à finaliser pour le Salon Nautique de Paris puis Jean et Dominique arrivent à leur tour de Bretagne. Leur contact se révèle tout de suite chaleureux et leur humour à tous les deux génère de bonnes rigolades.


Lundi 1er Décembre

Le matin nous allons dans une superette pour faire l’avitaillement. Jean se montre particulièrement efficace et avisé dans le choix des denrées à acheter. Nous remplissons cinq caddies dont un rempli de 78 bouteilles d’eau. Aidés par trois taxis nous embarquons tout cela plus nous même et nos paquetages vers le port. Nous découvrons que les taxis brésiliens fonctionnent au gaz et que le volume du coffre s'en trouve considérablement réduit. Nous gagnerons donc le port avec une partie des victuailles sur les genoux.

Pendant que les quatre coéquipiers se chargent de caser et de caler tout l'avitaillement à l'intérieur du bateau, Olivier, voulant démarrer le moteur, constate que les trois batteries, dont la batterie moteur, sont à plat ! Il n’y a ni câble ni chargeur de quai à bord. Nous empruntons une batterie sur un zodiac, démontons la batterie moteur (inaccessible) et faisons un branchement de fortune qui nous permet enfin de lancer le moteur pour recharger le parc de batteries. Mais Olivier constate qu’il y a une fuite permanente et inexplicable de 5 ampères/heure.

Nous laissons tourner le moteur pendant que nous déjeûnons dans un restaurant sympa près du port et Valérie nous pose une énigme : Une pièce dispose d’une ampoule électrique commandée par un interrupteur situé à l’extérieur de cette pièce parmi deux autres. La lampe est éteinte. On a le droit de manipuler autant de fois les 3 interrupteurs que l’on veut mais on ne peut rentrer dans la pièce qu’une seule fois pour voir le résultat. Il faut trouver la façon de procéder pour déterminer à coup sûr lequel des trois interrupteurs commande l’ampoule. C’est intéressant comme énigme mais le gros problème est que nous nous sommes quittés avant d’avoir eut la solution. Pendant quinze jours de navigation on passera nos heures de quart a essayer de trouver la clé sans résultat Belle gymnastique pour nos neurones.

Je fais mes adieux à Catherine qui rentre à la pousada avec Valérie et qui s’envolera demain matin pour la France et ses frimas.

Tandis que le moteur tourne toujours, nous visitons l’ancien 60 pieds de Yves Parlier, amarré à côté du notre, celui avec lequel il a usé de tant d’ingéniosité pour le remâter seul dans le grand sud lors du dernier Vendée Globe. Nous sommes stupéfaits par l’état d’abandon et l’inconfort de ce voilier.

Nous récupérons l’unique bouteille de camping-gaz qu’Olivier avait donnée à remplir et récupérons également nos passeports dûment tamponnés.

A 17h15 nous larguons les amarres pour une chevauchée sans escale et loin de toutes terres de 2 700 miles allant des alizés sud aux alizés nord via l’équateur.

La nuit tombe tandis que nous laissons derrière nous Salvador de Bahia et ses lumières. Bien sûr, comme toujours quand on prend la mer, le vent est contraire et souffle juste de face dans la direction que nous aurions aimé choisir. Olivier fait route au sud-est pour tirer un grand bord qui devrait nous permettre de franchir la pointe est du Brésil au large de Recife. Nous ferons des quarts de trois heures à deux. Je suis de quart avec Jean, et André avec Dominique. Olivier restera hors quart c'est-à-dire toujours disponible. Je me familiarise d’abord avec la barre de 18h à 19h puis la reprends à 23h30. Je resterai à la barre jusqu’à 6h du matin relayé qu’épisodiquement par Jean qui est malade. Je repense à l’anecdote que Dominique nous a racontée : Lors d’une précédente croisière où Jean et Dominique naviguaient ensemble, au départ, Jean qui est diabétique avait dit à Dominique « si je suis malade il faut me donner du pain d’épices qui contient des sucres rapides et des sucres lents ». Dans les premières heures, Jean commença à vomir et Dominique en bon Saint Bernard court chercher dans le paquetage de Jean le précieux pain d’épices salvateur et le lui tend. A sa vue Jean revomit de plus belle. Je reste admiratif devant Jean qui, à 60 ans, avec des problèmes coronariens, et devant se faire de l’insuline trois fois par jour, n’a jamais renoncé à la voile pour autant.

Le vent souffle à 22 nœuds, le bateau file 10 nœuds au près c'est-à-dire que nous sommes à la gîte et que la mer nous arrose de ses embruns salés mais heureusement chauds. J’apprécie beaucoup ma nouvelle tenue de quart qui se révèle être imperméable tout en laissant le corps respirer, contrairement à un ciré.

Mardi 2 Décembre

Jean et Olivier sont toujours malades. Olivier ne mange pas et ne sort de sa cabine que pour effectuer des réglages de voiles et vérifier que tout va bien. Les miles s’enchaînent mais pas du tout dans la bonne direction. Nous filons vers le sud de l’Afrique et nous avons l’impression de faire une route inutile. Enfin nous virons de bord pour remonter au nord-ouest, toujours au près et toujours avec un vent établi à 22 nœuds. Nous avons un ris dans la grand voile depuis le départ. Le moral ne remonte pas car notre nouveau cap nous ramène pratiquement face à notre point de départ à Bahia. Nous constatons que les batteries ne tiennent pas la charge plus de douze heures. Il y a toujours cette fuite inexpliquée de 5 ampères par heure alors qu’aucun appareil électrique n’est en service sauf le GPS.

Nous avons à bord un ordinateur portable qui possède le logiciel MaxSea et toutes les cartes maritimes du globe. Quand Olivier veut l’allumer pour faire le point, il faut se rendre à l’évidence, il est hors service. De l’eau a dû tomber dessus par un hublot mal verrouillé.

Le problème est que nous ne disposons d’aucune carte papier autre qu’une photocopie A4 de la carte du Brésil ! Imaginez l’échelle et la précision ! Olivier envisage de demander à Sylvie qui est en Bretagne et qui dispose également du logiciel MaxSea de nous router par téléphone mais le standard Mini M du bord (liaison téléphonique par satellite) nécessite l’utilisation d’un code que nous ignorons. Heureusement Dominique a avec lui un téléphone Iridium portable qui marche aussi avec les satellites. Il faudra l’utiliser avec modération car son forfait n’est pas inépuisable et ses batteries ne sont pas au top de leur charge. Sylvie est contactée et doit s’occuper de demander à l’installateur du Mini M le code de fonctionnement.

A 19h nous revirons de bord et remettons le cap vers le sud-est. Ce n’est toujours pas notre direction et le moral chute proportionnellement aux miles qui s’accumulent.

Mercredi 3 Décembre

Dominique fait le point tant bien que mal sur notre photocopie de pseudo carte. Nous ne sommes qu’à 200 miles de Bahia, pratiquement à la même latitude. Pour midi je prépare une salade de chou rouge avec dés de fromage, maïs, et œufs durs. Tout le monde applaudit mais Jean n’a pas faim, il n’aime pas le chou et André n’aime pas le maïs. Je fais ma première vaisselle dans des conditions inconfortables de gîte.

Dans l’après midi nous virons de bord et pouvons enfin mettre cap plein nord. En tenant une allure de bon près cela devrait pouvoir tenir et nous devrions pouvoir franchir la pointe de Recife sur ce même bord. Enfin nous allons engranger des miles efficaces. En mer on ne fait pas ce que l’on veut et c’est souvent le vent qui décide.

C’est bien connu la route la plus directe n’est pas forcément la plus courte.

Pour le dîner je fais du bacon avec du riz mais Jean n’aime pas le bacon. Il faut dire qu’il n’est toujours pas en forme. Il finira pas mettre un patch de scopolamine qui lui sera très bénéfique. Olivier reste toujours allongé toute la journée sans manger. Il nous explique que le court séjour à terre l’a cassé. Il s’est "désamariné". Nous ne doutons pas non plus que sa charge de skipper doit lui peser lourd actuellement face à une situation pas très claire des équipements du bord, entre autre.

Jeudi 4 Décembre

Je venais de me coucher après le quart de minuit à 3h et m’étais endormi d’un coup. A 5h j’entends une grande agitation à l’intérieur. Il n’y avait plus de courant à bord. Le compas (électronique) n’indiquait plus rien et tous les instruments restaient désespérément muets. Nous voilà tous à l’intérieur, en pleine nuit, armés de lampes frontales et de poche, avec 25 degrés de gîte, à démonter le coffre du moteur qui lui-même ne peut être déposé qu’après avoir enlevé tous les planchers. Dominique est toujours à l’extérieur, à la barre sans instruments de navigation. Nous restons perplexes devant la solution à trouver. Heureusement, André, qui possède le même moteur sur son voilier, propose de lancer le moteur avec le faible courant qui reste dans une batterie en actionnant simultanément le décompresseur pour soulager le démarreur. Et ça marche !

On retourne se coucher en laissant tourner le moteur pour charger les batteries. Le sommeil ne vient pas et tous se demandent intérieurement s'il est prudent de continuer notre route ou s'il ne serait pas plus sûr de retourner vers Bahia pour réparer tous ces problèmes. Bahia est le seul port que nous pouvons nous permettre de rejoindre avant La Martinique car, avec nos presque 4 mètres de tirant d’eau et sans aucune carte d’atterrissage, il est illusoire de vouloir accoster où que ce soit. Je n’aimerais pas être à la place d’Olivier à qui incombe la décision en tant que skipper.

A 7h il appelle Sylvie par l’Iridium. Elle lui remonte le moral et lui donne le code du Mini M. On va disposer d’une liaison avec la terre et Sylvie pourra nous router. On continue. Encore 1 ou 2 jours de près à prévoir puis on pourra obliquer au nord-ouest.

Vendredi 5 Décembre

Tout le monde est guéri. Olivier retrouve une forme et une énergie incroyables. Il reprend possession de son bateau, y retrouve ses marques, revit avec lui et nous éblouit par son agilité. Toutes voiles dehors, on fait route cap au nord en se tenant éloignés des côtes d’au moins 200 miles à cause des fonds, des filets de pêcheurs et des pirates. Le bateau file 10 nœuds au près. C’est grandiose (et mouillant). Le vent siffle à nos oreilles et il faut crier pour se parler. Tous les capots étant fermés pour éviter les entrées de paquets de mer, il fait, à l’intérieur, une chaleur humide et moite qui est insupportable et favorise la moisissure galopante. A l’extérieur, le soleil cogne et l’on se fait arroser. Il n’y a pas d’ombre. Le parasol était en option ! Tout le bateau est recouvert de sel. Tout est poisseux de saumure. Etant continuellement assis, nos fesses macèrent sur le revêtement antidérapant dans l’eau salée et nous commençons à souffrir d’irritations comme des bébés dont les couches ne sont pas assez souvent changées.

Jean, complètement amariné maintenant, nous offre ses compétences de cuisinier et prend en charge pratiquement l’intégralité de nos repas. Il gère la cambuse comme personne et nous apprécions d’autant plus que cette tâche ingrate n’emballe aucun de nous. En rangeant les victuailles, il constate qu’une bouteille d’huile d’olive s’est renversée dans un équipet. Vous pouvez imaginer les dégâts et la corvée de nettoyage générale qui en a suivi.

18h. Catherine m’appelle sur le Mini M. Elle est bien rentrée en France par un vol sans histoire si ce n’est qu’un bagage était manquant à Roissy. Mais il lui a été livré dès le lendemain matin à Vineuil avec un mot d’excuse de la compagnie.

Des dauphins vont nous accompagner toute la nuit sous la lune.

Samedi 6 Décembre

Ce que je redoutais surtout avant le départ, c’est d’avoir à barrer sous spi. Chat d’eau n’en possède pas et je n’ai que très peu d’expérience de ce genre de voile qui, à mes yeux, est toujours source de tracas. Alors sur un bateau de course, cela doit être des frayeurs décuplées. Or ce matin, Olivier et mes coéquipiers décident d’envoyer l’un des 4 Spinnakers du bord. Le plus petit. La manœuvre demande beaucoup de synchronisation et d’attention mais le spi, immense et majestueux se gonfle de la tête du mât à l’avant du bateau. Olivier reste une heure à mes côtés pour m’apprendre à barrer avec le spi et me surveiller. La moindre faute d’inattention peut être catastrophique. Sur Storagetek un empannage involontaire serait dramatique pour le mât car il n’y a pas de pataras (la bôme étant aussi longue sur l’arrière que le bateau) mais des bastaques qui, en cas d’empannage, seraient heurtés violemment par la bôme et entraineraient le mât dans sa chute. Mieux vaut ne pas y penser et rester concentré sur son cap et l’angle du vent.

Olivier, lui, se fait plaisir. On le sent surexcité et il ne quittera pratiquement pas la barre de toute la nuit (pour notre satisfaction à tous). Le bateau atteindra 15 nœuds avec un vent à 22 nœuds. Olivier semble retrouver des sensations de planche à voile. Il adore surfer. Il est impressionnant. Le bateau est une grande planche à voile habitable. A l’intérieur on se croit, par le bruit, dans un train. Le glissement de l’eau sur la coque rappelle le bruit de roulement d’un train sur ses rails, bruits d’aiguillages compris. Avec cette allure portante, nous avons retrouvé une position à peu près horizontale. Quel changement et quel bonheur.

Dimanche 7 Décembre

Olivier entreprend d’ouvrir une trappe située à l’arrière du bateau, sous la jupe. Il découvre à l’intérieur un écheveau de fils électriques, dénudés, baignants dans la soute pleine d’eau de mer, crépitants, carbonisés et chauds. Voilà donc l’origine de la fuite électrique ! Quelques jours après le départ de la Jacques Vabre, Régis et Olivier avaient vu le mâtreau situé à l’arrière, supportant le radar, le standard C, l’éolienne etc, être arraché par une vague déferlante. Dans l’urgence, ils avaient sectionné tous les câbles électriques afférents, et enfourné le tout dans le coffre normalement étanche de la jupe. A y réfléchir, je me dis que nous sommes passés à côté d’un beau risque d’explosion. Une électrolyse permanente d’eau de mer dans un caisson fermé dégage de l’hydrogène qui avec les étincelles constitue les conditions idéales pour une inflammation explosive. Nous isolons et étanchéifions aussi bien que possible chaque nappe de fils électriques et vidons le coffre de l’eau de mer qui y était rentrée. Ca y est, l’ampèremètre n’affiche plus aucune fuite de courant. Le moteur est lancé pour recharger les batteries. Désormais, par sécurité, nous isolerons complètement la batterie moteur du reste du circuit électrique. Nous avons droit à de la musique sur le lecteur CD resté muet depuis le départ. Plus tard, nous aurons même droit à l’usage du pilote automatique. C’est Byzance ou comme le dira André, c’est le Pérou au Brésil.

Nous installons le tourmentin en bimini pour essayer de faire un peu d’ombre au barreur. Cette configuration va nous permettre de dire que nous avons vogué sous spi et tourmentin ! Puis, dans la liesse générale, grosse bagarre de seau d’eau de mer. Hélas, Dominique dépose son sonotone sur un sopalin pour éviter de le mouiller et plus tard, en nettoyant, le tout sera jeté à la mer. L’euphorie tombe vite et tout le monde se montre catastrophé de cette perte qui handicape sérieusement Dominique. Hormis cette mésaventure douloureuse, l’après-midi de ce premier dimanche se déroule de façon fort agréable. Pour le dîner, Olivier nous a même fait un super cadeau en branchant l’un des 5 pilotes automatiques du bord, le Gyropilote. C’est un pilote sophistiqué qui, non seulement conserve le cap, mais aussi garde l’assiette du bateau la plus horizontale possible. Il travaille dans les trois dimensions. C’est une merveille de technologie mais qui est très gourmande en énergie.

Lundi 8 Décembre

La nuit se passe de façon très agréable, paisible et reposante avec le gyropilote et la douceur. Nous veillons à tour de rôle à la barre, sous spi et pleine lune, en T-Shirt. Les nuits d’avant nous avions la tenue de quart. Mais cette nuit, nous ne sommes plus éclaboussés que par la pleine lune et il fait bon.

Au matin, la toilette d’Olivier est toujours un spectacle d’aisance avec la défécation à l’arrière de la jupe en position de chimpanzé. Il faut dire que les toilettes du bord sont impraticables car si on ouvre la vanne, l’eau de mer rentre dans le bateau, nous sommes obligés d’utiliser la jupe (glissante) sous le regard d’un coéquipier qui est là pour nous veiller en permanence en cas de chute à la mer. Cette situation pour le moins inconfortable est, on le comprend, très « coinçante ».


A 13h, nous passons la ligne d’équateur dans la joie. C’est un moment très attendu par tous. A part Olivier qui a franchi la ligne pour la première fois lors de la Jacques Vabre, c’est un baptême pour les 4 autres marins. Nous sommes très chanceux car il n’est pas donné à tout le monde d’avoir la possibilité de franchir l’équateur à la voile. Les grandes routes traditionnelles étant plutôt est-ouest.

Trois tournées de planteur aideront à faire grimper grandement la liesse collective. C’est un grand moment que nous avons la chance de vivre en plein jour. Jean a préparé une chanson avec un couplet sur chacun d’entre nous. Dominique a su tirer profit de l'équipement du bord pour se présenter en motard de l'Atlantique. André s'est transformé en arbre de Noël tout enguirlandé et j'ai pu profiter des conditions météo exceptionnelles pour immortaliser ces instants sur video.

Le passage de l’équateur se fait tangentiellement à la ligne, ce que personne n’avait imaginé et qui nous fait prolonger la fête sur la latitude zéro. Je remets des cadeaux improvisés comme je peux à chacun : boîte de cigare pour Olivier, gant et serviette de toilette pour Dominique qui n’en avait plus, lait après soleil pour Jean qui est cuit, T-Shirt « ponton J » pour André qui n’en possédait pas. Puis déjeuner festif et sieste.

L’après-midi nous envoyons le grand Gennaker (grande voile noire toute neuve en Kevlar montée sur emmagasineur) puis, plus tard, le Gennaker sera troqué contre le spi. Le vent est monté, titillant les fibres sportives d’Olivier qui va alors décider de nous faire un cadeau royal de plus en nous annonçant qu’il allait se mettre de quart toute la nuit avec un seul coéquipier de chaque quart habituel. Il va barrer toute la nuit et nous nous allons pouvoir nous plonger dans une nuit de sommeil plus longue que d’habitude sans l’idée de devoir être réveillé toutes les trois heures et d’avoir à renfiler, tout somnolant, dans le noir et à la gîte, nos tenues de quart. Le vent souffle entre 20 et 25 nœuds et le bateau file entre 12 et 15 nœuds. A l’intérieur : gîte et vacarme.


Mardi 9 Décembre

Navigation sans problème sous pilote.  Ris dans la grand voile. On alterne tour à tour Gennaker, Spi et Solent.

Ô joie, le fait d’avoir moins de gîte nous permet de réutiliser les WC. Seule précaution à prendre : bien boucher le petit lavabo en même temps que l’on pompe pour éviter que notre auguste obole à Neptune ne soit refoulée par ledit lavabo. Il doit quand même y avoir un problème de tuyauterie dans l’installation !

A part les poissons volants omniprésents qui encombrent le pont chaque matin et quelquefois des dauphins qui nous accompagnent, la nuit, nous n’avons rien à voir. Sauf, bien sûr, la féerique voûte étoilée dès que la lune s’est couchée. Il nous arrive d’apercevoir un cargo au loin sur l’horizon mais, c’est très rare.

De jour, je retrouve le même bleu de l’océan que j’avais oublié depuis la transat. Un bleu marine, clair, transparent qu’on ne trouve pas habituellement dans les palettes des bleus. Peut-être dans certaines roches ou gros tessons de verre bleu.

Dans la nuit le vent monte à 25 nœuds. L’eau rentre par un hublot mal verrouillé. La carte (ou ce qui en tient lieu) s’envole de la table à carte, tombe dans l’eau sur le plancher de la cuisine et est retrouvée piétinée et déchirée. Dominique la reconstitue minutieusement avec du ruban adhésif. Notre équipement n'est pas glorieux.

Mercredi 10 Décembre

Le vent monte à 30 nœuds. On essaye de prendre un deuxième ris. Mais un chariot de grand voile reste bloqué sur le rail du mât qui s’est arraché partiellement. On se fait copieusement arroser. Nous sommes à 200 miles au large de l’embouchure de l’Amazone. On constate des courants contraires de 2,5 nœuds. Olivier reprend la barre car le pilote peine. C’est la zone où les pirates sont le plus à craindre. On se souvient que le 6 Décembre 2001 (il y a juste 2 ans) Peter Blake a été tué par des pirates brésiliens sur son bateau, l’ex Antartica de Jean-Louis Etienne.

Ce midi nous avons mangé notre dernière salade de crudités (choux, carottes, oignons, riz, concombres …). Le midi, c’est traditionnel, salade de crudités servie dans des cuvettes en émail, engloutie plus que mangée, tous ensemble dans le cockpit sauf le barreur bien sûr. Le soir, avec un tiers d’eau de mer et deux tiers d’eau douce, on fait cuire dans la même grande casserole, des pâtes ou du riz ou des pommes de terre en même temps que des boîtes de conserve non ouvertes de viande ou de sauce tomate. Cela économise et l’eau et le gaz. On répartit ensuite le tout dans les gamelles de chacun. Le reste de pâtes ou de riz est conservé pour être servi le lendemain en salade au déjeuner.

Jeudi 11 Décembre

Il fait très chaud, toujours 30 degrés à l’ombre. La mer est agitée. A l’extérieur on se fait arroser par la mer. Le pont est toujours aussi salé et poisseux. A l’intérieur il fait trop chaud (jamais moins de 37 degrés). On ne peut pas ventiler à cause des entrées de mer. Tout est humide, moisi, salé, puant de sueur. La mer est constamment à 28 degrés mais toute idée de baignade est exclue en raison de la vitesse du bateau.

A midi nous reculons nos montres d’une heure. Cinq heures de décalage avec la France.

Nous avons quitté les courants contraires de 3 nœuds de l’Amazone. Nous entrons enfin sur la carte maritime officielle de l’Atlantique nord. L’échelle est évidemment petite, mais au moins nous travaillons sur du sérieux. Nous constatons que nous avons un delta de 15 degrés entre le nord des cartes et le nord magnétique après avoir fait les calculs pour obtenir la déclinaison en 2003 par rapport aux données de la vieille carte. La déclinaison magnétique change tous les ans et est différente en chaque lieu du globe. Ici et en ce moment elle est donc particulièrement importante. Il faut en tenir compte pour les calculs de cap qui doivent intégrer le cap compas (magnétique), le cap de la route sur la carte (géographique) et le cap GPS qui donne la route par rapport au fond.

Cette après-midi nous avons bénéficié d’une pluie bienfaisante pour pouvoir enfin faire la première toilette à l’eau douce. Ca change du seau d’eau de mer.

Olivier nous parle d'un rêve, celui de remettre en état l’ancien 60 pieds Aquitaine Innovation d’Yves Parlier que nous avons visité à Bahia puis de le louer pour participer à la Star (course en solitaire sur l’Atlantique nord au mois de Mai). Le bateau est en si triste état qu’il estime que, même avec de l'aide, il faudra plus de deux mois le travail pour le préparer.

Catherine a téléphoné. Elle est très surprise, contente et émue d’avoir reçu le bouquet de roses d’équateur que je lui avais fait envoyer avant mon départ par internet. J’avais fait joindre un petit mot qui semble lui avoir bien plu.

Cette nuit, avant le lever de la lune, nous pouvons admirer la sphère céleste étoilée et vérifier que l’ensemble se déplace d 'est en ouest en montant totalement au zénith. E n France, les étoiles ne montent pas plus haut qu’une quarantaine de degrés décrivant un arc de cercle de part et d’autre du sud. La lune suit ce même mouvement et se retrouve tout en haut vers 3h du matin en un formidable plafonnier éclairant tellement qu’il est possible de lire toute la nuit.

Au cours de la traversée de la Méditerranée comme au cours de la Transat comme maintenant, j’ai toujours eu la pleine lune à peu près au milieu du parcours.

Vendredi 12 Décembre

Ces dernières 24 heures, nous avons parcouru 270 miles. Jamais au cours de la course Jacques Vabre Régis Guillemot et Olivier Salnelle n’ont parcouru autant en 24 heures. Le bateau a un dessin de carène si parfait qu’il ne laisse derrière lui qu’une trace idéale sans remous. On dirait un grand monoski sur la neige.

La griserie de la vitesse est encore plus accentuée la nuit. Le bruit est impressionnant. Bruit de glissade sur l’eau et de vent dans les oreilles. Nous avons du mal à nous entendre. Nous devons crier pour nous parler. Depuis le départ notre vitesse se situe entre 9 et 13 nœuds et très généralement nous filons 10 nœuds pour un vent moyen de 15 à 18 nœuds.

Comme tous à bord, je ne supporte plus la position assise car nous avons des espèces de petites escarres aux fesses. Il faut dire que le pont de Storagetek a été recouvert d’un antidérapant en grains de silice collés (genre toile émeri) très efficace mais très douloureux pour la peau (et les coups de soleil). De plus nos shorts sont toujours humides de sueur, de sel et d’eau de mer et la peau des fesses s’irrite d’autant plus facilement dans cette macération que nous sommes pratiquement toujours assis.

Olivier me fait remarquer que la mer n’est plus bleue mais verte. C’est le jaune de l’Amazone et du fleuve Maroni qui, mêlé au bleu de la mer, donne cette couleur verte. Pourtant nous sommes à plus de 220 miles des côtes. Mais l’Amazone est le fleuve ayant le plus haut débit au monde.

Nous nous sommes toujours tenus à l’écart des eaux territoriales soit à plus de 200 miles à cause (entre autre) des pirates. Nous avons quitté les côtes du Brésil puis de la Guyane Française, puis du Surinam. Nous passerons ensuite au large des côtes du Guyana et du Venezuela pour atteindre Tobago. Dominique nous a fait remarquer que, contrairement à ce que nous pensions tous, le Surinam est le pays d’Amérique du sud qui a le PNB le plus élevé (grâce surtout à l’exploitation de la bauxite). L’argent ne doit aller que dans quelques poches !

N’ayant plus de nourriture, nos repas seront toujours les mêmes : pâtes ou riz avec des conserves de pâté ou de thon Henaff (sponsor de Storagetek). Seul André qui n’aime pas les pâtes aura droit à des conserves de petits pois.

Pourvu que nous ayons assez de gaz. Mais nous avons été très économes sur l’unique bouteille de Camping Gaz du bord. Quant à l’eau, cela risque d’être très juste.

Samedi 13 Décembre

Cette nuit on a tous été hors quart. Olivier a veillé toute la nuit à notre place. Pour tous cette nuit entière de sommeil fut très réparatrice. Dominique s’est évertué toute la journée à essayer de réparer le PC qui contient les cartes maritimes. Il faut dire qu'il est expert dans l'art de déchiffrer les notices en tout genre, exercice auquel il s'est adonné tout au long de notre périple. Son travail ne fut pas vain car il a réussi à redonner vie au PC. Il y eut un moment d’espoir et Olivier décida que, munis de cette source de données, nous allions faire escale à Tobago, mouiller et aller à terre (à la nage car nous n’avons pas d’annexe) pour manger des langoustes. L’île de Tobago est, parait-il, une île paradisiaque qui en fait rêver plus d’un parmi nous.

Hélas, le soir, il fallut se rendre à l'évidence, la carte n'était pas assez précise et on ne pouvait pas prendre le risque de s'aventurer près de l'île avec un tirant d'eau proche de quatre mètres. Nous loffons donc légèrement et mettons le cap sur l’île de Barbade puis la Martinique. Nous allons doubler Barbade par la côte au vent pour ne pas nous trouver déventés par le relief de l’île. Nous laisserons l’île sur notre bâbord.

Nous loffons, cela veut dire également que nous retrouvons des allures de près plus serré, que nous nous faisons plus éclabousser et que nous gîtons plus malgré les 1500 litres d’eau de mer qu’Olivier vient de mettre dans le ballast tribord .

Dimanche 14 Décembre

Dernier repas à bord. Nous n’avons plus à manger que des gâteaux à apéritif car nous avions acheté les gâteaux mais pas d’apéro ! Il reste également 1 Kg de sel fin.

Nous passons l’après-midi à ranger le bateau et à nettoyer au maximum. C’est pénible mais il faut bien le faire. La dizaine de sacs poubelles entassée dans un coffre commence à dégager des odeurs plus que nauséabondes. Pour l’instant nous avons réussi à n’en crever aucun.

Le soir, à la tombée de la nuit, j’aperçois une lueur à l’horizon indiquant la présence de Barbade. A 23h Barbade, magnifiquement éclairé, défile à 12 nœuds sous nos yeux pendant trois heures. C’est la première fois que nous voyons autre chose que la mer. Nous longeons la côte constellée de lampadaires et d’enseignes au néon à quelques miles seulement.

Puis nous mettons le cap sur La Martinique. Le vent monte entre 22 et 25 nœuds et le bateau surfe à toute allure (12 nœuds) sur la houle.

Lundi 15 Décembre

Nous n’avons pas de carte assez précise pour nous diriger mais Olivier connaît bien le coin et nous conduit d’une barre sûre vers la baie de Sainte Anne puis du Marin. Après avoir suivi le chenal en respectant la signalisation inversée propre à cette région maritime (il faut laisser les bouées rouges sur tribord et les vertes sur bâbord !), nous arrivons au Marin. Pour la première fois nous ressortons les défenses et les aussières.

A 10h30 nous accostons à un ponton après une superbe manœuvre arrière d’Olivier qui fait l’admiration de tous.

Notre premier désir, qui va être satisfait en premier par André, est de nous baigner dans l’eau du port au grand étonnement des plaisanciers qui trouvent l’eau impropre à la baignade.

Puis nous sortons tous de notre paquetage une tenue impeccable pour aller boire une bière bien fraîche au bar le MangoBay. Quel délice. Nous passons ensuite quelques coups de fil à nos familles et nous déjeunons.

Sylvie a réussi à avoir cinq billets d’avion pour Orly à tarif bas sur le même vol pour le Mercredi 17.

L’après-midi, mon beau-frère, Philippe, qui réside à Fort de France, vient me chercher pour loger dans sa famille et Dominique loue une voiture pour que les autres équipiers qui dormiront encore sur le bateau, puissent aussi découvrir les attraits de l'île.

Mardi 16 Décembre

Nous nous retrouvons au Marin puis nous allons avec la voiture de location au nord-est de l’île, à la pointe Caravelle pour déjeuner puis visiter les ruines du château Dubuc et la rhumerie Saint James. 

Mercredi 17 Décembre

Enregistrement des bagages à 14h à l’aéroport du Lamentin.

Décollage à 18h

Jeudi 18 Décembre

Atterrissage à Orly à 7h, heure française.

Il fait –2 degrés.

Une heure d’attente pour récupérer nos bagages car la porte de la soute de l’avion était gelée et refusait de s’ouvrir.

Retrouvailles avec Catherine, Sophie et même Mathilde qui m'avait fait la surprise de venir avant de prendre son travail.


Dès mon arrivée à Vineuil, je m’empresse d’envoyer un e-mail à Valérie au Brésil pour lui annoncer notre retour en France mais aussi pour lui demander la clé de l’énigme des interrupteurs.

Si vous avez eu le courage et la patience de me lire jusqu’ici, vous avez bien droit aussi à la réponse :

On allume l’interrupteur N°1 pendant une minute environ. Puis on l’éteint et on allume le N°2. On entre dans la pièce. Si la lampe est allumée, c’est le N°2. Si elle est éteinte on la touche. Si elle est chaude c’était le N°1. Si elle est froide c’est le N°3.


ANNEXE

Les cinq coéquipiers :

Olivier Salnelle

Skipper, 30 ans

BPPV, INB de Concarneau

La Trinité sur Mer

André Dutertre

Retraité, 62 ans

Quiberon

Jean Rennuit

Anesthésiste, 60 ans

Pontivy

François Aubert

Pharmacien, 55 ans

Vineuil

Dominique Duchesne

Gynécologue, 47 ans

Pontivy

Le bateau :

Longueur à la flottaison : 13,70 m

Largeur : 4,25 m

Déplacement : 6 tonnes

Structure : sandwich carbone-balsa

Voilure 130 m2 au près, 320 m2 au portant

Lancement : 1999


La chanson de l'équateur

(paroles de Jean)

Refrain :  Vin qui pétille, femmes faciles

                               Sous tes baisers brûlants d'amour

                               Plaisirs, batailles, Vive la canaille

Je bois, je ris et je tue tour à tour.

André s'emmerde tous les soirs à notre bord.

Naviguer, pour lui c'est une femme dans chaque port.

Mais des ports par ici il n'y en a pas.

C'est le désert pire que le Sahara.

Tu t'rattraperas sur ton vieux Maudit Blues

En embarquant les copines, les voileux

Et contempleras le ciel et les douze

Constellations qu'on lit au fond d(tes yeux.

François nous vient des bords de la Loire

Où il fabrique potions et thérapies.

Il navigue toujours sans faire d'histoires.

Les crus du fleuve, il ne fait que les boire.

Bronzé, noiraud, smart et silencieux,

Tu apprends vite à barrer le grand Spi.

Et pour parfaire ta science de la toile

Tu nous concoctes du Ti-Punch trois étoiles.

Toi Dominique, tu préfères laisser croire

Ton obsession c'est d'voir le cul des femelles.

Mais elles ne laissent, c'est bien connu, les belles,

Que ce qu'elles veulent bien nous en laisser voir.

Quant à la mer, c'est bien la même histoire,

Tu as beau lire, en parler, en rêver,

Ce n'est qu'en croisant toutes les routes, tous les soirs,

Que tu sauras un beau jour naviguer.

A toi Olive, que t'importe la gloire,

Tu nous trimbales sous des cieux radieux.

Tu veux qu'on fasse ce qu'il faut pour te croire

Vrai capitaine d'un bateau merveilleux.

Tu laissas tomber les cartes, la pratique,

Courants, moteur, calculs informatiques.

Bref tu navigues plutôt pifomètrique

En futur pro du soixante pieds métrique.

Moi qui n'ai plus qu'à finir la chanson

En restant là face à cet horizon,

J'ai la chance de vivre cette aventure

Et qu'avec vous elle ne fut pas trop dure.

Un rêve c'est ce qu'on croit impossible.

Si les débuts furent un peu difficiles

Au bout il y eut un bon équipage

Et entre nous on a écrit cette page.



Retour à La Une de Logo Paperblog