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Le business de la complication

Publié le 06 avril 2013 par Unmondelibre
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En France, le Président Hollande a proposé récemment un « choc de simplification ». Effectivement, les complications artificielles issues de certains dysfonctionnements de l’intervention publique constituent un boulet pour le dynamisme de l’économie. Un « Président de la croissance » ne peut que demander leur suppression. Mais cette dernière doit être massive, et il n’est pas sûr que certains intérêts « laissent faire ». L’analyse vaut pour bien des pays d’Afrique.

La complexité va de pair avec le développement

Il faut saisir ici la notion de complexité, avant de s'attaquer à celle de complication. Les sociétés modernes sont complexes, caractérisées par un fort degré de division du travail et de la connaissance. Ce processus de spécialisation permet à chacun de se consacrer à une partie infime de la réalité et à se reposer sur les autres, qui font de même, pour le reste. (Lorsque j’appuie sur le bouton de mon four micro-ondes par exemple, je bénéficie de toutes ces sommes de connaissance, pas simplement techniques mais aussi économiques et commerciales, accumulées par d’autres à différents stades du processus de fabrication et de commercialisation du micro-ondes, et dont je n’ai strictement aucune idée moi-même).

La coopération sociale par le biais des marchés permet cette division de connaissance, où chacun ignore l’immense partie de la réalité mais profite, par le biais de l’échange, de la connaissance des autres, n’a plus à tout faire soi-même et peut se spécialiser sur un champ précis, faisant ainsi avancer la productivité. Au plus ce processus de division de la connaissance avance, au plus la société est complexe : il y a de plus en plus d’intermédiaires, « experts » de telle ou telle partie d’un long processus de service (au sens large) rendu au consommateur final. Cette complexité est donc une bonne chose, signe d’une maturité économique.

Les règles de la complexité 

Cette complexité donne lieu à des réponses en termes de pratiques sociales permettant de la faciliter et de la gérer. Deux types de « règles » sont nécessaires pour permettre le bon fonctionnement de la complexité. Exactement comme au jeu de Monopoly ou au football, il faut que les règles générales soient simples et relativement stables (tout en ayant la plasticité nécessaire pour s’adapter à l’évolution sociale), de manière à permettre au jeu social de se dérouler. Les sociétés où c’est l’arbitraire qui règne en matière d’établissement de règles ne font pas long feu.

En même temps, il est certain que des champs de spécialisation particuliers requièrent des réponses particulières et élaborées, en termes de règles spécifiques à des problèmes spécifiques. On pense ici aux contrats de plus en plus complexes dans certains domaines ou à des interventions publiques essentielles pour « cadrer » le processus, comme certaines réglementations sanitaires précises par exemple.

De la complexité à la complication

Il est très facile de glisser de la complexité à la complication. Si la première est nécessaire, la seconde est parasitaire. La ligne de démarcation entre les règles de complexité et les règles de complication se trouve ainsi dans la condition de leur réelle utilité pour le bien commun, que les secondes ne respectent pas. La logique de la complication se résume alors bien par ce dicton populaire et la réponse qu’on peut lui donner : « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? ». – « Parce que cela rapporte à quelqu’un quelque part ».

Il existe en effet un business de la complication, et il est fortement lié à l’activité interventionniste dans les sociétés modernes qui est caractérisée par deux fonctions : la réglementation et la redistribution. Chacune de ces fonctions peut donner lieu à une génération de complications qui s’explique très bien par le comportement économique. Au plus une réglementation est compliquée au plus il faudra d’experts pour la comprendre, conseiller à son propos, mais aussi la faire respecter. Simplifions le code des impôts : 99 % d’entre nous s’en trouveront mieux, mais cela entrainera la ruine des cabinets spécialistes de fiscalité et le chômage pour une bonne part des employés du Trésor (longtemps opposés à la simplification – ô combien nécessaire – du paiement de la redevance en France). Les groupes de ce type ont un intérêt économique évident à la complication.

En 2009 en France, la Commission Balladur avait proposé des remaniements territoriaux pour simplifier le fonctionnement des régions. Alors que cette proposition de réforme semble aller plutôt vers une meilleure utilisation de l’argent des contribuables par la simplification administrative, elle suscitât une levée de bouclier d’hommes politiques de droite comme de gauche : « Touche pas à mon beefsteak ! ».

La décentralisation en France promettait plus de démocratie. Le résultat a été exactement contraire aux attentes : plus d’impôts, plus de bureaucraties, mais toujours pas de réelle démocratie locale. La décentralisation « à la française » a en fait mis en place des nouvelles formes de redistribution pour des groupes divers qui vivent de cette complication. L’enchevêtrement de compétences, les redondances, les amoncellements de strates administrativo-bureaucratiques non contrôlées démocratiquement sont une manne pour de nombreux hommes politiques et les groupes d’intérêts privés et publics qui vivent à leurs crochets. La simplification est contraire à leur intérêt. D'où les réactions à la petite réforme Balladur.

Alors que des institutions telles que la Banque mondiale expliquent depuis des années que les complications croissantes, administratives et législatives, paralysent inutilement l’activité économique, les peuples subissent une inflation de règles diverses ne répondant pas réellement à la complexité croissante de la société mais à des logiques de complication. A bien des égards, le cas français est typique de ces logiques. La simplification de la décentralisation ou de la réglementation n’est pas pour demain tant que les groupes coalisés aux intérêts bien définis font pression en faveur de la complication. Les citoyens doivent exercer une pression inverse, en France comme en Afrique.

Emmanuel Martin est économiste, analyste sur www.LibreAfrique.org. Cet article est une version modifiée d’un article antérieur paru en 2009.


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