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Les travailleurs ne sont pas à la fête

Publié le 01 mai 2013 par Thierry Gil @daubagnealalune

En cette journée de mobilisation, les travailleurs n’ont pas vraiment le cœur à la fête

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Sale temps pour les travailleurs. Pendant que les « anti » et les « pro » mariage pour tous s’étripaient sur la place publique parisienne et que les épisodes de cette gay-guerre abondamment commentée dans les medias devenaient le pain quotidien des Français, le gouvernement Ayrault en profitait pour faire avaler des couleuvres à l’ensemble des salariés. En faisant adopter en première lecture à l’Assemblée Nationale puis au Sénat l’Accord National Interprofessionnel (ANI) signée entre le Medef et les syndicats minoritaires, le gouvernement social-libéral de Jean-Marc Ayrault a définitivement franchi le Rubicon qui le séparait de la droite en matière économique et sociale. Au point qu’il lui sera désormais difficile, à moins de nous enfumer avec un nouveau projet « sociétal », de prétendre incarner un quelconque changement. Car à part le changement d’heure dans la nuit du 30 au 31 mars, nous n’avons rien vu venir.

Qu’est-ce que cet Accord National Interprofessionnel ? Il s’agit d’un projet de loi déjà adopté en première lecture à l’Assemblée Nationale puis au Sénat qui, sous couvert de « sécurisation de l’emploi », s’inscrit dans le droit fil des préconisations, appliquées partout en Europe de la Troïka (Commission européenne, Banque Centrale européenne, FMI) : démantèlement du droit du travail, chantage à l’emploi pour baisser les salaires et les droits sociaux au nom de la compétitivité.

L’ANI va ainsi réduire considérablement les droits et les possibilités de contestation et de recours à la justice des salariés et de leurs représentants. Il renforcera en outre le pouvoir des employeurs, notamment celui d’imposer la « mobilité » des salariés.

Non content d’offrir toujours plus de gages au Medef qui n’espérait sans doute pas autant de mansuétude de la part d’un gouvernement de gauche, ce dernier a rejeté le 24 avril la proposition de loi du Front de Gauche visant à amnistier les délits et sanctions pour des faits commis pendant les mouvements sociaux. Le texte qui visait notamment à effacer les condamnations de syndicalistes pour des faits commis pendant l’occupation de leur usine avait déjà été vidé de sa substance par des amendements socialistes avant d’être adopté au Sénat en février, d’une très courte tête (174 voix contre 172).

L’amnistie sociale n’est pas pour demain. Selon que vous soyez riche ou pauvre, écrivait Victor-Hugo, la justice vous rendra blanc ou noir. On aimerait que le gouvernement fasse preuve d’autant de zèle à lutter contre les voyous en col blanc qui organisent, avec la complicité des banques, l’évasion fiscale. Elle constitue un délit autrement plus dommageable pour l’économie et la République que les « pétages de plomb » de certains syndicalistes et ouvriers révoltés par le traitement qui leur est fait. Pour les finances publiques françaises le manque à gagner dû à l’évasion fiscale est estimé à 30 milliards d’euros. Or, sans la complicité d’une banque, l’évasion fiscale est tout simplement impossible. En 2009, les banques françaises disposaient de 460 filiales dans les paradis fiscaux. BNP Paribas en possède 189 à elle seule… la moitié des profits de la Société Générale dans le monde est localisée au Luxembourg.

Aujourd’hui, le vol en supermarché est réprimé sévèrement, en revanche le vol de ressources de l’Etat, par le biais de l’évasion fiscale, débouche extrêmement rarement sur des condamnations

Pour justifier le rejet de la proposition de loi du Front de Gauche, le ministre des Relations avec le Parlement, Alain Vidalies, a cité en exemple les incidents qui ont émaillé les manifestations contre le mariage pour tous. On y revient. Selon lui : « Ce qui se passe en ce moment montre qu’il faut avoir une seule réponse, le respect de la loi républicaine pour tous »… Il aurait sans doute été plus avisé de comparer ce qui est comparable en ne mettant pas sur le même plan des individus qui provoquent des troubles pour empêcher que le principe républicain d’égalité s’applique à tous les citoyens… à des salariés qui défendent leur outil de travail et leur dignité. Les premiers n’ont aucune circonstance atténuante quand les autres sont jetés comme des malpropres et voient leurs vies brisées.

Il aurait sans doute été plus adroit pour un gouvernement de gauche qui évoque « le respect de la loi républicaine » de faire appliquer les décisions de justice prononcées en faveur des salariés quand elles ne sont pas respectées comme c’est le cas dans le dossier Fralib où la multinationale Unilever tente par tous les moyens d’échapper à ses obligations en ne respectant pas les obligations légales en matière de licenciement collectif.

Mais voilà : chacun a les prétentions de ses compétences et ce gouvernement manque cruellement d’ambition et de discernement. Quant aux délits dont se rendent parfois coupables syndicalistes, grévistes et salariés au bord de la crise de nerf, leur traitement aurait sans doute mérité, dans le contexte économique et social actuel, une approche plus humaine. L’empathie n’est-elle pas aussi une vertu publique ? Quant à la violence dans le monde du travail, elle s’exerce avant tout contre les salariés. Chaque année ce sont des centaines d’entre eux qui sont victimes d’accidents de travail, parfois mortels, et les suicides sont de plus en plus nombreux. Chaque mois, ce sont 100.000 personnes qui rejoignent les cohortes de demandeurs d’emploi en fin de droits. Et l’insécurité sociale dont on ne parle pas assez est la pire des violences subies par cette « France d’en bas » qui doit être exemplaire quand les élites se permettent tous les écarts de conduite. 300.000 personnes sont aujourd’hui privées d’un logement, un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté et il y a en France 1,2 million de travailleurs pauvres.

Le 1er mai n’est pas la « fête du travail »

Bref, les travailleurs qui défilent aujourd’hui n’ont probablement pas le cœur à la fête. Et d’ailleurs, en quoi cette journée du 1er mai marquée traditionnellement par des manifestations revendicatives est-elle une « fête » ? Il faut remonter à l’origine du 1er mai pour comprendre de quelle façon s’est opéré un véritable glissement sémantique travestissant cette journée de mobilisation ouvrière en « fête du travail ».

En 1886, les ouvriers américains, tout particulièrement à Chicago, se mettent en grève pour demander entre autres la réduction de leur temps de travail. L’initiative dégénère en affrontements et coûte la vie à plusieurs ouvriers. Le mouvement ouvrier international décide en 1889 de faire du 1er mai une journée revendicative internationale, avec pour objets centraux la question du temps de travail et la journée de 8 heures. Le premier 1er mai célébré en tant que tel date de 1890.

Avant la Seconde Guerre mondiale, le 1er mai est donc une grande journée de revendications, de grèves et de manifestations. Le mot « fête » n’y est pas associé, pour une raison très simple : ceux qui voulaient faire grève prenaient le risque de perdre leur place, puisqu’à l’époque il était encore possible de licencier quelqu’un pour ce motif. Il arrivait fréquemment que des salariés qui s’aventuraient à chômer le 1er mai ne retrouvent pas leur place à leur retour au travail. La grande vague de grèves du Front populaire doit d’ailleurs son déclenchement aux renvois d’ouvriers, les 2 et 3 mai 1936, parce qu’ils s’étaient mis en grève le 1er.

Cette journée internationale de revendications a été l’objet d’un glissement sémantique sous Pétain. Le 1er mai n’est pas « la fête du travail ». Il n’a été désigné de cette manière qu’une seule fois : à l’époque du gouvernement de Vichy. Pour les spécialistes du mouvement ouvrier, si cette appellation est revenue, c’est majoritairement par manque de connaissance de l’Histoire et parce que cette journée est devenue de plus en plus symbolique, associée aujourd’hui à l’idée d’une fête légale, comme il y en a d’autres dans notre calendrier. Elle conserve cependant toujours son sens de revendication sociale pour les organisations syndicales.

François Vernon


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