Personne ne conteste que l’État doit réduire massivement la voilure, pour revenir à des niveaux de dépense et de prélèvements qui n'obèrent plus la croissance. Mais rares sont ceux qui disent comment y arriver. Dans 60 milliards d'économies !, Agnès Verdier-Molinié le fait avec talent.
Par Francis Richard.
La machine administrative française est bien un mammouth, qu'il conviendrait d'urgence de dégraisser pour reprendre l'expression célèbre de Claude Allègre. De combien de matières grasses faudrait-il l'alléger ? Dans son dernier livre, Agnès Verdier-Molinié, directrice de l'iFRAP, Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques, répond qu'il faudrait faire 60 milliards d'économies ! Oui... mais tous les ans. Comment dégraisser le mammouth de 60 milliards d'euros ? C'est la grande question. Pour ce faire il faut examiner le mammouth sous toutes les coutures. Et cet examen opéré par l'auteur n'est pas sans surprises.
Depuis Alain Peyrefitte et son Mal français, on sait que, face à l'administration, les ministres français sont sans pouvoir. Cela ne s'est guère amélioré et cela perdure, "parce que les ministres passent et que les fonctionnaires campent à vie dans leurs bureaux et sur leurs positions"... On est loin de ce qui se passe aux États-Unis où des milliers de fonctionnaires de l'administration fédérale valsent à chaque changement de président... Le statut actuel de la fonction publique, qui date de 1945, et de la présence de ministres communistes au gouvernement, ne le permet pas... et s'avère être un véritable boulet.
À propos de président, les électeurs de Nicolas Sarkozy seront ravis d'apprendre que : "Contre la promesse de tuer dans l’œuf les éventuelles grèves, le gouvernement avait promis de rétrocéder la moitié des économies réalisées à l'occasion de la réduction du rythme de renouvellement des effectifs (le principe de ne remplacer qu'un départ sur deux). Et seulement la moitié ! C'est là que les choses dérapent, confirmées à l'euro près par l'IGF [Inspection générale des finances]. En 2011, par exemple, l'économie sur les suppressions de postes a été de 820 millions d'euros, mais 610 millions ont été immédiatement reversés aux agents."
Au lieu de tailler dans les dépenses publiques, le gouvernement actuel, lui, cédant à la facilité, se livre à un véritable matraquage fiscal, contre-productif : "La fiscalité et l'ensemble des cotisations obligatoires ont atteint de tels niveaux que la France flirte déjà depuis 2010 en termes d'imposition du capital et du travail avec la (fameuse) courbe de Laffer, qui montre qu'il existe un niveau maximal de taxation, au-delà duquel le produit de l'impôt diminue." À ce sujet, l'auteur rend à César ce qui revient à César : "L'économiste américain, qui a formalisé cette courbe spectaculaire à la fin des années 1970, n'a fait qu'expliciter les règles avancées au XIXe siècle par le Français Jean-Baptiste Say, célèbre théoricien qui répétait qu'un impôt exagéré détruit la base qui le porte."
Nul n'est prophète en son pays... et l'usager n'est pas roi. Car "le désir secret de bon nombre d'agents publics [est] de voir disparaître les usagers comme par enchantement". Ils n'ont pas envie de leur être confrontés. Heureusement que : "L'usager a un statut à part dans les services publics. Il n'est pas client : il ne peut pas faire jouer la concurrence s'il n'est pas satisfait du service." De plus, en l'absence de concurrence, l'usager en paye le prix, exorbitant :
Ces services publics, que les autres pays nous envient de moins en moins, nous ont en partie ruinés et une bonne part de notre dette est imputable au fait que nous "surpayons" ces services. Ce surcoût peut être évalué à 60 milliards d'euros par an : 18,5 milliards d'euros au niveau de l’État, 11,6 à l'échelon local et 29,9 sur le social.
Agnès Verdier-Molinié, optimiste, pense qu'il est possible de réduire les dépenses publiques "sans avoir à toucher aux prestations sociales distribuées aux Français" :
Quand notre pays dépense 27,7% de sa richesse nationale à produire ses services publics, les pays de l'Union européenne dépensent 24,9%, sans différence notable en termes de qualité du service public et de niveau de prestations. La différence entre ces deux chiffres ? 60 milliards d'euros, qui pourraient donc être économisés chaque année à un horizon de sept ans si l'effort commençait dès 2013.
Deux questions se posent cependant, l'une entraînant l'autre :
- 60 milliards d'économies à l'horizon de 2021, est-ce bien suffisant quand on sait que le modèle social et les service publics français génèrent plus de "100 milliards d'euros de déficit public annuel" ?
- Ne faut-il vraiment pas toucher aux "prestations sociales distribuées aux Français" ?
Poser ces deux questions c'est y répondre et faire apparaître qu'Agnès Verdier-Molinié est encore bien en dessous de ce qu'il faudrait faire pour que la France échappe à la ruine. Et la comparaison avec les autres pays de l'UE n'est pas non plus raison...
C'est dire l'étendue du problème... de l’État providence.
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