"En Inde, j'ai rencontré deux gars ; je leur ai dit 'je peux pas aller avec vous, je suis venue ici pour écrire'. Ils m'ont dit 'sur quoi tu vas écrire ? Viens, nous on va te donner quelque chose à raconter'...", explique Dana Modan avant que les festivaliers ne découvrent Ananda. Cette introduction drôle et décontractée, racontée sur le ton de l'anecdote légère et avec un petit accent un peu rêche, c'est le meilleur résumé que pouvait faire l'actrice et scénariste de ce que nous allions voir.
Tout commence pour l'héroïne Anna par le plus grand des hasards : elle est sur le point de partir en Inde avec son petit ami, quand celui-ci s'aperçoit, au moment d'embarquer dans l'avion, qu'il n'a pas son passeport. Il l'encourage à partir seule : il la rejoindra plus tard à Dehli. Mais l'attente est insupportable pour Anna qui a le mal du pays. "Pas grave", lui dit son cher et tendre au téléphone, "va m'attendre dans les montagnes, j'arrive dans trois jours". Enfin, quand il aura pris son billet, mais il n'a pas l'air pressé. Sauf que le chauffeur du taxi qui l'emmène n'a pas bien compris, et au lieu des montagnes, il l'emmène dans le désert. Pas grave, fait son petit ami au téléphone, profite ! Comment ça profite ? Ah oui, au fait, le petit ami n'a plus envie de venir : "après que tu sois partie... je me suis senti libre". La salle est hilare, l'héroïne beaucoup moins. Elle propose de rentrer, il lui dit de profiter, que si elle revenait, il irait dormir chez un ami le temps qu'elle se trouve un appart. Elle a toutes les peines du monde à comprendre ce que le public sait depuis plusieurs minutes déjà. Le décalage fait rire les spectateurs ; c'est comme ça, Ananda. On ne rit pas de ce qui est drôle, on rit de ce qui est décalé. On n'a pas envie de se moquer d'Anna, mais on rit de son obstination à nier l'évidence. Le premier épisode aura mis un peu de temps à démarrer, mais une fois que c'est fait, toute la salle est sous le charme.
Et puis viennent les deux fameux gars. Deux types super sympas, qui parlent hébreu, se débrouillent en hindi, et roulent leur bosse à travers l'Inde, sans but. Eux, ils savent profiter. Ils donnent un premier coup de main à Anna, qui reste convaincue qu'elle va rentrer. Puis un second. Elle ne le sait pas, mais ils l'ont déjà adoptée, parce qu'ils sont comme ça. La salle adore Amir et Omar ; chacune de leur intervention met le sourire aux lèvres de tout le monde - tout le monde, sauf Anna, renfrognée au possible. Il y a le mal du pays, il y a son tempérament peu diplomate, il y a évidemment la rupture qu'elle met beaucoup d'énergie à nier... elle est imbuvable, Anna, mais on est comme Amir et Omar, on l'aime bien. On est en Inde, en Inde on ne déteste personne, après tout, pas vrai ? On n'est pas là pour se compliquer la vie !
Ananda, c'est avant tout l'histoire de ces deux gars qui vont tenter d'accompagner Anna dans son périple, de lui redonner le sourire, de lui ouvrir l'esprit. Ils ne la brusquent pas, ils se contentent de l'emmener dans le plus fabuleux des road trips, ou de lui prendre un billet pour un train qui ne part que dans plusieurs jours. "Le monde est à toi, mais toi, tu ne veux que ça", lui lance Amir en lui désignant un tout petit caillou ramassé sur le sol desséché. C'est qu'Anna, voyez-vous, s'accroche à ses maigres certitudes sur ce qu'elle a, ce qu'elle est et ce qu'elle vaut (c'est-à-dire dans les trois cas, pas grand'chose). Elle ne comprend pas qu'ils soient gentils avec elle, elle leur prête les pires intentions, et même dans les moments passagers où, se sentant bien avec eux, elle commence à leur faire confiance, elle ne conçoit pas qu'elle le mérite.
Et comme deux petits renards, Amir et Omar espèrent que la petite princesse va les apprivoiser. Parce que, Anna ne le sait pas, mais elle, l'est déjà !
Contrairement à Kathmandu (diffusée quelques mois plus tard), série israélienne qui se déroulait également en Inde, Ananda n'est absolument pas dans le religieux ou le spirituel. Personne dans la série n'est venu en Inde pour purifier son âme ou ouvrir ses chakras ; c'est simplement devenu la dernière terre d'aventure. C'est ici avant tout l'histoire d'une rencontre aidée par une autre : en faisant la connaissance d'Amir et Omar, Anna va pouvoir se découvrir elle-même. Se décoincer un peu, et s'autoriser à apprécier la vie.
Il ne fait nul doute qu'au terme des 8 épisodes de la premières saison (le public affamé de Séries Mania en a vu 3 hier soir, et en redemandait unanimement), Anna va être changée du tout au tout, et que les choses qui alourdissaient son regard dans le premier épisode lui seront devenues étrangères, lointaines. Pourquoi s'embarrasser d'un type qui se sent libre quand il vous a envoyée en Inde ?! Amir et Omar s'emploient à le lui démontrer, patiemment, à coups de sourires, de plaisanteries, de cadeaux, de compliments aussi. Anna ne s'aime pas, voilà la vérité, et c'est pour ça qu'elle n'aime rien de ce qui lui arrive. Ses deux gars vont le lui apprendre malgré elle...
Dana Modan travaille actuellement sur la deuxième saison d'Ananda ; la première lui a demandé 4 ans de travail (et deux mois avant le tournage en Inde, un acteur s'est désisté ; gloire lui en soit rendue, car en le remplaçant dans la peau d'Amir, Kais Nashef fait des étincelles). Elle admet dans un rire franc et un peu rauque (qu'on la suspecte d'avoir appris en Inde) qu'elle ne nous en voudra pas si on télécharge la série ; la salle rit quand elle désigne le producteur, assis quelques rangs plus loin, qui garde un visage poli à ces mots. La salle rit, mais la salle note que la première saison a apparemment été intégralement sous-titrée en anglais. Bon à savoir.
Mais ce serait quand même plus simple avec une diffusion sous nos latitudes. Quelle chaîne française se laissera apprivoiser par Amir et Omar ? On a hâte de le savoir.