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Obsolescence programmée... Et maintenant ?

Publié le 29 avril 2013 par Best Planet @yourbestplanet

Best Planet partage avec vous un très bon article de Julien Cadot sur l'excellent Ragemag. Le thème est l'obsolescence programmée et plus précisément quelles suites ont été données depuis la diffusion du reportage Prêt à Jeter sur Arte en 2011. Bonne lecture !Obsolescence programmée... Et maintenant ?
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Après la diffusion du reportage Prêt à Jeter, l’obsolescence programmée était sur toutes les lèvres. C’était en 2011 et l’Occident se rendait alors compte de la supercherie : depuis tout ce temps, en croyant acheter un objet technique ou technologique dernier cri qui durerait au bas mot dix années, le client avait pataugé dans la fange de constructeurs avides d’imposture. Tant que les dollars sonnent et que le badaud trébuche, après tout, l’ordre des choses est respecté. En 2013, on remarque pourtant que la mutation de l’obsolescence s’est enclenchée à grande échelle : la dérive du concept en idéologie mercantile mérite toute notre attention.Deux ans se sont écoulés depuis le reportage diffusé par Arte et maintenant tout le monde a sa petite idée quand il s’agit de parler obsolescence. Cependant, comme tous les concepts complexes devenant un peu trop rapidement à la mode, l’obsolescence programmée s’est élancée, a brillé et a fini par s’éteindre, une première fois au moins. C’est un peu comme si l’expression contenait en elle-même sa propre destinée : après cette fameuse année 2011, on en a entendu parler quelques mois et puis plus rien, le concept a disparu. Parfois, quelqu’un le sort du placard à idées toutes faites au détour d’un forum ou en réponse à un tweet. « Obsolescence programmée ! » crie l’outré, sans savoir s’il s’agit bien de tout cela dont il est encore question.Nous avons alors pensé qu’il était nécessaire de revenir sur le sujet pour une simple raison : l’obsolescence programmée n’est pas morte, loin de là, elle est simplement devenue plus subtile et donc plus dangereuse — une chimère née des cendres du concept précédemment défini. En 2011, votre ordinateur tombait en panne à l’expiration de la garantie plus un jour ? En 2013, vous ne pourrez même pas penser réparer votre tablette. La course à la consommation et aux mauvaises inventions a fait qu’on a fini non pas par vaincre le consumérisme, mais bien par acheter de plus en plus mal. Voilà peut-être le morceau d’histoire qu’il reste à écrire sur l’obsolescence programmée, celui qui tente de montrer qu’elle a cessé d’être une option pour devenir, sur le modèle de la mal-bouffe, une sorte de mal-consommationvisant en particulier les plus fragiles financièrement.Obsolescence programmée... Et maintenant ?
Obsolescence programmée : définitionÀ chercher quelques minutes dans les arcanes les moins cachées du Web, au hasard sur Wikipédia, on trouve une définition de l’obsolescence programmée somme toute assez complète. La typologie de l’obsolescence programmée n’est pas bien intéressante : elle permet au mieux de classer le symptôme dans plusieurs catégories qu’il est aisé de simplifier. Le Sage Wikipédien plutôt avisé a pourtant écrit quelque chose d’essentiel pour comprendre la première étape de notre démonstration : « Voilà sans doute pourquoi dans ce débat on confond souvent ces deux notions : réduction volontaire de la durée de fonctionnement (technique) et réduction de la durée d’usage par obsolescence provoquée (subjectif) » .La dérive du terme est bien mise en avant : est-ce que la mode est de l’obsolescence programmée ? Est-ce que refuser de mettre un pantalon à paillettes sous prétexte « que ce n’est plus les années 1990 et que c’est le troisième entretien au McDo que je rate cette semaine alors que je suis venu comme je suis » est un cas d’obsolescence programmée ? Est-ce que la date de péremption des produits entre dans la définition ? Avec une sémantique aussi large, il serait même difficile de trouver des contre-exemples. Ce n’est donc pas ce qui nous intéresse : si tout tombe en désuétude d’une manière ou d’une autre, nul besoin d’en écrire des paragraphes entiers.C’est bien plutôt en confrontant la définition Wikipédienne à la réalité qu’on s’aperçoit du paradoxe d’une nouvelle obsolescence technique, jouant à la fois sur la durée de fonctionnement et sur la provocation de l’obsolescence par un tiers. Comme cela a déjà été évoqué, la désuétude préméditée se transforme en un nouveau problème quand elle se dissimule et c’est dans l’art de la dissimulation que les constructeurs sont devenus maîtres.L’obsolescence qui ne se voit pas, c’est celle qui ne laisse même pas supposer la panne. Prenons un cas d’école qui a été publié récemment : la Surface Pro de Microsoft. Vendue comme un ordinateur portable complet aux dimensions réduites, cet hybride tactile est censé symboliser, pour la firme du moins, le renouveau de l’informatique mobile – le « Pro » suggère même l’utilisation principale que l’on devrait faire de l’appareil. Alors, cet engin, pensez-vous pouvoir le réparer en cas de pépin ? Si oui, c’est raté, il vient de se prendre un lamentable 1/10 par le spécialiste anglophone des réparations en tous genres,iFixit.Au-delà des limitations techniques liées au format compact de l’appareil, les bricoleurs d’iFixit se sont aperçus que Microsoft avait sorti le tube de UHU de la trousse d’écolier et en avait foutu partout où c’était possible, enserrant définitivement ou presque les bandes adhésives de protection. Il est donc à peu près impensable de séparer les composants sans casser quelque chose, même en enlevant les 90 vis (sic). Alors, on se dit que c’est du matériel tout beau tout neuf et qu’il ne cassera pas ? A d’autres, la grogne enfle déjà chez les premiers utilisateurs : certains stylets ne fonctionnent déjà plus.

Quelle originalité, pourriez-vous objecter, dans la mesure où la plupart des appareils actuels suivent ce modèle affreux de l’irréparabilité ? C’est une question de forme. Si l’on prend un bon vieux Probook de chez HP, par exemple, on trouvera sur le site du constructeur un guide permettant de démonter pas à pas l’appareil, vidéos à l’appui et de changer au moins les composants les plus sensibles. Surface Pro… Probook… voyez comment, avec une dénomination et un public similaire, apparemment professionnel, on arrive à passer d’un produit presque entièrement réparable à un engin qui a été conçu pour ne jamais être réparé.Comme souvent, c’est un matraquage médiatique puissant et l’utilisation habile de termes connotés qui permettent de manipuler les habitudes de consommation. Equiper ses employés avec des engins estampillés « Pro », cela pouvait être l’assurance d’avoir un matériel flexible et pérenne. Ce n’est plus l’assurance de rien : d’un objet à l’autre, seul le nom est resté. Voilà donc une nouvelle forme d’obsolescence programmée subtile, ou pernicieuse, qui ne concerne plus seulement le produit en lui-même, mais qui tente également de changer la manière d’acheter – c’est précisément ce qui nous intéressera un peu plus loin. L’idée du constructeur n’est plus d’opérer l’obsolescence programmée sur ses gammes de produits, mais bien de la rendre normale, en somme, de la banaliser.

C’est exactement le même procédé que l’on retrouve dans le monde de la télévision et ses normes qui n’arrêtent pas d’évoluer : HD, 1080p, 1080i, 4K, 3DTV, Ultra HD… autant de noms commerciaux apparus ces dernières années qui tentent de s’imposer comme des standards, toujours plus qualitatifs. Mais alors, quid de vos films légalement acquis au fil des évolutions ? Oh, si le Blu-Ray en tant que support n’a pas encore montré ses limites, il faudra bien entendu les racheter pour profiter au maximum d’une nouvelle télévision. Là où l’industrie fait fort cette année, c’est qu’elle s’est accordée sur les définitions dites « 4K » en sachant pertinemment que la relève dite « 8K » est déjà envisagée – certaines chaînes de télévision prévoient même de sauter la première étape. Rassurons-nous pourtant sur l’état de santé mentale de nos frères et sœurs : LG s’est par exemple félicité tout récemment d’avoir vendu… 100 exemplaires de sa télévision à 10 000 dollars. Autrement dit, rien du tout.

Obsolescence programmée... Et maintenant ?

De l’obsolescence programmée à l’obsolescence comme mode de consommation : la naissance du cheapEn croyant sortir de l’ère de l’obsolescence programmée, il semblerait que nous sommes passés à celle de l’obsolescence comme règle d’un nouveau marketing. Et si nous avons évoqué de luxueux exemples dans les premiers paragraphes, il faut savoir que cette discipline a enfanté dans le secret d’une relation incestueuse avec les grands salauds de ce monde, d’un monstre appelé low-cost. Car si on se réjouit doucement en imaginant un riche con bien embêté devant sa télé à 10 000 dollars avec son intégrale Blu-Ray de Plus Belle la Vie trop pixellisée pour être regardée à sa juste médiocrité, le problème prend une autre ampleur quand il s’agit de traîner dans la poussière de billets celui qui lutte déjà au quotidien pour se nourrir en lui faisant miroiter monts et merveilles.Le low-cost est devenu ces dernières années un marché particulièrement juteux pour les constructeurs qui tentent de refourguer leur came sous couvert de générosité exemplaire. N’importe quel assembleur chinois peut aujourd’hui concevoir un produit, fabriquer un millier d’unités, les mettre en vente sur des sites d’exportateurs ou d’importateurs à un prix à faible marge et passer à la génération suivante. Malheureusement, si le low-cost semble attirant de prime abord, il est un vecteur fort d’obsolescence. La technique purement commerciale n’est pas nouvelle : l’industrie textile s’en est fort bien accommodée depuis maintenant longtemps. Combien delavages tiendra ce t-shirt pas cher avant d’être déformé ? Combien de dizaines d’années a duré ce jean de qualité ? Les préoccupations changent avec les gammes.La société de sur-consommation a réussi à faire passer la qualité, qu’elle soit nutritionnelle, vestimentaire, technique ou technologique, pour un luxe bourgeois. Or, si on s’attarde sur les réalités du marché, on s’aperçoit très vite que l’inverse est vrai et que, bien souvent, on pourrait répéter la maxime suivante : « je ne suis pas assez riche pour acheter cheap ». Les produits low-cost font entrer le client dans un cercle vicieux qui consiste à croire de bonne foi que si ce n’est pas cher, ce n’est pas si grave que ce ne soit pas durable. Acheter une veste à 200 € pour 10 ans et la voir délavée au bout de 5 semble être un cas d’obsolescence bien plus condamnable que s’il s’agissait d’une veste à 20 € déchirée en 3 mois. Faites le calcul et si vous ne voulez pas vous geler les miches, il faudra repasser à la caisse plus souvent.De petites sommes en petites sommes, l’achat low-cost finit souvent par rattraper l’achat qualitatif bien souvent plus onéreux – quand il ne le dépasse pas. A cela s’ajoute deux autres problèmes, l’un subjectif, l’autre objectif. Le premier ne semblera peut-être pas évident : en achetant des produits qui font « tout juste l’affaire » pour un prix minimal, on se prive du confort des gammes supérieures – n’oublions pas que la légitimité de l’objet technique repose sur le confort qu’il apporte – et on le fait à répétition. Dans le froid du nord, peut-être que notre acheteur de vestes périssables en matériaux de synthèse aurait préféré un alliage de laine et cachemire robuste et agréable. Le low-cost est un cercle vicieux : une fois qu’on a commencé à acheter petit, on peut difficilement faire le pas vers quelque chose de plus grand – et ce serait cette fois, en plus, justifié financièrement par l’addition des multiples occurrences à bas coût et de l’objet onéreux en sus. Dans sa plus simple expression et en laissant de côté toute remarque sur son bien fondé, l’industrie du low-cost est déjà viciée à sa source même : elle ne cherche pas à élever le niveau de vie du client mais à lui transmettre le bacille de la fièvre acheteuse.Le problème objectif, lui, s’étend dans deux directions bien distinctes. La première est l’accumulation des objets défaillants, cassés, abîmés, parfois même au déballage. Comme le low-cost a un cycle de vie très court, en plus de participer à l’obsolescence programmée à grande échelle, cette industrie incite à la sur-accumulation des objets. On se souviendra du Heidegger méditant sur les uniques souliers de travail des paysans du XIXe siècle, usés mais toujours robustes, ayant vécu une vie aussi laborieuse que leurs possesseurs. Réparés, battus, cassés, violentés, réparés encore : l’objet soulier, pour ainsi dire, ne s’accumulait pas, il restait l’unique occurrence de lui-même sur les étagères de bois massif. Le problème écologique n’est même pas à décrire tant il est évident. A l’ère de la trop conne consommation, il faut remplacer, remplacer, remplacer… et c’est bien normal, car ce n’est pas cher.Et voilà la deuxième direction du problème objectif : la normalisation de la sur-consommation chez ceux qui se passeraient bien d’avoir à tout racheter systématiquement. L’industrie du pas cher périssable cherche à insuffler une pensée de la sur-consommation fondée uniquement sur les revenus. Le riche con rachète son iPad 4 six mois après son iPad 3 pour bien paraître, tout comme le pauvre berné rachète parce qu’il peut, enfin, lui aussi, racheter. Les deux démarches sont condamnables mais la deuxième est une construction récente du capitalisme moderne que l’homme subit quand la première rejoint une antique filiation masturbatoire et superficielle des classes supérieures. L’argument commercial de l’entreprise low-cost est clair : il permet au prolétaire de renouveler la merde qu’il consomme aussi souvent que le bourgeois, non pas pour une raison extérieure, mais pour l’acte de renouveler lui-même, plus souvent et à bas coût. Une sorte d’élévation sociale feinte et irréelle, plus proche du mimétisme, qui n’aurait que la consommation comme levier.Ne finissons pas sur cette négativité désespérante : l’effondrement de ce modèle ne dépend que d’un état d’esprit à adopter face à cette nouvelle forme d’obsolescence masquée – et il faut aussi se garder de condamner tout le low-cost. Il faut se persuader d’abord qu’économiser pour acheter mieux est toujours plus durable et confortable que de dépenser vite pour acheter vite à moindre coût. Il convient d’éviter la spirale des sites discount, des offres promotionnelles racoleuses, des concepts vicieux apparus sur Internet. Il faut se méfier desoffres éphémères qui incitent à dépenser sans réfléchir, souvent pour des produits reconditionnés, sans garantie ou tout simplement mauvais. Importateurs et exportateurs chinoisn’ont bien souvent rien à faire des règles européennes. Oh, et la réparation n’est pas un acte dépassé à l’ère des technologies complexes. Il existe du low-cost décent qui cherche à amener technologie, technique  et confort aux moins fortunés, mais contrairement à ce que l’on voudrait vous faire croire, ce n’est pas ceux qui en ont acheté qui en parlent le mieux.Et par-dessus tout, il faut recommencer à échelonner une dépense sur un moyen ou long terme en écartant toute notion de dépassement technologique : un bon produit reste un bon produit plusieurs années après sa commercialisation. Même l’ouvrier, même le prolétaire du tertiaire, même l’étudiant désargenté ont de l’argent à économiser et du confort à gagner en réfléchissant plus loin, en estimant la valeur d’un bien sur 2, 5, 10 ou 30 ans.  « Je suis trop pauvre pour acheter cheap », c’est cette maxime qui enterrera à terme une hyper-consommation, coûteuse, destructrice pour la planète et abaissant le peuple au stade de porte-monnaie doué de conscience. Ne prétendons pas qu’elle puisse décapiter la finance ou donner à tous un toit et du pain – au mieux pourra-t-elle enrayer la machine dans sa course au profit sur le dos de ceux qui finissent par ne profiter de rien."Source : un article de Julien Cadot sur Ragemag


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