Oser parler de rigueur quand les dépenses publiques sont en pleine dérive, c’est pervertir la signification des mots.
Par Jean Yves Naudet.
Un article de l'aleps.
Aucune rigueur monétaire
La rigueur serait donc « ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal », comme disait Jean de La Fontaine : la rigueur bouc émissaire, la rigueur alibi de l’impuissance de nos gouvernants. La première erreur est d’attribuer à la rigueur la cause de la crise. Il suffit de se rappeler la chronologie : la crise d’abord, la « rigueur » ensuite.
C’est le laxisme généralisé qui a causé la crise. Laxisme monétaire d’abord, avec la politique d’inondation monétaire et de faibles taux d’intérêt de la Réserve fédérale, qui a poussé les banques à accorder des crédits immobiliers aux ménages insolvables, provoquant la crise des subprimes et les doutes sur la solidité du système bancaire. Le laxisme monétaire n’a pas disparu aujourd’hui, il s’est même accentué dangereusement.
Laxisme budgétaire, avec un déficit durable des finances publiques, déficit qui existe en France depuis 1974 ; déficit accentué avec les relances budgétaires de 2009 pratiquées par des gouvernements paniqués face à la récession, et qui ont ressuscité Keynes et sa relance par la demande. Ce laxisme budgétaire a entraîné des déficits annuels spectaculaires qui, dans certains pays, ont conduit à financer le tiers ou la moitié des dépenses publiques par l’emprunt. Cela se traduit par des taux d’endettement publics insupportables (parfois supérieurs à 100% du PIB) et par la crise des dettes souveraines. Il n’y a donc aucun doute : ce n’est pas la rigueur, mais assurément le laxisme des banques centrales et des États qui est à l’origine de la crise que nous connaissons depuis 2008.
Une rigueur insuffisante
La seconde erreur est de confondre rigueur et rigueur. En apparence, les gouvernements ont choisi la voie de la rigueur. Mais quelle rigueur ? La rigueur monétaire, je l’ai déjà dit, n’existe pas, et la semaine dernière j’ai au contraire souligné comment les Banques Centrales en arrivent à émettre de la fausse monnaie. Réserve Fédérale, Banque du Japon, Banque d’Angleterre et maintenant Banque Centrale Européenne rivalisent d’imagination pour faire « tourner la planche à billets ». La vraie rigueur monétaire, à l’inverse, s’entend ou bien d’un taux de croissance stable de la masse monétaire (règle du k%) compatible avec l’évolution de la demande de monnaie, ou bien et encore mieux d’une privatisation ou d’une disparition des banques centrales pour faire jouer une libre concurrence entre monnaies privées.
Reste la rigueur budgétaire : tous les gouvernements annoncent une réduction du déficit budgétaire. Mais, comme c’est le cas en France, on demande au bourreau une minute de plus, en reportant de 2013 à 2014 le passage à 3% de déficit. Obama lui-même ne vient-il pas d’annoncer qu’il réduirait le déficit budgétaire à 4,4% du PIB ? Or tout cela n’est ni de la vraie rigueur, ni de la bonne rigueur. Où est la rigueur, quand l’objectif est d’avoir un déficit, certes, en réduction, mais de 3, 4 ou 5% du PIB ? Tant que le déficit persiste, la dette continue à s’accroître, comme on le voit en France où elle dépasse désormais 90% du PIB.
Une fausse rigueur
Le plus grave est dans la méthode qu’utilisent la plupart des gouvernements pour essayer de réduire les déficits. Ils augmentent les impôts. En France, les prélèvements obligatoires vont encore augmenter l’an prochain, de l’aveu même du Ministre des Finances. En outre, non seulement on accroît le taux de l’impôt, mais aussi sa progressivité. Même politique aux États-Unis : le projet de budget Obama comporte une hausse d’impôts pour les plus hauts revenus et la limitation des déductions pour donations caritatives. Bien d’autres pays cherchent à réduire leur déficit en augmentant la pression fiscale ou parafiscale.
C’est dire que la rigueur conçue par les gouvernements n’est pas la rigueur pour l’État, mais la rigueur pour les contribuables. Or, plus la pression fiscale augmente (et en particulier plus la progressivité de l’impôt augmente), plus la matière imposable se réduit (effet Laffer) : les gens les plus dynamiques sont découragés ou vont se réfugier sous des cieux fiscalement plus cléments. On dénonce les paradis fiscaux ; mais le paradis n’existe que si l’enfer existe. Non seulement la hausse des taux d’imposition ne réduit pas véritablement les déficits, puisque la matière imposable se réduit, mais encore cette hausse mine la croissance et favorise la récession. Si l’on veut la croissance, il faut baisser les taux des impôts et leur progressivité. D’ailleurs la Suisse et la Suède, les deux seuls pays européens qui depuis sept ans ont diminué les impôts et mis un frein à l’endettement, sont en croissance.
Fausse rigueur et vraies réformes
Comment parler de rigueur quand les dépenses publiques continuent à augmenter ? C’est le cas en France où la dérive des dépenses publiques se poursuit ; le record va être battu cette année, avec des dépenses publiques représentant 56,9% du PIB ! C’est le cas aux États-Unis, où le projet Obama prévoit une hausse de 6% des dépenses fédérales. Oser parler de rigueur quand les dépenses publiques sont en pleine dérive, c’est pervertir la signification des mots. La seule rigueur qui vaille est celle que l’État devrait s’imposer à lui-même, par la diminution radicale des dépenses publiques. Alors oui, on pourrait passer à la vraie rigueur, celle de la baisse des dépenses publiques.
Mais cette rigueur-ci serait-elle suffisante pour sortir de la crise ? Sans aucun doute elle-est nécessaire, rien de bon ne pouvant résulter des relances monétaires ou budgétaires. Mais ceux qui prônent les relances et combattent la rigueur nous distraient du vrai débat : le laxisme n’est-il pas le sous-produit naturel des économies dirigistes ? Peut-on durablement instaurer une vraie rigueur dans un pays où la liberté économique est oubliée depuis des lustres ? Il faut donc s’occuper aussi des profondes réformes structurelles, celles dont les gouvernants et leur clientèle ne veulent pas entendre parler : réforme fiscale, pour que l’impôt cesse d’être un outil de redistribution, réforme de la protection sociale, avec la mise en concurrence des régimes d’assurance-maladie ou de retraites, réforme de l’État, avec la décentralisation véritable et surtout la privatisation de ces « services publics » que le secteur privé pourrait produire mieux et moins cher, réforme du marché du travail, avec une véritable flexibilité de l’emploi et des salaires, réforme de la concurrence, en mettant fin aux professions fermées et au protectionnisme, etc. Alors oui, la vraie rigueur accompagnée de vraies réformes serait la seule réponse à la crise que nous connaissons et dans laquelle nous nous enfermons.
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