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Paramètres juridiques de l’école-maison au Québec

Par Monarchomaque

Une version téléchargeable de cet article est disponible ici. Ce document ne constitue pas un avis juridique. La Home School Legal Defense Association (HSLDA) offre un soutien légal


La Loi sur l’instruction publique garantit la légalité de l’instruction à domicile au Québec :

15. Est dispensé de l’obligation de fréquenter une école l’enfant qui : […] 4° reçoit à la maison un enseignement et y vit une expérience éducative qui, d’après une évaluation faite par la commission scolaire ou à sa demande, sont équivalents à ce qui est dispensé ou vécu à l’école.

 La loi exige que les enfants instruits à domicile vivent une expérience éducative « équivalente », et non « identique », à celle que leurs compères vivent à l’école. Il s’ensuit qu’il n’est nullement obligatoire que le matériel et les méthodes pédagogiques, ainsi que l’horaire journalier, hebdomadaire & mensuel, soient exactement les mêmes que ceux des écoles publiques (lesquels changent sans cesse de toute façon).

 Il pourrait bien sûr y avoir litige sur les critères d’appréciation de cette équivalence, notamment sur la question à savoir si cette équivalence se mesure sur l’ensemble de la scolarité de l’enfant, ou année par année (voir semestre par semestre). Si l’on emploie la méthode d’interprétation littérale & grammaticale (selon laquelle on se limite au texte exact des lois dans le sens courant de termes utilisés), alors la loi ici n’exige pas que cette équivalence se mesure année par année.

Si l’on emploie la méthode d’interprétation téléologique (selon laquelle toute loi poursuit un objectif et que ses clauses doivent être comprises de façon à produire des effets concourant à atteindre l’objectif de la loi), alors ici la loi cherche à assurer que tous les jeunes Québécois bénéficient d’une éducation qui leur permettra d’être des citoyens autonomes lorsqu’ils seront arrivés à majorité. Cela ne peut pas adéquatement se mesurer de façon très pointue pendant l’enfance, mais peut uniquement se mesurer de façon globale, au regard de l’ensemble de l’éducation que reçoit un enfant : c’est le résultat final qui compte. Donc même la méthode interprétative qui donne le plus de force à la loi (téléologique) permet aux familles faisant l’école-maison de dispenser la matière dans un ordre différent que celui des écoles publiques/privées.

Il pourrait aussi y avoir litige sur la question des modalités de l’évaluation requise par l’article 15 n° 4 de la Loi sur l’instruction publique. Cette disposition n’exige pas que les enfants subissent un examen par la commission scolaire, mais simplement qu’il y ait « évaluation » selon un seul critère établit par la loi : l’enfant « reçoit à la maison un enseignement et y vit une expérience éducative qui […] sont équivalents à ce qui est dispensé ou vécu à l’école ». Ni le moment ni l’endroit de cette évaluation ne sont fixés par le législateur, qui n’a pas, non plus, expressément délégué cette prérogative aux commissaires dans la Loi sur l’instruction publique. Les commissaires scolaires n’étant pas des plénipotentiaires pouvant agir à leur guise, mais des élus devant conformer leur règlementation avec les lois habilitantes qui leurs délèguent leurs pouvoirs, les commissaires devraient s’entendre de façon bilatérale avec les parents pour fixer le moment et l’endroit de l’évaluation.

Il y a aussi difficulté à savoir quel individu fait l’évaluation. À cet égard, l’avant-dernière clause de l’article 15 n° 4 de la Loi sur l’instruction publique n’est pas très claire ; le libellé français (« évaluation faite par la commission scolaire ou à sa demande »), semble indiquer que la commission scolaire fait elle-même l’évaluation ou demande à un tiers de la faire pour elle. Cette interprétation pourrait être acceptable, l’identité de l’évaluateur a, en principe, peu d’incidence, puisque peu importe qui effectue l’évaluation, le seul critère à évaluer est l’équivalence, critère large et généreux qui sera comblé dès qu’une forme réelle d’instruction aura lieu au domicile.

Le libellé anglais de la loi dont il est ici question (Public Education Act, article 15 n° 4 : « evaluation made by or for the school board ») peut-il être avantageusement mobilisé ? Ici la clause « for the school board » (« pour la commission scolaire ») pourrait être interprétée comme signifiant que l’évaluateur n’est pas nécessairement choisi par la commission, mais pourrait l’être par les parents (ou conjointement par les deux parties).

Le site web de l’Association chrétienne des parents-éducateurs du Québec dit qu’« en cas de litige, le texte en français prévaut[1] ». Cette affirmation est peut-être une croyance populaire dû au fait que la Loi d’interprétation québécoise, lorsque premièrement adoptée par l’Assemblée législative du Québec en 1937, établissait qu’« en cas d’ambigüité, le texte français des lois l’emporterait sur le texte anglais[2]. » Or cette disposition fut abrogée dès 1938. Peut-être est-ce une mauvaise lecture de l’actuelle Loi d’interprétation québécoise, qui édicte en son article 40, alinéa 2, que « Les lois doivent s’interpréter, en cas de doute, de manière à ne pas restreindre le statut du français. » Mais ici il est fait référence au français comme langue publique & étatique, les paramètres juridiques de l’école-maison n’ont pas de répercussion sur le statut du français au Québec, qui est l’enjeu derrière cet article 40.

Plus pertinente est la Charte de la langue française :

7. Le français est la langue de la législation et de la justice au Québec sous réserve de ce qui suit : […] 2° les règlements et les autres actes de nature similaire auxquels s’applique l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 sont pris, adoptés ou délivrés, et imprimés et publiés en français et en anglais ;

3° les versions française et anglaise des textes visés aux paragraphes 1° et 2° ont la même valeur juridique ;

 Et la Loi constitutionnelle de 1867 affirme à l’article 133, alinéa 2 :

133. […] Les lois du parlement du Canada et de la législature de Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues [français et anglais].

La Loi sur l’instruction publique du Québec, article 15 n° 4, est donc une loi visée par la Charte de la langue française, article 7 n° 2, par l’entremise de la Loi constitutionnelle de 1867, article 133 alinéa 2. A priori, les versions française et anglaise de ce texte potentiellement litigieux sur l’école-maison ont donc la même valeur juridique. Cela veut-il dire que chaque partie peut choisir la version qu’elle préfère et l’opposer à l’autre partie ? Cela entraînerait beaucoup de confusion.

La Cour suprême du Canada a développé une règle d’interprétation en cas de divergence linguistique entre le texte français et le texte anglais d’une loi :

Lorsqu’une version est ambigüe tandis que l’autre est claire et sans équivoque, il faut privilégier a priori le sens commun aux deux versions. De plus, lorsqu’une des deux versions possède un sens plus large que l’autre, le sens commun aux deux favorise le sens le plus restreint ou limité[3].

 En l’espèce, les deux versions ont le même degré de clarté, mais le texte français à un sens plus restreint que le texte anglais. C’est donc (malheureusement) le libellé français qui devrait être retenu ici. Tout cela étant dit, bien que le législateur impose une évaluation pour les familles faisant l’école-maison, il n’a instauré aucun mécanisme de planification de cette évaluation. En effet, la Loi sur l’instruction publique appert ne pas exiger que les parents-éducateurs inscrivent leur enfant à la commission scolaire au début de la scolarité de l’enfant (ou au début de chaque année scolaire). La seule disposition qui pourrait se ressembler à cela est l’article suivant :

239. La commission scolaire inscrit annuellement les élèves dans les écoles conformément au choix des parents de l’élève ou de l’élève majeur. […]

 On voit bien que cette disposition concerne les parents envoyant leurs enfants à l’école publique et non ceux les envoyant à l’école privée ou faisant l’école-maison. À la limite, une commission scolaire pourrait voter un règlement obligeant les parents à l’avertir après qu’ils aient fait l’école-maison pendant une période déterminée pour pouvoir procéder à une évaluation. Sinon, une règle qui doit gouverner toute interprétation juridique, proclamée par la Cour suprême, est qu’« en cas d’ambigüité, il faut retenir l’interprétation qui favorise la liberté de l’individu[4] ».


[1] Association chrétienne des parents-éducateurs du Québec, http://www.acpeq.org/fr/interpretation_loi.html, consulté le 15 avril 2013.

[2] Conrad Black, Maurice Duplessis, traduit de l’anglais par Jacques Vaillancourt, Montréal, Éditions de l’Homme, 1999, p. 151 sur 547.

[3] R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217, paragraphe 26, cité dans Donald Poirier et Anne-Françoise Debruche, Introduction générale à la common law, chapitre 2 (qui porte aussi sur le droit civil) : L’interprétation des lois, 3e éd., Cowansville, Éditons Yvon Blais, 2005, p. 416 sur 841.

[4] Colet c. La Reine, [1981], 1 R.C.S. 10, cité dans Ibid., p. 431-432.


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