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Histoire du Genevois 2ème partie - de la Réforme à la Révolution Française

Publié le 29 avril 2013 par Pierrehk

A la fin du chapitre précédent, nous avions laissé le Duc de Savoie Charles III sans terre, à l'exception du Comté de Nice et de la Vallée d'Aoste, dépouillé qu'il en avait été pour l'essentiel par la France, et par les Bernois pour la Savoie du Nord . Quant à Genève, on a vu qu'elle était en proie à la Réforme. Cette "révolution religieuse" est suffisament déterminante pour l'avenir de notre contrée qu'il convient d'y revenir et de s'y interesser de plus près.

La Réforme à Genève

La "guerre de la cuiller" qu'on a vu lors du chapitre précédent, ravage les campagnes autour de Genève et affame la ville. Ce qui provoque de celle-ci l'appel à l'aide aux cantons suisses qui viennent débloquer la ville, avec pour corollaire la paix de St Julien, signée le 19/10/1530, et la sentence de Payerne du 31/12/1530 qui maintient le Duc de Savoie et l'évèque de Genève  dans leurs droits respectifs. Cependant la Réforme progresse et les prédications aggressives de Guillaume Farel et Antoine Froment provoquent des troubles. Alors que Farel est expulsé de la ville le 3 octobre 1532, l'intervention et le soutien de Berne lui permettent  de gagner de plus en plus de Genevois à la foi nouvelle, y compris parmi la classe dirigeante qui , suite au prêche d'Antoine Froment sur la place du Molard le 1er janvier 1533, se déclare en faveur de la Réforme. Les tensions religieuses s'aiguisent, au point qu'en juillet 1533, l'évèque Pierre de la Baume, inquiet, quitte la ville: il n'y reviendra pas.

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Fuite de l'Evèque en 1533

Aprés son retour en ville le 20 décembre 1533, Guillaume Farel est de plus en plus actif, jusqu'à obtenir une dispute théologique qui se tient au couvent de Rive en juin 1535. La dispute de Rive fait triompher la cause des évangéliques, avec pour conséquence l'interdiction de la messe prononcèe par le Conseil le 10 aout 1535. Suite à l'attaque du couvent Sainte Claire le 24 aout, les religieuses quittent la ville le lendemain et iront s'établir à Annecy. A partir de septembre, les autorités ordonnent la destruction des images dans les églises de la ville et des mandements sous sa juridiction. Ce n'est toutefois que le dimanche 21 mai 1536 que la Réforme est formellement adoptée par le Conseil général de la ville et prend force de loi. C'est alors que Jean Calvin, passant par Genève en juillet 1536, est instamment prié par Farel de rester, et d'organiser la nouvelle Eglise. Cependant Berne souhaite unifier le culte dans les territoires romands en l'alignant sur le sien, et convoque un synode à Lausanne le 31 mars 1538. Alors que les ministres se conforment aux décisions prises, l'attitude réfractaire de Farel et Calvin conduit à leur bannissement de la ville, malgré l'intervention paradoxale de Berne en leur faveur.

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Adoption de la Réforme - 21 mai 1536

Les résultats de l'élection  de février 1540 étant favorables à leurs partisans, Jean Calvin va se laisser convaincre de revenir à Genève ou il arrive le 13 septembre 1541. A partir de cette date, il fera en sorte que la nouvelle religion soit irréversible.

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Portrait de Jean Calvin

L'occupation Bernoise

Berne et Genéve: deux alliés méfiants l'un de l'autre.

De l'été 1534 à janvier 1536, Genève est de nouveau assiégé par les partisans du Duc de Savoie, et ce n'est que grace à l'intervention Bernoise que la ville pourra  se libérer de ce siège. Intervention qui a aussi pour but d'empécher la France de mettre la main sur la ville, et qui se traduit par une rapide conquête du Pays de Vaud et une entrée à Genève des troupes Bernoises le 2 février 1536. Genève va désormais devoir louvoyer avec son encombrant allié pour tenir le pays aux alentours de la ville, d'autant que les Bernois s'avancent jusqu'au Fort l'Ecluse. Les Genevois vont jouer sur la rivalité entre le Roi de France et Berne pour sauvegarder leur indépendance.

En effet, les relations entre les deux alliés, Genève et Berne n'est pas si simple que cela, on l'a vu plus haut en ce qui concerne les affaires religieuses; mais aussi en termes de souveraineté, et ce malgré le traité du 7 septembre 1536 censé définir les droits de chacun sur les territoires de St Victor et Chapître.

Rappelons que le Prieuré de Saint-Victor possède plusieurs villages dont l'épicentre se trouve autour de Chancy et Cartigny, tandis que le Chapître de la cathédrale Saint-Pierre exercait son autorité sur quelques 25 villages autour de la ville(voir la carte ci-dessous)

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L'embrouillamini des territoires et des juridictions de Genève(foncé), Saint-Victor, et Chapître( +clair)

Le statut particulier des terres de Saint-Victor et Chapitre, notamment l’enchevêtrement des droits de juridiction dont elles font l’objet, crée depuis longtemps de nombreux conflits entre Genève et la Savoie. Si les comtes de Genève puis les ducs de Savoie ont toujours revendiqué des droits sur les terres de Saint-Victor et Chapitre, jusque-là, la question n’a jamais été réglée de manière définitive : en 1570, un traité entre Genève et la Savoie octroiera au duc la souveraineté et juridiction de Saint-Victor et Chapitre, de la même manière que les Bernois en ont joui avant lui. Car en effet, on peut considérer que c'est Berne qui a pris la haute autorité sur ces deux territoires, ce qui est mis en évidence par le nouveau traité du 30 mars 1539.

Ce qui nous ramène à l'occupation Bernoise qui s'étend sur l'ensemble des territoires qui encerclent la ville, comme on peut le voir sur la carte ci-dessous.

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Les bailliages de Gex, Ternier & Gaillard et de Thonon sous domination Bernoise

On peut facilement comprendre que la situation des Genevois n'est pas très confortable, d'autant que Berne soutient nombre de fugitifs qui ont quittté la ville peu apres l'évèque, et qu'elle s'oppose au Conseil Général de la ville lors du bannissement de Calvin en 1538; de la même façon, Berne ne soutiendra pas Genève lorsque François 1er donne le mandement de Thiez à l'évèque. Cet antagonisme ne sera  résolu que par l'accord ratifié par les deux parties sous l'arbitrage de Bale en janvier 1544 et connu sous le nom de "départ de Bale".

Raide comme la justice de Berne

Dans les territoires du Duc de Savoie, pour asseoir son pouvoir, Berne s'emploie à imposer la religion réformée pour éloigner les populations de leurs anciens souverains catholiques. Conjointement, les Bernois se substituèrent au Duc de Savoie dans l'administration, tout en  imposant la langue romande dans les actes publics. Leur administration sévère mais juste donnera naissance au dicton qui nous est parvenu jusqu'à aujourd'hui.

La Chartreuse de Pomier et l'occupation bernoise

Quant à l'Abaye de Pomier, la prudente politique de Charlotte de Genevois-Nemours qui régnait sur le Comté de Genevois, lui épargna l'occupation bernoise. En effet, alors que tous les barons des bailliages de Ternier et Gaillard , de Gex, et du Chablais prétaient hommage aux "Magnifiques et Redoutés seigneurs de Berne" et que nobles et villains étaient convertis au protestantisme, les localités du comté de Genevois restèrent indemnes. Dans la paroisse de Beaumont, la partie de la seigneurie de Pomier qui dépendait de Ternier passa sous la coupe des Bernois, tandis que Jussy et Le Chable demeurêrent catholiques et hors d'atteinte de l'occupation bernoise. L'Abaye perdit cependant ses possessions à Genève et en Pays de Vaud. En 1541, elle aura toutefois à subir une attaque et un pillage menés par une bande de flibustiers venus du Chablais.

En effet, il faut préciser dans cette histoire compliquée de notre territoire que depuis 1514, le Genevois (hormis les baillis limitrophes de Genève), le Faucigny et le Beaufortain avaient été donnés en apanage par le Duc Charles III à son frère cadet Philippe qui, fixé à la cour du roi et tres proche de François 1er , reçut de celui ci le duché de Nemours. Les Genevois -Nemours servirent d'ailleurs dans les armées du Roi de France, y compris contre la dynastie Savoyarde, ce qui permit à l'apanage d'être bien traité lors de l'occupation française, et à Annecy de briller d'un éclat particulier, avec une forte présence de nobles français.
NB: Il faut bien comprendre que pendant toute cette période notre territoire, le bailliage de Ternier, était lui resté sous domination de la Maison de Savoie, alors que ce n'est qu'en 1665 que l'apanage retournera à la Maison de Savoie, provoquant de facto la réunion de notre ville St Julien avec le Genevois dirigé depuis Annecy.

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Carte extraite du livre "Jacques de Savoie-Nemours"

Le Duc de Savoie recouvre ses terres

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En vertu du traité de Cateau Cambresis en 1559 qui marque la fin de la guerre entre la France et l'Espagne pour la domination de l'Italie, le nouveau (depuis 1553) duc Emmanuel-Philibert qui était l'allié des Espagnols et s'est illustré aux commandes d'une de leurs armées, se voit restituer les terres de son duché occupées par les Français, à l'exception de quelques places fortes laissées à la France . Pour pactiser avec la France, ce prince vigoureux de corps et d'esprit épouse Marguerite de Valois, la soeur du roi de France Henri II en 1559.

Alors que l'édit ducal du 11 février 1560 établit le Sénat de Savoie, par l'édit de Rivoli du 22 septembre 1561, le Duc remplace l'usage du latin dans les documents officiels par le français dans les domaines à l'ouest des Alpes (Savoie) et dans la Vallée d'Aoste, et par l'italien dans les domaines à l'est (Piémont) et au sud (Comté de Nice) des Alpes Une première coupure entre les territoires de la Maison de Savoie.

D'autant que, conscient de sa vulnérabilité face à la menace française, le Duc décide de transférer sa capitale de Chambery à Turin en 1563. C'est un premier "abandon", il y en aura d'autres, de la terre de ses ancètres par la Maison de Savoie.

Le Duc entreprend alors de se faire restituer les provinces occupées par les Bernois et obtient satisfaction par le Traité de Lausanne en date du 22/10/1564 pour les bailliages de Thonon, Gex, Ternier et Gaillard. Ce traité sanctionné par le Roi de France et le Roi d'Espagne en 1565, ne sera cependant ratifié par Berne que le 29/5/1567 et ce n'est que le 26/8/1567 que le bailliage de Ternier est libéré et rendu au Duc de Savoie, après une occupation bernoise qui aura duré 31 ans. Quant au Pays de Vaud, il reste propriété des Bernois tandis que le Bas Valais jusqu'à Martigny est laissé aux Valaisans.

On notera que le Duc Emmanuel-Philibert, qui s'y est engagé auprès des cantons suisses, respectera scrupuleusement sa promesse de ne pas s'ingérer dans les affaires religieuses, et qu'il laissera la religion protestante seule pratiquée sur ces territoires libérés par Berne pendant toute la durée de son règne. Il ramena la tranquilité dans son duché et réorganisa ses états en divisant la Savoie en sept judicatures mage, dont celle de Gex et Ternier pour laquelle le juge-mage résidait à Gex.

Le règne calamiteux de Charles Emmanuel Ier 

Apres le règne pacifique et éclairé de son père, le nouveau duc de Savoie Charles Emmanuel Ier attira sur ses sujets les plus effroyables calamités.

Il tente de prendre Genève en 1583: sans succès. Apres qu'un édit du 15/7/1587 eut établi à St Julien un marché hebdomadaire et deux foires par an, il vend le 5/1/1589 la seigneurie de Ternier à noble Jérôme Lambert de Lornay, avec titre de baronnie.

Profitant des guerres de religion qui affaiblissent le royaume de France, il s'empare du Marquisat de Salluces en 1588. En représailles, le roi de France Henri III, outré de cette aggression, encourage alors les Genevois à attaquer le duc de Savoie en leur promettant le territoire qui va jusqu'aux Usses, par un traité  en date du 19/4/1589. Ils envahissent facilement le bailliage de Ternier et occupent entre autres le château de Ternier.

 

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Le château de Ternier

Suite à la contre attaque du Duc de Savoie qui repousse les Genevois, a lieu le dimanche 1er juin 1589 la prise du château de Ternier par Charles Emmanuel, qui nonobstant les promesses par lui faites aux défenseurs du chateau, fait exécuter 60 défenseurs dont 13 sont pendus aux branches du grand châtaignier qui domine le site. Une infamie vengée lors d'une nouvelle bataille le 3  juin suivant à Plan les Ouates, quand les Genevois massacreront les sodats du duc faits prisonniers au cri de "Voila la Grace de Ternier".

En 1589, le Duc entreprend la construction du Fort Sainte Catherine à Songy, près de Viry, avec l'ambition de l'utiliser comme tête de pont pour conquerir Genéve. Bien que battu en 1591 à Pont-Chamarra par les troupes françaises de Lesdiguières, la guerre continua sans relache pendant les annèes 1591,1592 et 1593; les Genevois mais surtout les troupes du Duc faisant de grands ravages dans le bailliage de Ternier. Le 9 septembre, une trève fut signée qui durera deux ans et qui verra Genève exercer sa souveraineté sur notre territoire.

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Le Fort Sainte Catherine au lieu dit Songy sur la commune de Viry

En 1599, la guerre reprend entre la Savoie et la France, Henri IV s'emparant sans peine de la Bresse et de la Savoie. Pressé par les Genevois, il vient mettre le siège au Fort Sainte Catherine, séjournant 3 jours à l'Eluiset; A titre d'anecdote, on notera qu'il échappa de peu à la mort lors d'une reconnaissance des lieux, suite à une traitrise d'un de ses officiers. Le roi de France obtient la capitulation du Fort sans combattre le 14 décembre 1600 et livre celui-ci aux Genevois qui le démantèleront pierre par pierre en deux jours début janvier 1601.

Pour sa peine, Henri IV  de par le traité de Lyon du 17/1/1601 dépouille le Duc de Savoie et prend possession pour la France de la Bresse, du Bugey et, au grand dam des Genevois, du pays de Gex; Henri IV renie aussi le traité du 19 avril 1589, qu'il avait pourtant ratifié le 20 octobre 1592, et refuse l'exécution de celui-ci qui promettait à Genève le territoire jusqu'aux Usses. Une nouvelle occasion manquée pour notre territoire et Genève d'être réunis.

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La carte des Etats de Savoie après le Traité de Lyon en 1601

Suite au traité de Lyon et à la perte du Pays de Gex, le siège de la judicature-mage des baillages de Ternier et Gaillard est transféré de Gex à St. Julien. Succédant à la période de  reconversion religieuse menacante et violente du Duc de Savoie, une lente et patiente reconversion pacifique de la région au catholicisme s'engage alors sous l'action bienveillante de François de Sales. Cependant Bossey, Neydens et Valleiry qui restent sous domination genevoise, restent protestants et gardent leur temple.

Mais Charles-Emmanuel n'a pas renoncé à son grand dessein de s'emparer de Genéve, et les escarmouches reprennent, culminant avec la tentative de prise de la ville lors de la nuit de l'Escalade, du 11 au 12 décembre 1602, que le Duc supervisa depuis St Julien ou il séjournait incognito.

  

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La bataille de l'Escalade

Malgré l'humiliation générée par cette "cagade", les escarmouches perdurent, et le fervent Catholique Vito de Basterga stationné à St Julien  s'en prend en toute occasion aux "hérétiques genevois". En représailles d'une exaction commise à Annemasse où il a fait étrangler des "coupeurs de croix", les genevois procèdent à une attaque nocturne de St Julien le 3/2/1603 afin d'éliminer ce capitaine Vito qui ne cesse de leur causer problèmes, mais qui parviendra toutefois à s'échapper.

Le Traité de St Julien - 1603

Finalement, le 21/7/1603, apres 10 jours de négociations, le  traité de St. Julien établit la paix definitive entre le Duc de Savoie et Genève, à la grande joie des populations locales lassées des guerres, et qui entendent avec ravissement  le Président Rochette leur crier par la fenêtre du château "Mes amis, louez Dieu, vous avez la paix". On ajoutera qu'en revanche le Duc regretta jusqu'à sa mort d'avoir conclu ce traité, disant sur son lit de mort en 1630 "le traité que j'ai signé avec Genève est le plomb mortel qui me tue".

Il n'est pas anodin que dans ce traité qui prône l'apaisement des tensions religieuses et ordonne le rétablissement de la liberté du commerce (exception faite du sel) le chapitre VIII du traité concerne le pardon du Duc envers ses propres sujets qui auraient pris le parti de Genève. Une nécessité, tant étaient nombreux les habitants du nord du Genevois qui, le plus souvent pour des raisons économiques, avaient combattu au coté de la République;

 Genève prospère 

Il faut rappeler ici que la Révocation de l'Edit de Nantes par Louis XIV en octobre 1585 va jouer un rôle prépondérant pour Genève en lui redonnant l'envergure d'une métropole internationale qu'elle était en train de perdre en se provincialisant à l'extrème. L'apport de forces vives, de volonté, de savoir faire et de capitaux des huguenots français qui fuient la France et y cherchent refuge, a puissament contribué à l'essor de l'économie genevoise. Pour ce qui concerne notre territoire , notons que le 9/5/1636 a lieu la vente de la baronnie de Ternier par l'heritier de Jérôme Lambert  à Jean Antoine de Rossillon.

Louis XIV envahit la Savoie 

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Bien que marié à une nièce de Louis XIV, Victor Amèdèe II de Savoie (photo) prend part à la Ligue d'Augsbourg contre la France, qui envahit ses États en 1690. Malgré la demande genevoise de respecter les principes du Traité de 1603 qui interdit aux troupes de se rassembler à moins de 4 lieues de Genéve, le Marquis de St Ruth général en chef des troupes françaises fait occuper les bailliages de Ternier et Gaillard et s'empresse d'y lever un impôt quatre fois supérieur à celui que le Duc de Savoie leur imposait.

Notons que le nouveau baron de Ternier Prosper d'Arenthon de Lucinges servit fidèlement le Duc de Savoie et combattit bravement les Français, ce qui lui valut de voir ses biens confisqués par l'occupant; mais il en reprit possession lorsque la Savoie, signant une paix séparée avec la France, fut évacuée; le Duc de Savoie le récompensa en lui décernant le 29 décembre 1696 la plus haute distinction de la Maison de Savoie, le collier de l'Annonciade, et en érigeant la baronnie de Ternier en marquisat.

A St Julien, quelques années plus tard, le 21/6/1701 exactement, a lieu la pose de la première pierre de la nouvelle église rebâtie sur le site même de l'ancienne devenue trop petite. La nouvelle èglise sera finie fin novembre 1702. C'est à la même époque qu'un terrain est choisi près du Crêt pour y déplacer le cimetière qui jusque là se trouvait autour de l'église.

Mais les malheurs vont recommencer. En effet, allié de la France au début de la Guerre de Succession d'Espagne, le Duc de Savoie Victor Amédée II se joint à l'Autriche en 1703 à la demande de l'Empereur; mais une nouvelle défaite lui fait perdre la Savoie. S'ensuit alors une occupation tres dure de notre territoire par la France, à tel point que le Sénat de Savoie prèsenta un mèmoire à l'intendant français sur les excès commis par les troupes royales .

Momentanément brouillé avec l'Autriche en 1709, à qui il reproche de ne pas l'avoir soutenu contre les Français, Victor Amédée garde alors sa neutralité jusqu'au Traité d'Utrecht (1713) où il finit par faire libérer son Duché de Savoie occupé par l'armée française; il y reçoit de surcroît une partie du Milanais et le Royaume de Sicile, pour lequel  il obtient le titre de roi.
NB: cette île étant trop éloignée pour qu'il puisse la défendre, il négociera en 1720 avec l'empereur Charles VI l'échange du royaume de Sicile contre celui de Sardaigne, prenant ainsi le tître de roi de Sardaigne.

Traité d'Utrecht: Libération de la Savoie - La Maison de Savoie devient royale

C'est ainsi qu'après 10 ans d'occupation, les troupes françaises évacuèrent le pays en 1713, tandis qu'un certain nombre de soldats s'étant mariés à St Julien y demeurèrent. Apres avoir dans un premier temps (novembre 1713) décidé de la suppression de la judicature mage de Ternier et Gaillard, Victor Amédée II se rend aux arguments du Sénat de Savoie et , pour contenir les entreprises de Genève, il maintient la judicature-mage de Ternier et Gaillard, la nommant de ses propres termes, "la plus importante de toutes".

Le marquis de Ternier Prosper de Lucinges meurt à St. Julien le 29/4/1715. Le marquisat revient alors à Jacques d'Allinges qui épouse l'héritière Marguerite-Prospère de la Valdisere.

A cette époque a lieu une longue visite de Victor-Amédée à Annecy, puis Evian, au second semestre 1715. Puis une nouvelle visite se produit en 1724 à l'occasion du remariage du prince hèritier Charles-Emmanuel qui est célébré a Thonon. Sur le chemin du retour, le roi prend son dîner à Pomier le 23/8/1724. C'est cette même annèe 1724 qu'est décidé à St Julien l'aménagement du  Promenoir du Crêt. Le 11/7/1726 en route pour Evian, Victor Amédée et les principaux de sa cour couchent au château de St. Julien, et le reste à l'auberge des trois rois. Il abdiquera en faveur de son fils Charles-Emmanuel III le 3  septembre 1730 et s'établit à  Chambery ou il meurt en 1732.

En 1730, Victor Amédée II qui a initié dès 1728 l'établissement de la mappe sarde, avait ordonné le cadastrage des bailliages de Ternier et de Gaillard, encourageant les autorités genevoises à se pencher sur la question.

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En juillet 1731, se rendant à Evian, le nouveau roi Charles-Emmanuel III , qui gouverna son royaume en despote éclairé, vint coucher à Pomier quelques jours après une tempête de grèle qui avait dévasté le pays. C'est aussi une èpoque ou les loups firent de grands ravages tandis que les autorités prenaient moult précautions pour éviter les rapports de la population avec Genève. Un édit du roi du 6/10/1733 régularisa le commerce de l'épicerie dans son royaume, fixant à un seul épicier le droit de commerce de détail à St. Julien. C'est Joseph Pissard, natif de Sallanches et regrattier (vendeur de sel), qui fut nommé à cette fonction.

En 1734, les autorités genevoises  rédigent un mémoire sur les différends entre les officiers du duc de Savoie et ceux de Genève suscités par le territoire, la juridiction et la religion, et les moyens d’y remédier; pour ce faire ils  proposent deux plans:
-  L’un prévoit la cession, en faveur de Genève, des bailliages de Ternier et Gaillard, dans lesquels sont enclavées les terres de Saint-Victor et Chapitre, ainsi que quelques villages de la souveraineté de Genève.
- L’autre propose l’abandon d’une partie des bailliages seulement, sans cession de grandes paroisses, mais seulement de quelques hameaux.

La voie aux négociations est ouverte:

Elles débutent en 1739, avant d’être interrompues par l’occupation de la Savoie dans la guerre de succession d’Autriche (1740-1748). Elles reprendront ensuite, pour aboutir, le 3 juin 1754, au traité de Turin.

L'occupation espagnole - 1743-1749

Lors de la guerre de la Succession d'Autriche, le Roi Charles Emmanuel a pris le parti des Autrichiens contre la Prusse, la France et l'Espagne. Le  2 septembre 1742, les troupes de Philippe d'Espagne rentrent en Savoie et l'occupent, exercant un pillage sans merci. Pour St. Julien, l'occupation commencera début février 1743 et durera 6 ans, portant la misère des populations à son comble. Enfin, suite au traité d'Aix la chapelle du 18/10/1748, les espagnols quittent la Savoie fin janvier 1749, emportant avec eux les malédictions de leurs innombrables victimes. Le Roi de Sardaigne recouvre alors ses droits sur la Savoie et comprend la nécessité de trouver un accord définitif avec Genève sur les frontières. 

Redécoupage des frontières - Le traité de Turin en 1754

Le 3 juin 1754, le traité de Turin met fin à des siècles de contestations entre Genève et ses voisins au sujet de leurs droits de juridiction respectifs. Genève cède à la Savoie Carouge, Veyrier, Bossey, Landecy, Onex, Lancy, Avusy, Villette et Presinge, en échange de quoi elle reçoit, en pleine souveraineté, Cartigny, La Petite Grave, Epeisses, Grange-Canal, Vandoeuvres, La Belotte et Gy.

Déjà en 1736, puis à nouveau en 1752, les autorités savoyardes avaient ordonné l’expulsion des étrangers protestants établis dans les terres de Saint-Victor et Chapitre. Aussi, en  ce qui concerne la religion, le traité accorde aux habitants ayant changé de souveraineté le libre exercice de leur foi pour une durée de vingt-cinq ans. Passé ce délai, ils pourront conserver leurs terres, mais devront les faire cultiver par des personnes de la religion admise dans l’Etat où elles se trouvent. On voit bien là la fracture que la religion a établie entre Genève et son arrière pays savoisien.


Par ce traité de Turin de 1754, le roi renonce définitivement à Genève et sa banlieue. Mais il récupère certaines terres y compris Valleiry, Neydens et Bossey. Ce traité institue aussi la liberté du commerce et le transit gratuit du sel. Le 21/7/1755 les temples protestants d'Onex, Valleiry et Neydens sont consacrés au culte catholique; celui de Bossey ne le sera qu'en 1799.

Le 28 aout 1770, face à une famine qui ravage la Savoie, le Sénat de Savoie ordonne la prohibition absolue du commerce de grains avec Genève, établissant un cordon militaire le long de la frontière genevoise. Cette prohibition s'exercera  jusqu'au 16 septembre 1775 entraînant la ruine des bailliages de Ternier et de Gaillard qui ne pouvaient plus exporter leurs récoltes à Genève, tandis que dans le même temps la ville était obligée de faire venir à grands frais des blés étrangers qu'elle revendait à perte à ses citoyens nécessiteux. Une autre conséquence de cette mesure fut l'envol  des dénonciations, d'autant plus que le prix des denrées saisies était attribué presqu'en totalité aux saisissants et aux dénonciateurs.

L'irritation était d'autant plus exacerbée que les nobles et les prêtres étaient la plupart du temps exonérés de ces tracas, causant bien du souci au juge-mage Claude-Pierre Paget qui était pris entre deux feux pour faire appliquer la loi.

Le 28 mai 1772, tous les habitants ayant éte convoqués dans la salle d'audience de la judicature mage, la Commune de Saint-Julien passait délibération pour accepter l'affranchissement général offert par le Roi. Elle délégua Louis Jacquemard, Jean-Louis Boimond et Jean-François Tissot pour établir les actes nécessaires afin de libérer la ville de "toute taillabilité, des laods, censes, servis, plaids et autres droits de cette nature auxquels les habitants peuvent être assujettis envers les vassaux et autres personnes qui possèdent des fiefs ou emphitèoses sur le dit territoire". On retrouve nombre de noms des vieilles familles St-Juliennoises dans cet acte signé FRERE.

 L'émergence de Carouge

Modeste village jusqu'en 1754, le bourg s'accroit rapidement à partir de la signature du traité de Turin. Par lettres-patentes du 2/5/1780, le Roi de Sardaigne Charles Emmanuel III crée la province de Carouge, formées des anciens bailliages de Ternier et Gaillard, auxquels on ajoute les mandements de Clermont, Chaumont et Cruseilles, d'Annemasse et quelques autres territoires. C'est l'émergence d'une ville nouvelle, Carouge, dont le Roi veut faire une ville importante face à Genève, capable de la concurrencer sur le plan économique. Différents architectes de renommée se succèderont pour dresser les plans de cette nouvelle ville sarde qui a conservé à ce jour quelques uns des magnifiques bâtiments construits à cette époque.

Ce fut un moment de déclin pour la ville de St Julien, qui perdit sa judicature mage au profit de Carouge, et dont nombre de notables vinrent s'établir dans la nouvelle cité royale. 

La République Française conquiert la Savoie 

Mais un séisme a lieu dans la France voisine. Le roi Louis XVI a été renversé et la République proclamée. Attaquée par les puissances européennes, la France se défend et passe à l'attaque. Le 22/9/92 , les troupes de la République Française emmenées par le général Montesquiou envahissent la Savoie et ne s'arrêtent qu'à Carouge, sans traverser l'Arve. Des députés sont élus le 14/10/1792 qui se réunissent à Chambéry le 21/10/1792 sous le nom d'Assemblée des Allobroges et demandent le rattachement à la France. Le 28/11/1792, la Convention Nationale exauce le voeu des Allobroges, et crèè le département du Mont-Blanc avec pour capitale Chambéry.

Rem. Alors que la quasi unanimité des communes représentées à l'Assemblée des Allobroges avaient demandé l'annexion de la Savoie à la France, il est interessant de noter que le général conquérant de la République préconisait lui la constitution d'une République indépendante en Savoie: "Je suis de ceux qui pensent que ce n'est ni l'intérêt de la France ni l'intérêt de la Savoie de se réunir...Je pense donc que ce qui conviendrait le mieux aux deux peuples serait la formation de la Savoie en république indépendante, alliée de la France: et ce qui dans la suite serait le plus utile à la Savoie, ce serait d'entrer dans la Confédération Helvétique." Voila ce qu'écrivait le Général Montesquiou à l'adresse de l'Assemblée des Allobroges depuis son QG de Landecy, le 28 octobre 1792. La lettre arriva (malheureusement?) trop tard, l'affaire avait été résolue.

Le Département du Mont-Blanc 

Le Département est divisé en 7 districts, et dans celui de Carouge, c'est Viry, et non pas St Julien, qui devient le chef lieu de notre canton. En 1795 et 1796 ont lieu les ventes des biens nationaux, propriétés saisies par l'Etat (biens du clergé ou d'émigrés) et mises en vente par adjudication. C'est ainsi entre autres que Louis Jacquemard devient propriétaire de la superbe propriété, connue aujourd'hui sous le nom de "Maison David", désertée par le noble Menaud de Bontemps qui avait cherché refuge à Genève dès l'invasion des troupes françaises. De la même façon, le juge de paix du canton Etienne François Pissard se porta acquéreur le 3 thermidor de l'An IV du couvent des Capucins pour la somme de 12003 livres payés en assignats, ainsi que de nombreuses autres propriétés qu'il revendit rapidement pour la plupart.

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Le Département du Mont-Blanc - chef lieu Chambéry

Le nouveau département du Léman

Mais posséder la Savoie n'est pas assez pour les révolutionnaires français qui traversent l'Arve et occupent Genève le 15/4/98. S'ensuit alors la création d'un nouveau département dont Genéve est le chef lieu: le département du Léman regroupe  le nord du département du Mont-Blanc, mais pas Annecy qui, restant attaché au département du Mont-Blanc, se voit donc séparé une nouvelle fois du nord du Genevois. A cette exception notoire près, le département du Léman regroupe une grande partie de la Haute-Savoie actuelle,  ainsi que le canton de Genève et le Pays de Gex. Aprés 800 ans de séparation administrative, notre territoire est donc enfin réuni avec Genève.....

Carte Leman.jpg

Le département du Léman, avec Genève comme préfecture 

Mais la République vivait ses dernières heures: après le Directoire, elle allait bientôt laisser la place à Bonaparte, et à l'Empire....

Annexes

 

Population de l'agglo genevoise.jpg

250 ans ont été nécessaires à l'agglomération genevoise pour gagner 10000 habitants entre la Réforme et l'Empire. A mettre en perspective avec l'accroissement démographique actuel. 

Sources et bibliographie:
www.sabaudia.org
César Duval : Ternier et Saint-Julien
Abel Jacquet: Saint-Julien-en-Genevois
Jean de Pingon: Savoie française - Histoire d'un pays annexé
Collectif: La Savoie en dates et en cartes
Collectif: Crises et révolutions à Genève - 1526 - 1544 
Paul Guichonnet: plusieurs livres et publications


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