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De l’antiparlementarisme à « l’antipolitiques »

Publié le 26 avril 2013 par Delits

Un parfum de 6 février 1934. Mardi, le jour de l’adoption définitive du « mariage pour tous », les autorités ont fermé la station de métro Concorde et ont pré-positionné des forces de l’ordre autour de l’Assemblée nationale. Cette méfiance à l’égard de la rue fait quelque peu écho à certaines des heures les plus antiparlementaristes de la IIIème République. Les ligues nationalistes avaient alors manifesté, partant de la Concorde vers le Palais Bourbon, ce qui avait donné lieu à une violente répression. 1934 – 2013, un parallèle trop facile ?

Une crise de confiance devenue insupportable en période de crise économique

Le taux de chômage permet de prendre la mesure de l’état du marché de l’emploi ; la balance des paiements, d’appréhender la compétitivité des entreprises dans un marché globalisé ; et les sondages de constater le fossé entre les Français et leurs élites. En lieu et place de l’antiparlementarisme des années 30, c’est plus globalement l’antipolitiques qui prolifère aujourd’hui. La défiance à l’égard des politiques, dans notre pays de chansonniers, n’est, bien sûr, pas récente. Cela fera bientôt 30 ans que Coluche et Desproges nous ont quittés. On s’étonne de l’impopularité record de Français Hollande. Mais, même si elle est survenue rapidement, elle ne doit pas occulter celles, parfois abyssales, de ses prédécesseurs.  En juin 2005, Chirac n’était encore soutenu que par 16% de Français !

Bien plus qu’une impopularité de l’exécutif, c’est le rejet de la classe politique qui est manifeste. Et l’alternance ne constitue en rien une échappatoire puisque seuls 35% des Français jugent que la droite ferait mieux que la gauche si elle était aux affaires. Pire : aussi étonnant que cela puisse paraître, un nombre croissant de Français estiment qu’il faudrait que des experts et non le gouvernement décident de ce qui est le meilleur pour le pays (66%). Indirectement, il s’agit donc d’une vraie remise en cause de notre démocratie dans son fonctionnement actuel. En l’état , tout gouvernement, de droite comme de gauche est marqué par le sceau de la suspicion. Dénué d’une partie de sa légitimité, il aura toutes les peines du monde à faire accepter par l’opinion des mesures difficiles.

La crise de 2008 a accru la défiance à l’égard du personnel politique, tant des conseillers généraux que des parlementaires. Conjuguée aux difficultés croissantes d’une partie des Français et à la morosité du discours ambiant, la crise de confiance s’est transformée en vraie crise morale. Le sentiment que les politiques ne s’occupent pas des gens qui pensent différemment s’est généralisé (85%).

Cette crise morale déborde largement du cadre purement politique. Elle ronge les nerfs de la société car elle frappe aussi les corps intermédiaires, les liants entre les politiques et le peuple : les partis politiques (seuls 12% leur font confiance) bien sûr, mais aussi les médias (23%), les syndicats (35%), voire la justice (45%).

Renvoi dos à dos de la droite et de la gauche, perte de légitimité des dirigeants, théorie du complot contre les élites… Ces phénomènes, aujourd’hui exacerbés, étaient déjà à l’oeuvre auparavant. Mais l’actuelle absence de meilleures perspectives à moyen terme rend les Français plus inquiets et moins compréhensifs. Et donc imprévisibles.

Pourquoi la crise morale pourrait tourner à la « crise de régime »

Trois aspects sont susceptibles de transformer cette crise morale en « crise de régime ». Tout d’abord, cette perte de confiance dans les politiques ne suscite pas de rejet de la politique. Les Français demeurent encore majoritairement intéressés par celle-ci (59% lui portent un réel intérêt, +4 points depuis 2009). Les récents taux de participation électoraux, assez élevés, confirment cet appétit. Pourquoi les Français s’étaient-ils rués aux urnes en 2007 (85% de participation) ? Parce que les principaux candidats avaient convaincu les Français sur leur capacité à peser sur le cours des choses. Avant de déchanter. Et le désamour actuel pour les politiques résulte de cette frustration due au décalage entre leur intérêt pour la chose publique et l’apparente incapacité des politiques.

On observe ensuite le retour en force de la rue. « Ce n’est pas la rue qui gouverne », assénait Jean-Pierre Raffarin. Dix ans plus tard, battre le pavé est revenu en grâce. La généralisation des réseaux sociaux et des téléphones portables y sont pour beaucoup. Comme on l’a vu lors du combat contre le mariage gay, les rassemblements peuvent être à la fois disséminés, démultipliés et quasi-spontanés. Les responsables politiques peuvent être harcelés dans leurs déplacements. Le mouvement des Indignés dans le sud de l’Europe et surtout celui du Printemps arabe ont démontré que la rue avait retrouvé un haut potentiel pour les contestataires.

Enfin, la dynamique « Bleu Marine » éclipse peu à peu la ténébreuse extrême droite. Le FN, sans même changer de nom, a réussi sa mue en termes d’image. Seuls 47% de Français (contre 75% en 1997) considèrent ce parti, auparavant voué aux gémonies, comme un danger pour la démocratie. Le récent sondage simulant un premier tour de présidentiel, plaçant Marine Le Pen à 22%, au même niveau que François Hollande, devant Nicolas Sarkozy, n’a pas étonné les observateurs politiques. Les résultats de la législative partielle dans l’Oise en mars dernier, mettant le candidat frontiste à 48% au second tour, talonnant le candidat UMP, avaient annoncé la couleur. L’électorat UMP, lui-même, semble de plus en plus tenté par d’éventuelles alliances électorales (56%, +9 points depuis novembre). Le discours anti-système du FN, dans le climat actuel, est plus audible que jamais. Par ailleurs, l’image de Marine Le Pen, jugée comme capable de prendre des décisions (pour 69%) tranche avec celle de Français Hollande, jugé peu capable d’avoir de l’autorité (14%). Or, les Français recherchent un chef (à 86%) pour remettre de l’ordre, ont besoin deconnaître le cap. 

Quatre années sans élection nationale majeure s’annoncent. Aucune soupape en vu, excepté un éventuel changement de Premier ministre. Pour le pouvoir, le tunnel s’annonce long et dangereux face à la rue et aux extrêmes, avides de se nourrir des frustrations montantes.


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