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L'Europe de la concurrence fiscale

Publié le 26 avril 2013 par Lino83

Par Jacques Le Cacheux (professeur à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, directeur du département des études de l'OFCE)

Une banque qui maintiendra des activités au sein de l'un des 18 paradis fiscaux désignés par la loi française perdra ses chances de devenir ou de demeurer un partenaire de la région Ile-de-France.
Une banque qui maintiendra des activités au sein de l'un des 18 paradis fiscaux désignés par la loi française perdra ses chances de devenir ou de demeurer un partenaire de la région Ile-de-France. | D.R.

La fraude et l'évasion fiscales sont aussi vieilles que l'impôt.

Mais elles émeuvent davantage aujourd'hui, dans un contexte de disette desfinances publiques et d'effort demandé à tous les citoyens, pas uniquement en France, mais dans tous les pays européens, et même au sein du G20, dont la déclaration commune publiée au terme de la réunion de Los Cabos, en juin 2012, comportait même une phrase soulignant l'érosion de l'assiette fiscale qu'engendrent ces pratiques massivement répandues.

Depuis lors, la Commission européenne, en décembre 2012, puis l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en février, ont publié des communications proposant aux gouvernements nationaux des mesures concrètes.

On pense bien sûr aux paradis fiscaux, dont la raison d'être est précisément defaciliter ces montages qui permettent aux entreprises et aux particuliers fortunés d'échapper à l'impôt en exploitant au mieux les failles de la législation fiscale internationale (évasion fiscale) ou en dissimulant aux services fiscaux de leur pays de résidence certains revenus ou patrimoines (fraude fiscale).

NOMBREUSES ZONES AVEUGLES

Et il est vrai qu'en dépit des efforts faits par les pays de l'OCDE pour contraindreces pays à des meilleures pratiques, notamment en matière d'échange d'information, des nombreuses zones aveugles demeurent.

Pourtant, la pression exercée sur certains Etats traditionnellement très accueillants et peu regardants commence à porter ses fruits, la lutte contre la dissimulation des revenus de placements des personnes enregistrant quelques progrès.

Mais à mesure qu'elle progresse, les paradis se déplacent, dans un jeu concurrentiel dont le but est d'attirer les placements des personnes peu scrupuleuses.

Au sein même de l'Union européenne (UE), des formes de concurrence fiscale moins visibles, mais tout aussi dommageables sont à l'œuvre. Pour attirer les résidents les plus fortunés, certains pays n'hésitent pas à offrir des régimes fiscaux favorables aux " impatriés ", ou à certaines professions.

Pour attirer les placements financiers des ménages aisés, le secret bancaire demeure l'arme la plus efficace. La Suisse n'est pas la seule à le pratiquer : dans l'UE même, deux pays (Autriche et Luxembourg) ont choisi de ne pas souscrire à l'obligation d'échange d'information qu'a imposée la directive " Epargne " de 2003 ; sans parler des nombreux territoires européens (principautés, îles dépendant de la Couronne britannique) qui profitent de leur situation géographique et de leur statut pour offrir des conditions réglementaires beaucoup moins contraignantes que celles qui s'imposent à tous les pays membres de l'Union.

PRATIQUES D'OPTIMISATION FISCALE

Mais ce sont surtout les efforts faits par tous les pays pour attirer les entreprises ou certaines de leurs activités qui sont à l'origine d'un manque à gagnerconsidérable pour les trésors publics nationaux, du fait des pratiques d'optimisation fiscale ou de planification fiscale des entreprises, notamment multinationales.

On se souvient de l'émoi suscité au Royaume-Uni par le constat du faible montant d'impôt acquitté dans ce pays par Starbucks, ou en France par la révélation faite par la Cour des comptes du faible taux d'imposition effectif des bénéfices dessociétés françaises du CAC40, ou encore des efforts déployés par les gouvernements allemand et français pour imposer davantage Google.

Les paradis fiscaux hors de l'UE n'y sont certes pas pour rien ; mais les faibles taux d'imposition des bénéfices affichés par certains pays membres de l'UE (Chypre et l'Irlande sont désormais à 12,5%) et les définitions très différentes de l'assiette de cet impôt dans les différents pays y sont pour beaucoup : chaque pays est un peu un paradis fiscal pour les entreprises des autres pays.

Les principaux pays de l'OCDE semblent aujourd'hui décidés à limiter strictement ces possibilités de " planification fiscale agressive " des entreprises, notamment grâce à l'échange automatique d'informations entre administrations fiscales.

LACUNES

Mais la Commission européenne a souligné récemment les lacunes qui demeurent dans le système d'échange d'information, par exemple le problème tout simple de numéro d'identification fiscale des contribuables.

Et le projet de directive visant une définition commune de l'assiette de l'impôt sur les bénéfices des sociétés, qui limiterait considérablement les possibilités d'optimisation fiscale des entreprises au sein de l'UE, demeure bloqué depuis plus de dix ans dans les tiroirs de la Commission, en raison de l'opposition de certains gouvernements.

Les décisions européennes en matière fiscale sont soumises à la règle de l'unanimité, ce qui augure de beaux jours pour l'optimisation fiscale des entreprises et l'évasion fiscale des particuliers.

Jacques Le Cacheux (professeur à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, directeur du département des études de l'OFCE)


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