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Libre, oui ! Faire ce que je veux, non !

Publié le 26 avril 2013 par Copeau @Contrepoints

Qu’est-ce donc que la liberté si ce n’est pas la faculté de faire ce que je veux ?

Par Philippe Bouchat, depuis la Belgique.

Libre, oui ! Faire ce que je veux, non !

Liberté ! Qu’est-ce donc que ce mot pour lequel tant de guerres ont (eu) lieu ?! La plupart de nos contemporains, cédant à la facilité ambiante, la confondent avec la licence : « être libre, c’est faire ce que je veux ! » affirment-ils tous.

Cela ne tient pas la route ! D’abord, parce que faire effectivement ce que je veux mène indubitablement au chaos, à l’anarchie, à la violence, au meurtre. J’ai envie de la femme du voisin ? Heureusement, je suis « libre » donc je peux la lui ravir. Et le voisin de rétorquer : « je veux me venger ; heureusement, je suis ‘libre’, donc je peux commettre le crime passionnel ». Ces exemples sont extrêmes ? OK, choisissons des exemples plus « banals ». « Je ne suis pas d’accord avec telle proposition ; mais je suis ‘libre’ ! Ouf, je ne suis pas libre de la suivre si je ne le veux pas, fût-ce une suggestion de mon employeur, de mon épouse, etc. ». Ou encore : « j’ai envie de me marier avec une personne du même sexe et de louer le ventre d’une femme pour satisfaire mon désir de paternité ? Heureusement, je suis ‘libre’ : cela va s’arranger ! ».

Bon si vous n’êtes toujours pas convaincus par l’ineptie de cette définition, je vous propose un autre argument. Si la liberté, c’est faire ce que je veux, encore faut-il que je sache ce que je veux, logique non ? Or tous mes désirs sont-ils l’expression de ma volonté propre ou, au contraire, sont-ils contraints ? Pour le dire autrement, si la liberté c’est faire ce que je veux, alors ce que je veux, je dois le vouloir librement, sinon la définition de cette liberté ne tient pas la route. Si vous n’êtes pas d’accord avec cela, j’abandonne ici l’espoir de vous convaincre, car cela signifie que vous préférez manifestement ce qui est incohérent, rendant impossible tout débat avec vous ! En revanche, si vous êtes d’accord avec ce qui n’est finalement que du bon sens, je continue mon raisonnement pour vous. Ma volonté est-elle libre ou contrainte donc ? Grande thèse de philosophie qui a engendré un nombre incroyable de querelles plus ou moins intellectuelles sur le sujet. Si vous êtes matérialiste – et les socialistes et constructivistes cohérents le sont – vous me répondrez que la volonté est contrainte tant extérieurement (culture, environnement, autrui) qu’intérieurement (voir les développements récents des neurosciences, la morale, la psyché). Donc, pas de liberté possible pour les matérialistes s’ils adoptent la définition de la licence comme synonyme de liberté. Ainsi donc, une grande partie de nos contemporains ne peuvent pas être qualifiés d’êtres libres, étant donné qu’ils ne font pas ce qu’ils veulent, leur volonté étant ainsi contrainte. Est-ce bien sérieux ? Non bien sûr ! Le propre de l’homme – outre le rire – est justement la liberté. Donc, à moins de nier toute humanité à une grande partie de la population mondiale, la liberté doit bien signifier autre chose que de vouloir ce que je veux. C’est d’une logique implacable et rigoureuse !

Retour donc à la case départ : qu’est-ce donc que la liberté si ce n’est pas la faculté de faire ce que je veux ? Cassons le mot et faisons sommairement de l’étymologie comparée. Liberté en anglais peut se traduire ‘freedom’, le suffixe ‘dom’ signifiant qu’il s’agit d’une propriété ; cela est le cas également avec le mot ‘vrij-heid’ en néerlandais ou ‘Frei-heit’ en allemand. Ainsi donc, la liberté serait la propriété d’être libre (‘free’, ‘vrij’, ‘Frei’). Cette première esquisse de définition – si elle ne nous apprend pas grand-chose – nous révèle néanmoins que la liberté est consubstantielle à notre nature humaine : il s’agit d’une propriété, sous-entendez une propriété de l’homme. Comme telle, la liberté préexiste donc les États et le droit. Merci l’étymologie ! Mais poussons plus loin notre analyse. Qu’est-ce donc qu’être libre ? Revenons à l’étymologie. ‘Libre’ provient du latin ‘libertas’, la terminaison ‘-tas’ nous indiquant un état, un statut. Reste la racine ‘liber’. ‘Liber’, fait allusion à ce qui est ouvert. C’est d’ailleurs cette racine étymologique qui a donné, plus tardivement, le mot ‘livre’ en français. Ne dit-on pas, pour illustrer mon propos, qu’un livre, ça s’ouvre et que se livrer, c’est s’ouvrir ? ‘Libertas’ signifierait donc littéralement l’état d’une chose ouverte. On parle d’ailleurs aussi d’entrée libre (free entrance) pour signifier que les portes du commerce sont ouvertes et que nous ne sommes pas contraints d’y acheter quelque chose.

Résumons-nous. De ce qui précède, on peut déjà affirmer que la liberté est une propriété (naturelle) de l’homme qui consiste à être ouvert. Surgit alors la question : à qui ou à quoi suis-je ouvert lorsque je suis libre ? La réponse pourrait être : ouvert aux autres. Est libre, l’individu qui n’est pas fermé à autrui. Cela se tient : l’homme est un être social. Mais concrètement ? Cela légitime-t-il la polygamie (l’ouverture à d’autres femmes ; je ne me ferme pas dans ma monogamie), la pédophilie (je m’ouvre sexuellement aux jeunes enfants), l’inceste, etc. ? Ces exemples délibérément provocateurs témoigneraient de l’ineptie de l’ouverture absolue aux autres. Cela signifierait-il, par conséquent, que seule l’ouverture relative aux autres constitue la liberté ? Mais, si tel est le cas, on doit alors logiquement en inférer que l’ouverture aux autres n’est constitutive de la liberté que si elle est limitée. Peut-elle être limitée par quelqu’un ? Non, cela est l’essence même de la tyrannie. Par quelque chose alors ? Une norme, une règle ? Peut-être, mais dans ce cas, comment choisir une norme plutôt qu’une autre, une morale plutôt qu’une autre ? Il y a en effet autant de normes que d’individus… Alors quoi ? Est-on face à un dilemme : soit je conclus que limiter l’ouverture aux autres est impossible et j’en reviens au concept d’ouverture absolue aux autres pour définir la liberté, mais dans ce cas, je suis obligé d’admettre toutes sortes d’atrocités ; soit je refuse ces atrocités, mais je dois alors fixer une limite à l’ouverture aux autres, ce qui s’avère impossible en pratique et dois donc bien conclure que la liberté n’est pas possible, qu’elle est une illusion. On rejoint ici le camp matérialiste.

Heureusement, ce dilemme n’est qu’apparent : il y a en effet moyen d’échapper à cette impasse si on opte pour une limite qui a l’assentiment de tout le monde. Je ne vois pour ma part qu’un seul type de limite qui permette d’être adoptée par tout le monde : la limite émancipatrice ! La plupart des règles morales et normatives ne sont pas appropriées parce que liberticides dans les faits, mais si on assigne à la limite d’œuvrer en vue de toujours plus d’émancipation, alors oui, elle peut être retenue.

La définition de la liberté devient donc à présent : la propriété (naturelle) de l’homme qui consiste à être ouvert à autrui, cette ouverture ne pouvant être limitée que par des normes qui ont pour but et pour effet d’émanciper davantage l’être humain. Pour vérifier la pertinence de cette définition, confrontons-là à des exemples issus de la réalité.

Premier exemple. Consommer de la drogue est-il signe de liberté ? Pour les tenants de la licence, oui : je fais ce que je veux, donc j’ai le droit de consommer de la drogue si tel est mon désir. Les libertariens les plus extrêmes adoptent cette attitude. En revanche, si l’on retient ma définition, non, il ne s’agit pas d’un acte libre, car il n’émancipe pas, mais asservit au contraire.

Deuxième exemple. Dérèglementer les différents marchés. Si cette dérèglementation a uniquement pour effet (désiré ou non) d’augmenter l'agiotage ou autre manipulation de marché, alors non, il ne s’agit pas de liberté. Par contre, si la dérèglementation permet à plus d’individus d’avoir accès à ces marchés, de s’y mouvoir, de prospérer, sans jamais être en situation de fausser la concurrence, alors oui, la dérèglementation favorise la liberté.

Dernier exemple. La foi en Dieu. Si elle a pour effet d’annihiler toute volonté (les sectes), de détruire ses semblables (attentats des fous de dieu), de dicter aux hommes ce qu’ils doivent faire et ne pas faire par dogmatisme, alors non, la foi en Dieu ne libère pas (elle ne sauve pas), mais est bien l’opium du peuple comme disait le camarade Marx. À l’opposé, si la foi consiste à être une école de charité (voir prologue de la Règle de Saint Benoît), à œuvrer en faveur des plus déshérités, à établir l’homme debout, alors oui, assurément cette foi libère l’homme (la Bible n’est-elle d’ailleurs pas le récit de la libération des hommes, depuis l’Exode jusqu’à l’Apocalypse ?) !

Sur base de ces trois seuls exemples, on constate que la définition que nous proposons demeure pertinente face à des expériences différentes de la réalité, la validant ainsi.

Concluons. Un libéral professe son amour (sa ‘foi’) dans la liberté. Sachant que cette liberté n’est pas absolue ni matérialiste (voir ci-dessus), le libéral cohérent se doit donc d’admettre cette limite émancipatrice à l’ouverture à autrui. Voilà pourquoi je me sens authentiquement libéral et à la fois authentiquement chrétien (le libéralisme n’implique bien évidemment pas de croire, mais la foi peut être en symbiose avec le libéralisme, pour peu que les règles de la laïcité soient respectées).

Amis libéraux, ne nous trompons pas de combat : ne consacrons pas notre vie à la licence qui est liberticide ! Soyons les porteurs de la flamme de la vraie Liberté !


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