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TransMed

Publié le 24 novembre 2006 par Fraubert

TRAVERSEE DE LA

MEDITERRANEE

Juin 1995

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A Mathilde,

A Agathe,

Par Sophie :

Lundi 29 Mai 1995

                Départ de Vineuil à 8h (Papa et moi). Arrivée à Randan (près de Vichy), chez Daniel vers 11h30. Déjeuner avec Eliane et Aurélie (sa fille aînée). Repartons vers 14h30. Pour descendre jusqu’à Port-Camargue, Daniel nous fait traverser la Lozère et le parc des Cévennes que nous ne connaissons pas. Très joli mais triste car il y a de la pluie tout le long de la route.

                Arrivons à Port-Camargue un peu avant 20h. Il fait beau. Nous allons dîner au Fidji, un snack tout près du port. « C’est pas cher et on y mange très bien » nous dit Daniel. C’était vrai.

                De retour au bateau, Papa et Daniel discutent un peu technique et on sent bien qu’il n’y a pas grand chose vraiment au point « pour le départ ». Ce matin la météo à la télé annonçait que le temps allait se gâter jusqu’à vendredi et ceci nous a été confirmé par un bulletin météo spécial diffusé sur le canal 19 de la VHF à 22h : « Vent fort à très fort (force 7 à 8) avec une mer agitée à très agitée ». Bon ! De toutes façons, on ne devait pas partir demain, tant mieux... Demain nous irons faire les courses d’avitaillement. Je prends mon courage à deux mains pour faire la liste de tout ce qu’il faudra acheter pour un mois, en classant les courses par catégorie (denrées périssables, viandes, pâtes et riz, conserves, produits d’entretien, petit-déjeuner, etc...) et avec l’aide de Papa et de Daniel, il a fallu indiquer en face de chaque provision la quantité nécessaire. Ça nous a valu de bonnes parties de fous-rires car on avait du mal à imaginer où ranger tout ce qu’on avait écrit sur la liste dans les coffres du bateau !

                Nous allons nous coucher à minuit et demi en pensant que la liste était une bonne chose de faite. Demain il faudra aller chercher M. Claude Toubert à la gare du Grau du roi. Il nous accompagnera jusqu’à Fréjus. (Il a prévu de faire plus tard un trajet en bateau avec Daniel du côté des Amériques mais rien n’est encore décidé).


Mardi 30 Mai 1995

                Lever vers 8h. Nous allons nous laver puis nous déjeunons. Le temps est couvert. Cette nuit il a plu très fort. Papa a eu trop chaud et il a (déjà) mal au dos. Ce matin Daniel et Papa effectuent quelques petits bricolages et tentent de comprendre pourquoi le loch ne marche pas ainsi que le speedo. Papa est très ennuyé de constater qu’il n’y a toujours pas de girouette, anémomètre, GPS, gonio, taquets, etc...

                Daniel part pour aller chercher (soi-disant) l’acte de francisation du bateau et il ira chercher Claude à la gare dans la foulée. Il revient vers 11h30, sourire au lèvres, « François, j’ai une mauvaise nouvelle » dit Daniel, « l’acte de francisation du bateau est bloqué à Marseille depuis trois semaines avec la grève de la poste (il n’aurait pas pu y penser avant ? !), donc on ne peut pas aller à Port-Fréjus et on ne peut pas faire la Transmed ! ». Rires jaunes. « Maintenant la bonne nouvelle, dit Daniel , c’est que si je vais à Bandol aujourd’hui, ils peuvent me refaire un acte de francisation ! ». Il est donc parti, avec Claude (qui venait justement d’arriver en train depuis là-bas, dommage !). Il a pris la Nevada, et Papa s’est aperçu qu’il ne lui avait pas donné les papiers. Deux heures de route pour y aller et en sachant qu’il roule comme un fou, nous n’étions pas rassurés. Bon. Nous voilà tous les deux coincés là pour tout l’après-midi avec pour seul mission d’essayer d’installer à bord  l’autoradio de récupération de Daniel. Et la liste des courses qui attend toujours !

                Nous réfléchissons. On appelle Maman vers midi un quart pour qu’elle nous communique des numéros de téléphone de loueurs de voitures, pour que nous puissions aller faire les courses. Oui, mais si Daniel décidait de s’arrêter les faire en route ! On abandonne notre projet qui s’avérait en plus être très coûteux. Nous déjeunons au port dans une pizzeria. Daniel est revenu vers 17h30. Là, pas d’hésitation, il fallait aller faire les courses. Mais Daniel avait déjà acheté 120 bouteilles d’eau, 5 packs de 6 jus d’oranges, 3 packs de 6 bouteilles de Coca ! Oh merde ! Il y a seulement 1, 2, 3,...4 bouteilles qui fuient. Eh ou, les bouteilles sont de mauvaise qualité et ne valent pas leur prix (1,92 F la bouteille ! cher ! ). Bon. On passe l’éponge ... C’est le cas de le dire. Puis nous partons tous les quatre faire les courses après avoir peiné pour trouver le Centre Leclerc de Lunel. Quatre caddies bien remplis, et nous passons aux caisses à l’heure de la fermeture, presqu’à coups de pieds aux fesses car les caissières sont pressées. Nous nous arrêtons dîner dans une cafétéria (comme si il n’y avait pas assez de bouffe dans le coffre, sur la banquette arrière et sous nos pieds ...). Le pire çà a été pour décharger, ... et recharger dans les coffres de l’Aventura III. Ça aurait valu une photo. Des sacs Leclerc partout ! Finalement, tout tient dans deux grands coffres, trois grands tiroirs, deux frigos, et le coffre sous la couchette de Daniel et Eliane pour mettre les 100 et quelques bouteilles d’eau. Le deuxième frigo a normalement dû être réparé. J’ai oublié de dire qu’ensuite, on a fait la liste de chaque chose qui se trouve dans les coffres pour pouvoir s’y retrouver. Un gros travail de fait.

                Daniel nous montre sa dernière trouvaille : un compas intérieur. « Bon bien sûr il n’est pas très précis parceque dès qu’on approche une masse métallique çà le fait dévier, mais ... à 20 ou 30 degrés près ... ». Mais oui ! Nous ne l’utiliserons donc le moins possible. Ce soir il fait beau.

Mercredi 31 Mai

                Ce matin le vent souffle et il pleut. Le monsieur revient pour le deuxième frigo qui n’a pas l’air de vouloir marcher (un frigo-boat alimenté par un compresseur relié directement au moteur). On bricole toujours sur le bateau. Au fait l’autoradio que Papa avait enfin réussi à installer hier et à faire fonctionner pendant quelques temps l’après-midi a grillé quand Daniel a voulu l’essayer ! Il n’y a pas météo à 12h33 comme prévu, mais le vent souffle très fort. A 14h09, un bulletin spécial est diffusé sur le canal 9 de la VHF : « Vent de force 9 à 10 par violentes rafales - mer forte » (Valable jusqu’à Jeudi 18h). Plus question de partir aujourd’hui. On a donc du temps pour manger correctement, puis j’appelle Maman pour la prévenir. Maintenant, elle risquerait d’arriver à Port-Fréjus avec Eliane avant nous. Tout l’après-midi, les 3 hommes ont essayé de faire marcher le loch. (C’est Papa qui a trouvé la solution vers 20h30 -Bravo-). En fin d’après-midi, Papa et moi sommes allés à la capitainerie pour regarder le bulletin météo affiché. Il annonce que le vent s’affaiblira demain en fin d’après-midi et que les éclaircies reviendront. Le départ pourrait être prévu pour demain soir. -Mais il reste encore toute la route à tracer, et à vérifier les voiles pour mauvais temps. Allons nous coucher de bonne heure (22h30). Aujourd’hui c’est moi qui ai fait la cuisine ; ça m’a occupée parce que, question électronique et bricolage, je ne pouvais pas vraiment aider.

                Je suis dans notre cabine à l’avant du bateau, prête à éteindre. -Le vent souffle fort et les amarres grincent, la drisse de Grand voile claque contre le mât, tandis que le bateau se balance de manière assez prononcée, malgré son poids.    


Jeudi 1er Juin 1995

                Anniversaire d’Agathe. Lever vers 7h, alors que Daniel et Claude sont réveillés depuis longtemps. Douche, petit-déjeuner. on devrait partir cet après-midi, il faut donc encore vérifier quelques détails. (Nous déjeunons sur le bateau).

                Ce matin, Claude a demandé aux deux mecs du bateau d’à côté à pouvoir le visiter. C’est un AMEL Super Maramu. 8 couchettes, 2 salles de bains. Micro-ondes. Entièrement automatisé, cockpit central. Rien à redire, sauf « qu’il est tellement haut de plafond que les hublots servent uniquement à éclairer mais que c’est dommage qu’on ne puisse pas voir la mer », dit Papa. C’est le seul défaut apparent du bateau. Chose curieuse, ils n’ont pas demandé à visiter notre bateau !

                En début d’après-midi nous irons à la capitainerie pour avoir la météo car le vent n’a toujours pas baissé. A midi, j’appelle Eliane pour la prévenir de notre départ. Elle me dit, démoralisée, qu’elle n’a pas pu avoir ses congés et qu’elle ne pourra pas faire la Transmed. De plus elle me dit que la météo nationale à la T.V. annonçait des rafales de 110 km/h sur la Méditerranée. Je tiens Papa au courant. Il n’est pas très chaud pour partir tout de suite et moi non plus. Claude "veut faire du bateau, est venu là pour faire du bateau, peu importe le temps ". Daniel est indécis. A la capitainerie, ils annoncent un fort coup de vent avec des rafales à force 10 sur le Cap Couronne (Marseille) que nous devrions passer de nuit. Ca nous refroidit encore plus, Papa et moi. Il faut prendre une décision. Partir tout de suite, ou attendre demain matin à l’aube. Finalement, Daniel et nous deux pensons qu’il est plus prudent d’attendre. Là-dessus, Claude prend ses clics et ses clacs et décide de repartir chez lui par le train puisque ça fait deux jours qu’il est là et qu’il n’a toujours pas fait de bateau, alors qu’il « était venu là pour naviguer ». Daniel le raccompagne à la gare. J’appelle Maman pour la prévenir de notre décision de départ demain vers 4h du matin.

                Cet après-midi, Papa a équipé la grand-voile pour prendre des ris, j’ai fait les pages pour le journal de bord, et Daniel a encore bricolé quelques petites choses. En fin de soirée nous avons sorti le bateau pour aller faire le plein de fuel ... 900 F de note pour 200 litres environ, ça chiffre ! On appelle Agathe pour son anniversaire. Daniel appelle Eliane et il a bien fait puisque finalement elle nous annonce que son inspecteur général, l’ayant vue tellement démoralisée le matin, lui a quand même donné des congés (sans solde). Ouf ! Je suis vraiment très heureuse pour elle, et pour Maman qui appréciera oh combien sa compagnie pendant la Transmed, je le sais. Ca vaut bien un petit apéro !

                Le bulletin météo annonce un vent faiblissant avec une houle avec creux de 2 à 3 mètres, mais mollissant dans la nuit. Le départ est fixé aux environs de 4h . Voici la route que nous voulons suivre : Port-Camargue, Pointe de l’Espiguette, Saintes Maries de la mer (balise de la pointe de Beauduc),Faraman (balise), Ile du Planier (face à Marseille), Cap Sicié, petite passe des Iles d’Hyères, Cap Camarat, Port-Fréjus. (en tout environ 150 Milles). On se couche vers 23h. Papa prend bien tous ses médicaments qui l’empêchent réellement d’avoir mal au dos (5 comprimés ! ).

Vendredi 2 Juin 1995

                A 3h20, Daniel frappe à notre porte. « Si tôt ! Il n’est pas bien ! » dit Papa. Douche, petit-déjeuner, et évidemment je suis en retard. Nous larguons les amarres à 4h30 (au lieu de 4h comme Daniel l’avait prévu). Il fait nuit et ce n’est vraiment pas facile de sortir du port : Daniel est à la barre, Papa est sur le pont et balaye les environs avec un gros projecteur. Je me poste entre eux deux pour transmettre les messages à chacun. « Tribord, Bâbord, Par où on passe ? Où est la sortie ? » Nous franchissons la sortie du port à 4h45. La mer est un peu houleuse. On aperçoit une ligne rose à l’horizon, signe qu’il fera beau. On monte les voiles (Papa et moi). Le jour se lève petit à petit pour une belle journée. Pointe de l’Espiguette, 5h45. Balise des Barronnets, 6h02. -Vent arrière- Balise de la pointe de Beauduc (Saintes Maries de la mer) à 8h36. Faraman à 10h10. La mer devient de plus en plus agitée. J’ai pris la barre à un moment dans ce trajet mais je ne me souviens plus quand. Au Cap Couronne (là où on franchit le Rhône), la houle est impressionnante. et sans vouloir nous vanter, les creux (et les vagues) devaient bien atteindre les cinq mètres de haut. Je n’avais jamais vu ça ! Daniel a pris la barre. J’espère que les photos que j’aurai prises aujourd’hui seront réussies : les vagues montaient au-dessus de celui qui barrait. Après une belle mer bleue ou verte, les eaux du Rhône sont presque beiges, boueuses. A midi, nous mangeons un sandwich au jambon préparé par Daniel alors que je suis à la barre. Je préfère regarder le compas que de savoir les énormes vagues qui se dressent derrière moi. J’ai du mal à m’habituer à la roue et la houle ne m’aide pas vraiment. La bôme passe d’un côté à l’autre, ça devient pénible. Il faut prendre un ris -Opération périlleuse et dangereuse-. C’est Papa qui la fait et j’essaie de l’aider. Papa me dit qu’après cette manoeuvre, il est en sueur.

                Balise de Racon à 13h30. Ensuite il faut aller voir à l ’intérieur sur les cartes quel est le trajet à prendre. Papa ressort de la cabine en disant qu’il ne faut pas qu’il reste à l’intérieur, ça lui fait mal au coeur. Daniel lui demande pourtant de vérifier le trajet sur l’ordinateur pour passer Marseille et l’île de Planier. Je vois Papa faire les cent pas dans la cabine entre les cartes et l’ordinateur. D’un seul coup il ressort, son visage variait du vert au blanc et son front était couvert de gouttes de sueur. Il s’est crocheté immédiatement à l’étais Tribord pour être dans le bon sens pour le vent, et il a vomis à deux reprises. « Sophie, tu pourrais me passer un sopalin s’il te plaît ».

                Après Marseille, nous passons l’île de Riou, la balise de la Cassidaigne et les îles des Embiez (Toulon). Daniel a dormi un peu cet après-midi. Papa et moi nous nous relayons pour prendre la barre (Papa n’a plus du tout mal au coeur, mais ce n’est pas mon cas, ça me tortille l’estomac). La houle est très forte et le passage du Cap Sicié est très mauvais. Il est 20h30 (le Cap Sicié ressemble physiquement au Cap Horn). On voit des dauphins qui s’amusent au large. -La V.H.F. ne semble plus marcher-. Passé ce cap, le vent tombe. Je prends la barre.

                Daniel actionne la manette du moteur (sans l’allumer et alors que les voiles sont encore montées) « Comment ça se fait que ça ne marche pas, ça ? » dit Daniel. « ça », c’est que la manette du moteur ne voulait pas s’actionner vers l’avant ! Papa me regarde, l’air inquiet. «ça y est, elle est décoincée ! ». On met le moteur parce qu’il n’y a plus de vent, malgré la totalité de la toile.              La nuit tombe progressivement. Une fois la nuit tombée, je prends la barre pour franchir « la petite passe » entre la presqu’île de Gien et l’île de Porquerolles (23h50). Daniel va se coucher. Ce passage dans la nuit est très beau. Il n’y a plus de houle. Je suis heureuse d’entamer ma première nuit de navigation dans d’aussi bonnes conditions.

Samedi 3 Juin (Nuit et Journée)

                A 2h, Daniel se lève, il a mal au coeur. Papa va dormir jusqu’à 4h. Moi je reste avec Daniel puis Papa pour qu’ils ne soient pas tout seuls à faire les quarts.

                Après Bormes-les-Mimosas, le Lavandou, Cap Cavalaire, nous franchissons le Cap Camarat à 5h20. Le jour se lève. Il fait beau. Il n’y a toujours pas beaucoup de vent et nous ferons le reste au moteur jusqu’à Port-Fréjus où nous arrivons à 9 h. J’ai dormi un peu plus d’une heure juste avant d’arriver. Entrés dans le port, nous allons faire le plein de gasoil puis nous accostons au ponton réservé aux participants de la Transmed. Ca fait du bien de poser le pied par terre mais ça tourne, ça tourne ! Les trois futurs équipiers de Daniel pour la Transat viennent partager une bouteille de rosé avec nous.     Daniel part faire les démarches pour dire que nous sommes arrivés, et pour demander à réparer la V.H.F., le compte-tours du moteur et la jauge du gasoil. Ensuite nous prenons une douche.

                Maman, Agathe et Eliane sont arrivées. Elles sont fatiguées elles aussi.

                Déjeuner dans le bateau avec l’un des équipiers de la Transat.                L’après-midi nous assistons à des démonstrations de sécurité.

                De retour au bateau, Daniel est malade. Maman et moi allons faire les dernières courses (pain, vin, tomates,...).

                Ce soir, dîner à l’hôtel APLUS, organisé pour la Transmed. Daniel et Eliane dorment à l’hôtel et nous sur le bateau. Demain c’est le grand jour.


---journal tenu par Maman à partir d’aujourd’hui---

Dimanche 4 Juin 1995 (puis nuit et journée du Lundi 5 Juin)

                Je prends le relais puisque la secrétaire officielle me passe le stylo.        Lever vers 8h. Il faut regrouper et organiser le rangement de nos bagages. Nombreux allers et retours vers la voiture, et finalement Daniel et Eliane arrivent tout frais après avoir petit-déjeuné à l’hôtel. Nous petit-déjeunons sur le bateau rapidement puis Sophie et Agathe rejoignent l’hôtel pour s’installer et prendre une douche.

                A 11h30 briefing pour expliquer le déroulement de la course, toutes les instructions seront données sur le canal 72 pour que les concurrents puissent communiquer entre eux. Super pour ceux qui ont une V.H.F., c’est à dire tous les autres, car celle d’ici a grillé lors d’une ultime tentative de réparation, et la petite portable, personne ne sait la programmer.

                Jean-Marc Rutin (l’organisateur de la Transmed) parle presque hébreu, il emploie des termes pour initiés, on nous distribue de jolis dessins d’art abstrait qui sont sensés être des cartes météo. Ah bon ?

                Seul point important : A 15h départ pour un « triangle d’honneur » entre la ligne de départ (on suivra les autres), le lion de mer (c’est où ça ? -Mais là-bas, voyons, devant vous ! Bon sang mais c’est bien sûr ! -), et une bouée blanche  de la Marine Nationale que tous sont sensés connaître mais que personne ne trouvera jamais. On va essayer de se mettre au courant. Puis à 16h30 départ officiel vers Ajaccio ! Retour au bateau. Déjeuner rapide. je vois les minutes défiler à une vitesse vertigineuse qui vont bientôt nous séparer de Fof et de Gatoune qui ont rendez-vous avec le responsable de la capitainerie vers 14h30 pour qu’elles assistent de près au départ de la course.

                Elles partent donc, trop tôt à mon goût, c’est un peu la déchirure, nous ne les reverrons que de loin sur leur petit bateau officiel. Nous aussi nous larguons les amarres, arrivons trop tôt à la ligne de départ et faisons des ronds dans l’eau avant le triangle. Bons derniers durant cette étape, un petit coup de moteur au loin nous permet de rejoindre le peloton, et d’arriver encore trop tôt pour le deuxième départ ! Les autre sont au courant, mais nous ? Surtout que la montre de la capitainerie doit avoir huit minutes de retard. Enfin le grand départ, dernier au-revoir à nos deux filles ! Un gros bisou serait le bienvenu mais nous sommes limités à de grands signes à dix mètres de distance.

                Ajaccio cap 140 (environ). Le vent n’est pas d’accord. Nous faisons donc route plus à l’Ouest. Réglementaires à la voile pendant deux heures. Puis un petit coup de moteur d’à peine une heure et le vent a changé, il nous permet de suivre une meilleure trajectoire.
                En début de soirée Eliane et moi sommes allées nous reposer dans nos cabines. Est-ce l’odeur du gasoil assez forte après avoir fait le plein, est-ce l’angoisse, est-ce l’amarinage difficile ? , toujours est-il que nous seront malades toute la nuit, elle allongée sur un siège du cockpit et ne se relevant que pour soulager son estomac, moi faisant des navettes entre ma cabine, les toilettes, et l’extérieur quand il fallait aider.

                Le vent s’est levé, et en pleine nuit il a fallu changer de génois, opération périlleuse de nuit et avec ce vent, nous n’avons bien sûr pas d’anémomètre, mais ça souffle dur. Impressionnant cette masse de quinze tonnes tirée par ses grandes voiles rouges ! Nous doublons ou sommes doublés par d’autres concurrents qui nous diront après avoir essayé de nous contacter mais en vain.

                Avant le départ, le bateau avait échappé au contrôle de sécurité, c’est peut-être mieux ainsi. Le winch pour hisser le génois donnait des signes de faiblesse au départ, et pour changer de voile dans des conditions difficiles, c’était encore plus gênant.

                Nous longeons les côtes corses très au large pour conserver un vent qui nous convienne, puis arrivons par la « passe des Sanguinaires », spectacle magnifique d’une mer bleue entre des rochers et des îlots avec le faufilement des voiliers. « C’est un à nous, ça ? » oui car il a son grand fanion bleu « Transmed ». On se fait Coucou puis on arrive dans la baie d’Ajaccio (encore 5-6 milles) au moteur, plus un poil de vent, pas de bouée rouge indiquant la ligne d’arrivée (on saura après qu’elle a été remplacée par une blanche).

                Au port, un peu de panique pou savoir où se loger car le bateau ne passe pas partout et les consignes du responsable sont vaseuses. Enfin tout est « clean », on aide le voisin à se mettre en place. Puis un dîner rapide et une bonne nuit sont les bienvenus. Nous téléphonons à Sophie et Agathe, puis Mamy pour dire que nous sommes bien arrivés.

Mardi 6 Juin 1995

                Repos. Enfin en théorie. Daniel a trouvé un éventuel réparateur pour sa V.H.F., il l’emporte. Nous reprenons contact de pouvoir entrer en contact avec les autres. Il fera plusieurs tours car il n’avait pas tout emporté au début ! Eliane cherche et trouve une laverie. Je fais un peu de lessive, et François démonte le winch défectueux que nous remettrons en état.

                Déjeuner dans le cockpit sous un taud, en plein courant d’air. Dommage de n’avoir pas gardé le soleil sur nos têtes. C’est beau de vivre ces instants reposants pour les yeux, chacun s’affairant sur son bateau, sur fond de montagnes corses et de ciel bleu.

                L’après-midi, sieste, puis un peu de ravitaillement. Las, la V.H.F. n’est pas réparée, elle restera à Ajaccio jusqu’au retour vers le 20 Juin. Heureusement, le canal 72 a enfin été repéré et nous permettra de communiquer sur de petites distances.

                Apéritif offert à la capitainerie, remise des premières coupes (tiens, pourquoi on n’en a pas ? ) le départ vers la Sardaigne est conseillé vers 2h du matin. Mais nous partons vers 22h ce soir pour quitter le port avant la nuit. J’appelle Madou, puis juste avant le départ Sophie et Agathe qui sont bien rentrées (vers 21h). Soulagement de savoir tout le monde au bercail.

                C’est beau un port la nuit, puis nous voilà dans la pénombre qui devient presque totale quand la lune se couche. Le vent n’étant pas favorable, nous privilégions le moteur.

Mercredi 7 Juin 1995

                4h du matin. François et moi avons fait le quart minuit-2h30. On doit reprendre notre poste à 4h30. Mais à 4h, le moteur s’arrête, ou plutôt est arrêté par le skipper, repart, mouline, s’arrête à nouveau. Je me lève précipitamment et croise Eliane qui dit « Il a quelque chose dans l’hélice », puis qui retourne vite se coucher. « Qu’est-ce qui se passe ?  » « Un gros problème », dit Daniel qui semble se décourager. L’hélice ne répond plus, le moteur vibre dangereusement, il faut tout arrêter. La seule chose qui fonctionnait bien ! Une seule solution : remettre les voiles, mais le vent est de face, nous n’avons parcouru que 29 milles et la Sardaigne nous est totalement inconnue.

                Nous décidons donc de faire demi-tour et de rallier Ajaccio où il sera peut-être possible de faire réparer. Je pense déjà à nos billets d’avion de Tunis, aller ou retour, qui risquent de devenir inutiles...

                Nous croisons un paquebot qui refuse de répondre à notre appel V.H.F. sur le 16. On est bien petits au milieu de la mer avec un matériel en panne. Un petit espoir : que quelques  « Transmed » se trouvent encore dans les parages. Miracle, enfin Joky 2 nous répond, il contacte le Crossmed qui prend nos coordonnées et nos noms -via Jocky 2 car nous ne pouvons pas émettre assez loin. Nous signalons notre changement de cap, le vent est assez favorable au début, mais bien vite il se calme.

                Comme précédemment je continue à faire le point et à le marquer sur la carte. Ca devient décourageant, plus le temps passe, plus nos trajets horaires se raccourcissent. Il fait très chaud vers midi, on n’avance plus, les voiles battent.

                Soudain : Mais on dirait l’hélice « qui chante ». C’est bien elle, le moteur repart mais avec des bruits bizarres et un refus de marche arrière.    Quelque temps plus tard, vers 15h, Daniel va plonger sous le bateau. L’hélice semble dégagée et en bon état. Les hommes profitent de cet arrêt en pleine mer pour vérifier le moteur. Très confortable, à plat ventre au dessus d’une mare de gasoil (il doit y avoir une fuite au tuyau de remplissage...) et bercés par le ronron du diesel. Il y en a un qui ne s’en remettra pas : François est malade, déjà chagriné par une mauvaise digestion, il lui ajoute un 38°5 persistant.

                Côté technique, tout semble maintenant OK, nous décidons donc de repartir vers la Sardaigne. Le Crossmed est prévenu par l’intermédiaire d’un bateau inconnu qui transmettra notre message. Nous sommes à 15 milles d’Ajaccio, il nous en reste donc 60 pour rejoindre Porto Conte, nous naviguerons toute la nuit, ça ne fait jamais que la deuxième nuit consécutive sans sommeil !

                François a maintenant 39°5 ! Il ne dîne pas, j’avais pourtant préparé et fait cuire des pommes de terre nouvelles l’après-midi -pendant qu’Eliane dormait (encore !)- Elle en mange deux, au beurre, j’en fais revenir à la poêle pour Daniel,- il faut soutenir le moral des troupes-, et j’en ajoute un peu pour moi. C’est bon les petites patates sautées pour se donner du courage.

                Nous naviguons au moteur. Nous croisons à plusieurs reprises une baleine -il y en a paraît-il deux en Méditerranée- , peut-être est-ce la même que François avait vue la première nuit ? Quelques dauphins apparaissent mais ne jouent pas, ils sont sans doute moins amicaux avec un moteur qu’avec les voiles silencieuses.

                François prend quand même un premier quart avec moi (21h30-23h30). Eliane et Daniel se reposent. François essaie de barrer de l’intérieur mais le compas n’est pas éclairé et la trajectoire s’en trouve déviée. Il faut pourtant faire attention de ne pas trop approcher car au Nord de la Sardaigne il y a une zone militaire qui « tire sur tout ce qui bouge »si on est trop près.

Jeudi 8 Juin 1995

                Je dors de minuit à 1h. Je vais faire la fin du quart avec Eliane tandis que Daniel nous annonce « vous vous débrouillez bien les filles, je vais dormir ». Panique car ce n’est pas facile de gouverner l’engin avec la houle, même si celle-ci n’est rien près de ce qu’ont connu François et Sophie pour rallier Port-Fréjus.

                Vers 2h Eliane part se coucher. Il reste qui à la barre ? - Ben moi, quoi ! Daniel se lève, je continue à positionner mes points toutes les heures.

                Ca y est on va trop vite, on arrivera trop tôt à Porto Conte au mouillage, dans la nuit. Ralentir, se faire trimballer encore plus longtemps par la houle. Il y a des lumières au ras de l’eau, qu’est-ce que ça peut bien être près de cette côte rocheuse peu accueillante ? Des écueils, non des barques de pêche, mais qui n’ont pas répondu aux signaux lumineux de Daniel qui avait sorti son projecteur.

                L’entrée de la baie est là, au pied du phare. Le jour commence à vouloir se manifester, on nous a donné une photocopie d’un dessin représentant l’intérieur de la baie, mais je trouve que les rochers ne se ressemblent pas. Pourvu qu’on soit au bon endroit ! Je n’arrive pas bien à maintenir le bateau dans les courants qui barrent l’entrée, c’est crevant, d’autant que je n’ai dormi qu’une heure cette nuit.

                « Allume le sondeur ! » ordre du chef. Vous croyez qu’il fonctionne cet appareil-là?  Eh bien oui, mais ses données sont incompréhensibles.

                Enfin l’arrivée dans la baie, on reconnaît les silhouettes de nos co-Transmed. On essaie plusieurs fois d’entrer en contact V.H.F. mais personne ne répond. Il faut dire qu’il est 6h du matin. Je les envie d’être bien au chaud et au calme sur leurs couchettes. François s’est levé pour voir l’arrivée, il barre les manoeuvres d’amarrage. Dans la brume du matin, avec les rochers tout autour, on dirait la baie d’Along.

                Tout est calme et incite au repos, ce que nous ne tarderons pas à faire après avoir pris un petit-déjeuner.

                Environ 10h, branle-bas de combat, un des futurs coéquipiers Transat (Poussin actuellement sur Tobago) vient rendre visite à Daniel, avec Claude et Paul de l’Apataki qui lui succèdent. Comme ils ont une annexe à moteur, nous leur demandons de venir nous chercher pour le Ti-Punch de midi sur le voilier de J.M. Rutin. La baie n’est pas très grande, mais à quatre dans un AX2, à la rame, c’est périlleux et téméraire. Nous sommes partis avant leur arrivée, et sommes remorqués par des équipiers de Joky 2. Ti-Punch donc à midi, en fait c’est du Planteur !

                Nous conversons avec le propriétaire du plus petit bateau de la Transmed, un First 29 (8m60) qui est à La Rochelle et qui a emprunté le canal du Midi pour rejoindre la Méditerranée. Il lui a fallu six jours (sans compter le temps technique de démâtage et remâtage). C’est peu, nous pensions plus, par contre il a talonné plusieurs fois malgré un tirant d’eau de 1,50m seulement.

                Retour sur l’Aventura III en demandant à un autre « annexé ». En effet, le moteur que Daniel devait acheter à Fréjus, le propriétaire a dû décider au dernier moment de le garder en augmentant le prix pour ... dissuasion ! Encore une autre petite contrariété. Le comble c’est que c’est ce moteur là qui nous a remorqués pour revenir à midi !                               

                Repas : salade composée, tomates, pommes de terre, saucisses, puis paëlla (au fait Sophie, ce n’était pas la bonne marque. L’autre a des morceaux de viande différents et peut-être pas de chorizo ! ), mimolette (c’est pareil, la « vieille » est meilleure que la « mi-vieille » !) puis banane pour nous deux parceque « les bananes c’est lourd et ça rend malade ... ».

                Sieste bien méritée, puis vers 16h on se demande si on va à terre pour vider les poubelles, faire quelques courses, téléphoner à nos filles, rapporter du sable etc. Grosse question. Pour en finir, rien n’était vraiment urgent et nous sommes restés au bateau, mais ça s’est terminé en jus de boudin, qui semble très indigeste. François, lui, paraît guéri. On nous a dit que dans l’anse voisine il y a des curiosités de la Sardaigne (superbes grottes marines, seul site ayant trois étoiles sur le guide Michelin). Il faudra revenir voir ça.

                Quartier libre, puis Daniel propose une partie de Scrabble, pas apparemment bienvenue. Je suis donc seule confrontée au champion mais je le talonne quand même aux points. Eliane lit. François feuillette un numéro de « Voiles et Voiliers ».

                Puis apéritif, dîner (comme à midi) et je pense que nous ne tarderons pas à nous coucher. Demain il y a une étape de 45 milles environ. Si le vent est avec nous ce sera parfait. Nous passerons entre l’île de « Mal di Ventre » (mais oui) et la côte sarde pour rejoindre Oristano, une baie où nous mouillerons au pied des ruines.

                J’écris mal et je ne vois pas bien les lignes. Ca vient du patch « Scopoderm » que j’ai mis mardi soir. Effets secondaires : sécheresse de la bouche, troubles de la vision pour moi. Eliane sèche aussi mais ça la fait surtout dormir.

Vendredi 9 Juin 1995

                Déjà ! Avec ces successions de nuits qui n’en sont pas, je suis complètement déphasée pour le calendrier. J’ai oublié, je crois, de dire hier que je m’étais baignée. Voir toute cette eau autour de soi et ne pas en profiter, c’est un peu frustrant. Alors à 11h du matin, bain autour de l’Aventura III. Daniel avait plongé pour revérifier son hélice. François n’a pas osé se tremper à cause de son 39°5 rugissant, euh pardon, finissant. A vue de peau, l’eau doit-être entre 18° et 20°.

                Ce matin, lever à 7h40. Toilette à la cuvette dehors, petit déjeuner, mais pas question de bain car il faut se presser pour partir. La plupart des copains ayant déjà largué les amarres. Départ au moteur puis le vent se montre favorable alors on hisse les voiles. Tout ça avec la compagnie d’un nouvel équipier : le pilote automatique qui fonctionne enfin (la chaîne avait sauté). C’est super, personne à la barre, et il sait aller tout seul au bon endroit. Pas de coup de gueule du skipper, juste un petit pschitt dans la mécanique quand il doit corriger un peu sa trajectoire. La roue tourne toute seule. Dommage qu’on ne l’ait pas eu plus tôt. Ca nous change la vie. Résultat, il n’y a plus qu’à surveiller devant, marquer le point de temps en temps sur la carte. On va s’ennuyer ? Très vite, nous avons surnommé « Pipi » ce valeureux pilote discipliné et facile à vivre. Pourvu qu’il tienne bon !

                Bain de soleil sur le pont, lecture pour Eliane, tricot pour moi.

                Vers midi, après une partie de Scrabble, Daniel dit « Je vais faire du riz Pilaf ». Eliane : « Moi je fais des pâtes ». Exemple typique de la coordination qui existe entre nos deux compagnons. On a mangé des pâtes.    Après déjeuner, sieste, re-Scrabble. J’écris mes cartes postales sur des étiquettes que je n’aurai plus qu’à coller sur lesdites cartes quand je les aurai achetées !

                Le soir, on trouve un sachet de soupe crevé. On va donc l’utiliser. Là « redrame » : C’était du potage Knorr et non pas Maggi et aux 9 légumes au lieu de 7 et « Vous avez pris de la crème fluide, moi je n’utilise que de la épaisse, d’ailleurs j’ai bien vu que vous aviez changé plein de choses sur la liste que j’avais faite » ... et gnagnagna... Je me suis permis de dire que la liste aurait alors dû être faite avec toutes les précisions désirées (marque, fluidité, forme de boites ... )

                François fait une pizza après notre arrivée. Eliane : « Vous mangerez de la pizza si vous voulez, moi j’aurai faim avant donc j’aurai déjà mangé et de toutes façons, je n’aime pas les olives noires ! ». Moi : « Tu feras comme les enfants, on leur dit de ne pas manger avant d’être à table ». J’ai un peu eu peur d’une réaction vive, mais je pense qu’il y a des choses à ne pas laisser passer. Si on veut vivre en harmonie, il faut un peu laisser au loin ses petites manies. Tout est à l’avenant, l’étape était trop longue, on ne pourrait encore pas téléphoner, et ce bateau qui ne va pas assez vite,  etc, etc.

                Sinon la partie technique du bateau s’est très bien passée. Le pilote automatique est merveilleux. Nous avons frôlé l’île de Mal di Ventre, atteint notre cap dans les temps, à la voile, et vu une superbe épave de chalutier qui nous indiquait l’endroit où il ne fallait pas passer.

                19h : Mouillage dans une baie, au pied d’une ruine de tour. Là encore, polémique, « et pourquoi on se met si loin des autres, etc... » Réponse théorique et agacée du skipper sur les longueurs de chaîne à dérouler, le bateau qui tourne, les autres qui risquent de cogner. Il y a souvent de l’eau dans le gaz.

                Nous avons donc mangé la soupe, la bonne pizza (tous les quatre ensemble). ReSrcabble . François s’était couché juste après dîner. Bonne nuit à tous.

Samedi 10 Juin 1995

                Comme d’habitude au mouillage, on entend la chaîne qui grince, qui se déroule, des bruits sur la coque, ... Daniel s’est encore levé plusieurs fois cette nuit pour voir si tout allait bien. François a chaud, il prend sa température : 38°48 encore ! On cherche des médicaments. Pourvu que ça aille mieux au réveil.

                On avait décidé de partir à 6h.

                6h moins 20 j’ouvre un oeil, il est temps de se lever, eux dorment encore, nous traversons leur chambre avec nos affaires de toilette, et douche sur le pont ou toilette à la cuvette. Nous sommes «clean », et le bruit de la pompe a dû les réveiller. Petit-déjeuner. Ma pauvre Sophie je ne sais pas si tu auras encore de la brioche, le troisième paquet vient d’être entamé. Il y a une « craquinettophage », moi je prends des petits grillés, mais les hommes se ruent sur la brioche. Je suis dans la cabine, j’entends le moteur, puis la chaîne, je regarde l’heure pour marquer car il semble bien qu’on soit partis...

                6h40. Nous quittons la baie, il fait beau avec quelques nuages, peu de vent, la Grand voile et l’Artimon sont montées mais c’est le moteur qui fait tout,  et le pilote automatique qui le dirige. Il y a juste quelques évitements à faire sur les casiers et les filets de pêche.

                Nous avançons à plus de six noeuds, nous ne devrions pas arriver trop tard.

                Encore un petit ennui : Après des tests, un repositionnement, etc, le loch ne marche toujours pas. Pourvu que le G.P.S. ne tombe pas en panne comme sur un autre bateau.

                Etape sans grand commentaire, je tricote dehors. Ce matin François et moi prenons la vigie après Daniel. A midi, crudités, jambon, riz Pilaf. Petite sieste, puis le paysage a déjà beaucoup changé. Il faut dire que le vent a été très favorable. Nous arrivons en face d’un grand complexe industriel côté Sardaigne, et de petites îles très construites côté large. L’île San Pietro est là, des hauts fonds tout autour (2 mètres), mais ça passe. Dans le port il y a un important trafic de ferries et de style Navijet. On se faufile entre les gros et les barques de pêche, on aperçoit le ponton qui nous est destiné. Il y a beaucoup de vent, il faut faire deux tours avant d’arriver à se mettre en place. Enfin les amarres sont fixées. Il est autour de 16h.

                Nous faisons le calcul, cela fait 96 heures que nous n’avons pas mis pied à terre. Trois jours et trois nuits à vivre sur les quelques mètres carrés de l’Aventura III

                On nous annonce que l’eau et l’électricité seront coupées à 17h. Par contre, pour les poubelles que nous traînions depuis deux jours, il faudra attendre 19h. Nous allons en ville essayer de téléphoner. D’abord, acheter un éléphant pour avoir de la monnaie. Plus on met de pièces dans le téléphone, plus il en demande, et on a toujours pas le 3610. Je finis par arriver chez un abonné « Pronto », je réponds par un « Scuzi » et raccroche. On va finir par acheter une vraie carte, mais ça n’ouvre qu’à 17h. Je reviens chercher des gros billets au bateau, nous faisons de la monnaie en achetant chacun une carte. Sauvés ? Non. Nouveaux essais, ça ne marche toujours pas ! Ah, il fallait casser le coin de la carte ! Subtil. Enfin ça marche, très très loin, et tous ces Sardes qui se sont réveillés de leur sieste et qui pétaradent sur leurs vespas, et les mamas qui hurlent dans les combinés voisins. -Le téléphone est-il vraiment indispensable si le correspondant n’est pas trop loin ? - Ca fait plaisir d’entendre Sophie, d’avoir des nouvelles du foyer. Apparemment tout se passe bien là-bas, tant mieux !

                Pour le dîner nous faisons quelques courses. Yaourts indispensables (Daniel n’en a pas mangé depuis deux jours ! ) à des prix prohibitifs (plus de deux francs le yaourt), des tomates (« en France elles sont plus grosses et on n’en vend pas des aussi petites »), un melon (ah, enfin ça a l’air de plaire), du pain (il n’y en aura pas assez pour deux jours ! ) . Pff ! Sophie il y a longtemps que tu aurais rué dans les brancards. Eliane et Daniel ont voulu acheter du poisson, heureusement que c’est eux qui avaient pris la décision car à 25000 lires (environ 80 francs) pour deux poissons, ça douille ! En plus ils avaient un drôle de regard, avec des yeux à plat sur la tête ! Dîner : reste de crudités, poisson, riz Pilaf.

                J.M. Rutin nous a dit qu’il y avait en ville la fête du thon. Nous avons vu les préparatifs. François et moi décidons d’y aller faire un tour. Eliane et Daniel vont se coucher. Dans les rues, animations, filles en costumes locaux, musique, ... C’est vraiment la fête. On sent quand même un retard dans l’évolution, on se croirait vingt ans en arrière, mais c’est agréable.

                Nous rentrons au bateau sur la pointe des pieds vers 22h30.

Dimanche 11 Juin 1995

                A défaut de messe, briefing de Jean-Marc pour nous annoncer le programme de la journée. D’abord une régate en triangle à 11h30. Puis temps libre et remise des prix à 20h. Nous n’avions pas envie de régater mais J.M. Rutin a dit qu’il valait mieux que tout le monde participe, par égard pour les italiens qui avaient tout organisé. Donc on part vers 11h moins 20 faire quelques ronds dans l’eau avant de franchir la ligne de départ, le vent est costaud, le cap qu’il faudra tenir difficile, mais on tente le tout pour ... le rien !                 En effet, prêts à franchir la ligne de départ, un grand bruit, la bôme qui fout le camp : C’est la cadène bâbord de l’écoute de grand voile qui a cassé, et qui est partie à la mer. Ca aurait pu faire plus de grabuge mais de toutes façons c’est fini pour la régate ! Par V.H.F. Daniel annonce l’incident et l’abandon. Retour au moteur après avoir affalé, vent méchant dans le port où notre place est prise et où au bout de plusieurs manoeuvres on arrive enfin à se glisser entre deux bateaux, avec l’aide d’un couple de Français qui nous avaient vu arriver en difficulté, et de notre nouveau voisin. Lui c’est un papy espagnol bourlingueur, avec un jeune. Il est en panne. Une saute d’alternateur lui a grillé tout son matériel électronique de bord. Plus de GPS, plus de sondeur, plus rien. Il est revenu de Tunisie au pif, comme quoi on arrive à se débrouiller. Mais il aimerait bien regagner Barcelone. Notre panne à nous n’est rien à côté et nous sommes contents que ça soit arrivé aujourd’hui plutôt que sur la route de Tabarka ou au retour ! Il va quand même falloir réparer et aujourd’hui c’est Dimanche, tout est fermé.

                Déjeuner, sieste, puis promenade pour François et moi. Je ramasse du sable. Nous restons un moment sur la digue à regarder le trafic des bateaux et ... la mer ! Nous la côtoyons depuis si longtemps et pourtant ne nous pouvons nous empêcher de la contempler encore. Puis nous allons en ville pour trouver l’adresse d’un accastilleur pour demain.

                Ca sent bon : Eliane vient de faire un clafoutis aux pommes. Dehors le vent souffle fort, même dans le port nous sommes secoués. Ca va peut-être sécher plus vite la lessive que j’ai faite tout à l’heure, à moins que ça ne s’envole !

                Nous allons à la remise des prix à 20h. On n’en aura pas, mais on pourra raconter notre mésaventure (et peut-être quelqu’un aura une solution radicale).

                20h. Remise des prix, tout ce qu’il y a de plus officiel. J’en ai profité pour « m’habiller » un peu : corsaire blanc, sweat rayé blanc-marine, gilet laine marine. Il y a là le maire, l’attaché au tourisme, des journalistes, d’autres huiles dont on ne comprend ni leur grade ni leur utilité, des marins ... Heureusement qu’on n’a pas eu de coupe. Je ne sais où elle aurait été mise : des engins énormes ! Comme il y a un classement général et un classement par catégorie, il y a même un ou deux bateaux qui ont eu deux méga coupes ! Daniel a quand même une petite assiette en métal argenté en souvenir de sa participation à la Thon Cup.

                Après tous les discours, buffet. Il y a des Italiens qui sont venus avec toute leur famille, qui se bousculent devant nous et qui restent plantés devant le buffet en empêchant d’aborder. Quel manque d’éducation ! On a d’abord une espèce de Taboulé tiède avec des pois chiches, et du chou, et une tranche de thon à l’huile d’olive. Puis du thon cuisiné à la sauce tomate, avec de la salade de tomates vertes puis une tranche d’espadon. Enfin quelques uns ont droit à un morceau de nougatine, puis une assiette de fruits. Le tout accompagné de vins locaux liquoreux et délicieux.

                Chouette : un dîner de moins à bord. On échappe aux « Nous on ne mange pas ça, on ne fait pas comme ça ... » etc qui sont toujours de rigueur à chaque repas.

                Coucher vers 23h

Lundi 12 Juin 1995

                Lever. Douche à 8h.

                Nous nous sommes inscrits à la « Gira del Isola » (tour de l’île) en minibus pour 11h. « Vous êtes 70, le tour dure environ 1h, 1er départ à 10h, le dernier à 17h ». Ca semblait logique ! J’ai oublié de dire, qu’avant, Daniel m’a demandé 100 000 lires pour acheter des pièces pour l’Aventura III et qu’ils sont allés avec François faire acquisition pour réparer.

                Retour à notre bus. 10h15 rien. 10h30 rien. Nous sommes avec six participants de la Transmed, BCBG dédaigneux, qui font leurs commentaires : « - Hier, nous sommes rentrés dîner sur le bateau » « - Il y en a qui doivent être contents de profiter des buffets, ils ne mangent que des sandwiches à tous les repas ». « - C’est vrai, les menus ne sont pas les mêmes sur tous les bateaux » ... Il faut dire qu’on a croisé plusieurs sacs plastiques avec des homards à 300 F pièces qui devaient être dégustés au repas suivant !

                Bref, nous avons notre minibus à 11h45 qui nous ramène vers 13h et là le chauffeur ... part déjeuner ! Les tours ne se termineront que demain matin. L’île est pauvre, pas beaucoup de vie, pas d’eau, beaucoup de bâtiments « abandonato ». Peu de culture, quelques vaches maigres.

                Après midi, bain de mer dans une petite crique.

                Marius et Marie-Claire (Kéops), viennent prendre l’apéritif. Nous allons poster nos cartes postales puis tous les quatre du bateau allons au restaurant. Pâtes. Poisson pour Daniel. Fromage pour nous et glaces « maison » délicieuses. Grosse averse qui nous fait grouper les tables au milieu du repas. Nous sommes au moins 40 de la Transmed dans ce restaurant en terrasse sous une bâche qui mouille ! Je téléphone à la maison. Ca fait plaisir d’avoir des nouvelles fraîches.

Mardi 13 Juin 1995

                François et moi allons faire des courses de bouffe. Toujours les même. Qu’est-ce qu’on va encore acheter qui ne conviendra pas ? Ca sera les abricots, trop acides, qui « brûlent l’estomac ». Nous allons aussi essayer de trouver un magasin qui pourrait nous vendre une carte marine de la région de Tabarka car Daniel n’en a pas (!) On fait tout déplier au libraire pour rapporter les détails à notre skipper ... qui est en train de jouer au Scrabble et ne se soucie guère qu’on ait passé une demi-heure à chercher pour lui. On partira sans carte ...

                J’ai oublié de dire qu’avant, à 9h, au moment de vider la vache à eau de la douche + lavabo, la pompe était coincée, HS. On a passé une partie de la matinée les planchers ouverts, avec diverses odeurs et manipulations qui n’auront rien donné. Heureusement nous avons la conscience tranquille : nous n’utilisons jamais ni la douche ni le lavabo. Mais la vache est quand même pleine et il va falloir la vider !

                Déjeuner : Melon, haricots verts (ah il fallait faire frire l’ail dans le beurre avant les haricots !), rôti de dinde, abricots qui brûlent.

                Le départ était prévu pour tous à 14h. Nous décidons de partir une heure plus tôt.

                13h. Nous quittons le port, souhaitons bonne route au Papy espagnol qui compte rejoindre ses pénates sans avoir réparé dès que la météo sera favorable.

                A la sortie du port l’alarme du moteur siffle tout le temps, le voyant de batterie clignote. On monte les voiles, il y a du vent. Daniel coupe le moteur.      

                Après-midi agréable, il fait beau, il y a du vent, juste ce qu’il faut. Au bout de plusieurs heures les autres nous rattrapent dans un beau ballet de spis multicolores.

                Le pilote marche bien. Dîner (pâtes), nous nous organisons pour les quarts, mais Eliane décrète qu’elle dormira dans le carré, malgré notre suggestion de dire que c’est la place du second de quart. Moi : « Tant pis je dormirai dehors ». Daniel a beau lui dire de venir dans sa cabine, elle va rester toute la nuit sur sa banquette, sans jamais se lever pour prendre un quart !

                Nous faisons le 21h-23h. A 23h40, Daniel met le moteur, plus fort, moins fort, on l’entend courir dans le carré, ouvrir la trappe « c’est l’alternateur qui ne marche plus et qui ne charge plus la batterie moteur ». Ah, la voilà la panne que je pressentais ... Je l’appréhende, cette nuit ! Mais il parait que ce n’est pas si grave que ça, le moteur peut démarrer sur les autres batteries. Ah bon, on a quand même raté notre sommeil. Le moteur est en alarme continue, ça siffle en permanence, c’est d’un agréable !

Mercredi 14 Juin 1995

                Enfin, moteur ou voile, on va arriver à Tabarka Mercredi sous un beau soleil, après avoir croisé un dauphin quelque temps. Nous sommes quatrième ou cinquième ! C’est formidable ! Tout le monde a dû mettre le moteur à un moment car le vent était tombé.

                C’est la première fois qu’on peut naviguer en restant au repos au soleil sur le pont, hier après-midi ou ce matin, allongé sur une serviette de bain. On sent qu’on descend vers le Sud, même en mer avec le vent, il fait plus chaud. C’est d’ailleurs traître car il faut faire attention aux coups de soleil.

                Après avoir été bien balancés devant l’entrée du port, nous entrons enfin dans Tabarka. 15h pour nous, 14h heure locale. Le port est très abrité. Il y a deux digues à contourner. On nous indique une place, on en prendra une autre car ils attendent des voisins amis. Là encore, plusieurs manoeuvres seront nécessaires pour caser l’Aventura III à sa place. François doit jeter l’ancre, mais je crois que Daniel n’a jamais expliqué comment ça devait se faire, et comme le bateau est in-manoeuvrable, il vaut encore mieux essayer de jeter l’ancre que de prendre la barre! Enfin nous y sommes, les amarres sont fixées. Une chance : nous nous trouvons juste à hauteur du quai, alors que les autres, avec leur belle jupe, vont avoir des enjambées impossibles à faire pour aller à terre !

                Il fait très chaud. François et moi installons les tauds pour protéger le carré et l’arrière du soleil, je place une serviette de bain sur notre fenêtre avant de cabine qui n’a toujours pas de rideau. Il y a ensuite les formalités de douane. Daniel remplit des tas de papiers, ça le fait suer à tous les sens du terme. Après il faut aller tous au bureau de douane pour qu’on vérifie nos trombines, si on ressemble bien au passeport. Pour moi, le douanier dit : « Catherine, avec un enfant ? ». Il était tombé sur la photo d’Agathe. Non, elle n’est pas là. Puis le douanier vient sur le bateau pour contrôler, il a même des « surchaussures » en skaï pour ne pas salir. On lui dit que ce n’est pas la peine. Ensuite on va à la banque. Après avoir cassé ma carte bleue dans l’appareil, on me dit d’attendre un quart d’heure car ils n’ont pas la liaison téléphonique pour l’autorisation.

                Nous allons faire un tour « en ville », et au retour décidons de changer des espèces, ça ira plus vite. Nous croisons Marie-Claire (Kéops) qui nous dit que dans un quart d’heure, un petit train doit nous emmener visiter un village berbère. Nous avons nos maillots sur nous, la plage est tout à côté, c’est décidé : un bain de mer rapide, une douche encore plus rapide, on se change, et on est prêts pour la ballade. C’est l’accueil en fanfare, « vous êtes tous les bienvenus, nous sommes tous frères, etc... », applaudissements, vivats, etc. Pourtant nous sommes crevés mais nous sommes pris par la chaleur de l’accueil local.

                Le village berbère, piège à touristes parfait !! Une tente, on nous fait asseoir. On en déguise quelques uns qui font les pitres puis font un tour de quelques mètres sur un pauvre chameau fatigué. Beaucoup vont faire un tour de chameau. On nous sert un thé à la menthe. On nous fait visiter la maison avec l’atelier de tissage des tapis, puis piège parfait, la salle d’exposition-vente des tapis. Démonstration parfaite, « on peut l’envoyer chez vous, regardez les factures, il arrive soit au bureau de poste, soit à l’aéroport... ». Ils ont même des cahiers de factures différents pour chaque pays, pour faire des statistique sur les pays les plus intéressants ! Je réussis à m’échapper avant la fin car François me fait signe de l’extérieur. Nous rentrons par le petit train, nous visitons la ville, « là, c’est la mairie de Tabarka, là le grand magasin de Tabarka, là le vieux port de Tabarka, là le jardin public de Tabarka (SIC) ». On ne risque pas d’oublier qu’on est à ... Tabarka !!

                Sur le port il y a une construction : restaurants, commerces de souvenirs, banque,...tout pour le touriste. En se promenant on se fait aborder sans cesse ! « Tu ne veux pas parler avec les Tunisiens ? ... Nous sommes amis, nous sommes tous frères ... » on retrouve l’atmosphère pesante de cette civilisation !

                19h : Apéritif cocktail de fruits offert par la capitainerie, avec des pâtisseries locales, et surtout cette musique omniprésente qui ne nous quitte pas depuis le village berbère : flûte nasillarde, percussions sur darboukas ou tambourins en peaux de bêtes locales. Je n’apprécie pas. On nous fait la fête mais c’est trop.

                Nous visitons l’Apoline. C’est autre chose comme bateau. Un Bénéteau 38 : Luxe, équipements modernes.

                Ensuite nous ne trouvons pas Daniel et Eliane. Ça ne fait rien, nous dînons seuls (enfin) sur le bateau, oeufs au plat et salade. Pas de réflexions. On se permet même un yaourt pour deux. Puis on va s’asseoir sur la jetée un peu au frais, en surveillant le bateau de loin. Il y a foule de badauds. On va se coucher. Toujours cette musique ! Mais, tellement fatigués, nous nous endormons. Il est 22h locales, 23h pour nous.

                Dans la soirée on a pu téléphoner à Sophie du bureau des douanes. Pas tellement discret, on ne peut pas s’exprimer librement. Elle semble contente qu’on soit arrivés entiers et le bateau aussi. Pourvu qu’elle ait elle aussi un retour agréable.

Jeudi 15 Juin 1995

                Je me réveille à 6h, pas moyen de se rendormir. Il fait déjà chaud. On ne se lève qu’à 8h, et là j’avoue que je suis contente de voir que le ciel est couvert... Petit-déjeuner, lessive malgré le temps un peu menaçant. Daniel s’est inscrit à une sortie plongée sous-marine pour la matinée. Eliane disparaît.

                Nous allons à la plage. Vent et nuages, il fait même un peu froid... puis le soleil se montre un peu, c’est meilleur. Quand nous rentrons à midi, l’équipage de l’Apataki est à bord, à prendre l’apéritif. Paul a 75 ans ! Il est encore bien « vert » pour son âge. Marc a déjà fait la Transmed, je crois que c’est sa troisième. L’Apataki, lui, a déjà fait plusieurs Transmed, Transat, Transpacifique jusqu’à Nouméa, dont il est revenu en cargo car on ne peut pas traverser l’Océan Indien. Marc me raconte qu’on y est attaqué par des pirates qui passent l’équipage par dessus bord, pillent le bateau, puis le coulent pour ne pas laisser de traces... C’est charmant ! ... Quand je pense que nous avions peur d’atteindre les eaux algériennes avec la dérive qui nous poussait loin de notre but, ça aurait peut être été un autre genre d’abordage, mais qui n’était pas très souhaitable non plus.

                Déjeuner. Nous on veut manger des briks (galettes de riz frites, fourrées avec de l’oeuf, du thon et de la salade verte), « ah non, pas moi, j’aime pas ça, je vais être malade », on suggère qu’on pourrait se séparer, mais pas moyen. On trouve un restaurant qui fait des briks, du poisson et des salades, de quoi contenter tout le monde, et on s’installe en terrasse « ah non, moi je mange à l’intérieur, à cause de la poussière » (!), devant le propriétaire du restaurant qui lui rétorque qu’il n’y a pas de poussière : nous aurons donc enfin gain de cause.

                Retour au bateau pour une tentative de sieste vite avortée car le bateau dérive, Joky s’est amarré à nous, nous lançons un bout à Jonathan IV (ASPTT Nice) qui n’apprécie pas qu’on risque d’abîmer ou de faire dévier son bateau ... l’ambiance est tendue !

                A 16h, opération fuel. Il va nous falloir une heure et demie pour aller faire le plein à l’autre bout du port. Heureusement, à 1,56 F le litre, ça vaut le coup. D’abord attendre que les autres soient servis, en faisant des ronds dans l’eau, puis opération périlleuse de la mise en place. C’est affreux comme ce bateau se manoeuvre mal ! Tout le monde le sait. Ils sont au moins une dizaine sur le port, à avoir pris les fauteuils du café d’en face, et à attendre qu’on arrive à se placer. Heureusement c’est fait avec humour, et là on a de l’aide. Jonathan IV a trouvé des réserves insoupçonnées de pare battages, il a même mis une toile pour protéger sa coque car nos pare battages mettent du rouge partout ! Ah, l’Aventura, c’est la bête noire, ou plutôt la bête rouge ! Il (le skipper de Jonathan IV, M. Carnivet Hervé, je suppose) guide notre approche, s’aperçoit qu’en effet le bateau est rebelle. Enfin il s’amadoue, consent à nous adresser la parole, pour un peu il ne ferait visiter son bateau si on lui demandait, mais je n’ai pas osé. Il est impressionnant. Il me dit qu’ils n’ont pas mis le moteur du tout entre Carloforte et ici. Ils sont restés dans le calme, sans vent, de minuit à huit heures, où ils n’ont parcouru que quelques milles. Puis le vent s’est levé et avec le spi ils ont trouvé le moyen de gagner Tabarka dans les premiers. Le premier c’est son copain Cassiopée, ASPTT Marseille. Ils s’étaient mis d’accord que si le vent ne s’était pas levé à 9h, ils auraient mis le moteur. Le temps leur a donné raison, et le skipper n’est pas peu fier, il a raison.

                Calme : nos compagnons sont partis acheter des cartes postales, heureusement moi j’ai fait ça à Carloforte. Maintenant ça me permet d’écrire (ce journal) sur la table donc c’est plus lisible. Car il est rare que nous soyons seuls, et là il faut écrire sur les genoux, recroquevillée sur la couchette de la cabine, dans le petit coin invisible, à l’abri des regards de Daniel et Eliane !

                Je vais copier le nom des concurrents à la fin de ce journal.

                Au dîner, un méchoui offert par la Transmed est prévu. Sur la terrasse du port, tes tables, des barbecues. Nous nous installons avec Marius et Marie-Claire qui nous racontent leurs vies pleines d’aventures.

                En fait de méchoui, au choix : sardines grillées ou brochettes de mouton. Mais les brochettes sont « réservées » et il y a beaucoup plus de sardines. Un méchoui-sardines, c’est nouveau !

                La pluie et la fin du repas pour notre table vont nous pousser à regagner le bateau. D’autres seront servis beaucoup plus tard. En compensation nous apprendrons qu’ils ont eu des merguez !

Vendredi 16 Juin 1995

                Lever à 9h, quel luxe, mais je m’était déjà levée vers 6h pour les sanitaires. une bouffée d’air frais quand tout est calme, ça fait du bien. On étouffe dans la cabine, et comme il pleut on ne peut pas ouvrir le vasistas.    

                Petit déjeuner. Lessive des traces d’oreiller. Puis promenade. François et moi montons jusqu’au fort qui domine le port. C’est loin, c’est haut, il fait chaud, mais c’est très beau. On domine le vieux port, qui est maintenant envasé, le nouveau port où nous « campons », la côte avec ses complexes touristiques sur la plage, et l’entrée par la haute mer. Une douche froide rapide est la bienvenue, puis apéritif sur l’Apataki. Bateau vieux mais bien conçu, suréquipé.

                Déjeuner : couscous. Nous l’appréhendions car nous n’avions pas très faim. En fait il est très digeste. Nous sommes douze à table : quatre de l’Aventura, deux de Kéops (Patrick et Marie), deux de Titteri, et quatre de Etanos (l’Ovni).

                Thé à la menthe en terrasse avec Patrick et Marie, où nous sommes abordés par un Tunisien qui nous raconte sa vie en France et à Monaco.

                Sieste où immanquablement Eliane, qui ne dort pas, vient consciencieusement marteler le plafond de notre cabine avec ses petits talons pour étendre son linge juste au dessus de nos têtes. Avant, il avait fallu se farcir le bruit de la pompe électrique comme berceuse, car évidemment elle ne fait pas sa lessive aux lavabos extérieurs comme les autres. Ras le bol de cette promiscuité égoïste.

                Plage. Il fait beau, la mer est bonne. Je lis le livre que Pierre Bidault m’a donné sur sa détention à Saint Domingue pour un trafic de drogue qu’il n’a pas commis.

                Nous sommes cinq ou six personnes de la Transmed sur la plage, plus le Tunisien précipité qui nous « colle ». François part se promener tout seul, les autres partent petit à petit, et je me retrouve comme une imbécile avec ce mec collant, je ne peux même pas partir puisqu’il faut que j’attende que François rentre, ses affaires étant sur la plage. Charmant au plus au point : Il faut à la fois que je fasse semblant d’être absorbée par ma lecture et que je surveille tous les sacs qui sont autour de moi. Je n’aime décidément pas ces pays Nord-Africains, ou plutôt le comportement de leurs habitants.

                Douche. Puis je prépare mes bagages avant 19h, car un bus vient nous chercher pour un apéritif dînatoire dans un hôtel de la plage. Grandiose, l’accueil. Plein de coupes sur l’estrade, des poteries de Tunisie, -des lots-. Il y aura une coupe et une poterie pour chaque bateau. Au tirage au sort François gagne un appareil photo jetable, et Daniel une gaffe automatique. Buffet varié et abondant. Photo de groupe au bord de la piscine. Ça n’a pas manqué, deux se retrouvent à l’eau : Jean-Paul et un équipier d’« Ont Vas ? ». Ils auront à passer le reste de la soirée tous mouillés car les bateaux sont loin ...

                Retour vers 22h mais, avec le décalage horaire, on a l’impression qu’il est plus tard. Avant de nous coucher, nous allons visiter Kéops. Marie-Claire offre un digestif que nous prenons à l’extérieur dans le cockpit. Petit à petit, aux six du départ, s’ajoutent d’autres convives. Nous serons 14 à la fin. Trois du Titteri, 4 de Jocki II et André, le propriétaire d’Etanos (l’Ovni) qui doit repartir demain en avion mais dont le bateau a une fuite au puits de dérive. Il va falloir le sortir de l’eau et c’est l’équipage du Titteri qui fera la réparation ! C’est beau l’entraide.

                Dernière nuit à bord. Il pleut et il fait chaud.

Samedi 17 Juin 1995

                Cinq heure. Je suis réveillée, pas moyen de se rendormir. Je vais prendre ma douche, ça fera de l’avance. Je pourrai peut-être dormir après. Mais non. Branle-bas de combat vers 6h15 : nos compagnons se lèvent, pompe à eau, portes qui claquent, toujours aussi discrets, en fait ils se sont trompés d’une heure. J’aurai dormi à peu près quatre heures. C’est l’apothéose. Ils se recouchent en parlant tout haut, mais maintenant ça va être l’heure officielle du lever général puisque le bus qui doit nous conduire à l’aéroport part à 8h30. J’espère que là-bas je verrai Sophie. J’ai emporté un peu d’argent tunisien pour lui donner au cas où elle aurait besoin de quelque chose en route. Je n’ai rien dépensé ici, car il n’a pas été question de lèche-vitrines. Il pleut toujours, c’est un comble de venir si loin pour se faire mouiller. J’espère qu’au retour ils auront meilleur temps. Je n’ai pas faim ce matin, mais je rêve aux figues que j’aurais tant aimé acheter et que j’ai vues dans les corbeilles à fruits des autres bateaux ...


--- par Papa ---               

                8h45. Derniers baisers de la main à Catherine qui s’en va vers Tunis par le car avec Eliane et de nombreux autres coéquipiers. Ceux qui restent essaient d’y aller de leurs blagues mais on sent bien que les coeurs sont gros. L’atmosphère est lourde et pesante.

                La pluie tombe toujours. J’ai fait le plein d’eau. Il va falloir trouver un moyen pour vider la vache de cale car la pompe a rendu l’âme (membrane crevée). Le Lavac (pompe des WC) donne aussi des signes de faiblesse (fuite).

Daniel vient de téléphoner à Ajaccio pour sa VHF : le réparateur ne s’en est pas encore occupé !

                15h15. Après s’être acharné deux heures à démonter la pompe, Daniel l’a « achevée » de rage à coups de burin ! Il pleut toujours.

                Kéops vient de capter la météo : Deux dépression stables au-dessus de Corse et Sardaigne (donc faible vent force 2 à 4 ) puis, à partir de Jeudi, mistral force 8 sur le golfe du Lion. Il faudrait être à Port-Camargue avant. Kéops part dans une heure vers Carloforte puis Majorque où il compte trouver un abri.

                Ce midi les autorités douanières sont venues réquisitionner les actes de francisation de tous les bateaux restants (ce qu’ils n’ont pas le droit de faire) car Cobalt est parti ce matin sans rien dire à la douane ! Donc pour éviter que cela ne se reproduise, ils ont réquisitionné les papiers. Pourra-t-on les récupérer facilement ?

                16h. Encore un instant émouvant : Les adieux à Kéops et Titteri II qui viennent de larguer les amarres. Nous les avons suivis jusqu’au bout de la jetée, les accompagnant de grands signes. Ils comptent toucher du vent en fin de nuit. Avant de partir, Kéops (qui est vraiment très bien équipé) nous a cédé deux membranes de rechange pour notre pompe. Nous allons essayer d’en tirer profit. Il pleut toujours.

                Apataki (bateau en acier qui a fait le tour du monde) nous a prêté un nécessaire  pour tarauder des filetages. On va pouvoir remonter la pompe.

                Nous avons démonté le capteur (roue à aubes) du loch de l’intérieur sans faire rentrer trop d’eau dans la cale. Malheureusement le problème est ailleurs.

                17h. Sophie vient d’arriver. Elle n’a pas pu dormir dans le train-couchettes à cause de l’inconfort. Elle n’a pas eu l’occasion non plus de rencontrer Catherine à l’aéroport de Tunis.

                19h. Il fait froid mais le soleil est revenu. La pompe de cale est remontée et fonctionne.

                Ça fait drôle de voir les bateaux restants avec de nouvelles têtes, facilement reconnaissables à la blancheur de la peau.

--- par Sophie ---

                Maintenant que je suis arrivée, je reprends le relais. Ce soir nous sommes allés au restaurant avec les trois équipiers d’Apataki, des gens très sympathiques, qui m’ont même permis de visiter leur bateau. On se couche d’assez bonne heure car demain il faudra se lever tôt. Mais la musique à la terrasse au bar du port nous empêchera de dormir.   

Dimanche 18 Juin 1995

                Levés vers 5h (heure de Tunisie), nous partons, après avoir bouclé les formalités de douanes et de police, vers 8h (heure française).

                Mer houleuse, et navigation au près serré. Nous faisons Cap sur Carloforte. Il fait beau.

                La nuit, le vent a forci et nous avons pris un ris et mis le génois lourd à la place du génois léger. J’étais assise tout à l’avant du bateau en train de ficeler le génois léger aux filières, quand une énorme vague m’est passée dessus et m’a trempée de la tête aux pieds. Ça surprend ! L’embêtant c’est que je venais juste de me changer pour la nuit (caleçon, pull, veste de quart). C’est là qu’on apprécie vraiment l’étanchéité de la veste de quart, comparée à mon caleçon et mes chaussures, dans lesquels je nageais véritablement !

                Le pilote est en marche, ce qui nous permet d’aller chacun se reposer une heure ou deux.

Lundi 19 Juin 1995

                Le vent tombe. On met le moteur en plus des voiles. Plus tard nous affalerons le foc car il nous freine.

                Petite anecdote (qui a failli devenir un gros emmerdement) : Vers midi, Daniel dit que nous sommes bien « emmerdés », et c’est tout à fait le cas, puisque la pompe des W.C. ne marche plus ! Daniel entreprend de la décoincer et il y arrivera, après un long travail pas très agréable ...

                Daniel a discuté notre arrivée au port de Carloforte avec sa V.H.F. portable en semi-Italien, semi-Anglais ... c’était assez comique !

                Nous arrivons à Carloforte à 14h30 ; c’est une jolie petite ville qui me plaît beaucoup. Il fait très très chaud. Nous allons nous baigner, puis faisons une sieste. Ensuite, nous prenons une douche au tuyau d’arrosage sur le ponton (ou, pour moi, sur le pont du bateau) car les sanitaires du port sont fermés. Papa et Daniel m’emmènent visiter la petite ville. Nous téléphonons chacun chez nous, puis allons dans un restaurant qui ne valait vraiment pas le détour (Adieu les bonnes pâtes fraîches italiennes). Nous finissons par une glace en cornet en marchant le long de la place, comme le fait toute la population de la petite ville dès que la nuit tombe.

                Avant d’aller dîner, nous avons retrouvé Kéops et Titteri (le First 29) qui étaient venus faire le plein de fuel. Nous obtenons une liaison V.H.F. avec Joky 2 par leur intermédiaire. Sur Kéops, les deux femmes ont été malades toute la nuit, ils se sont donc arrêté dans un port au Sud de la Sardaigne, et c’est pour cela qu’ils n’arrivent  que maintenant à Carloforte. Ils ont eu du vent à vingt noeuds, avec pointes à trente noeuds, et les vagues fouettaient le bateau à l’avant. Ils avaient oublié de serrer les hublots et il paraît que leur cabine avant était pleine d’eau !

Mardi 20 Juin 1995


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