Réunies sans aucun doute en congrès au cœur de notre vallée, toutes les pies de la région colloquent sans repos au sommet des fayards. Les tourterelles s’apostrophent de chênes en châtaigniers avant de s’enfoncer dans l’ombre des sapins où elles bâtissent leur nid. Mésanges et moineaux fouillent les buissons de noisetiers. On s’attendrait presque à entendre un concert de grillons si le printemps ne tardait pas tant à s’installer vraiment. S’ajoutent à ce tintamarre les pétarades tonitruantes d’un couple de motos enduros. Soudain, un coup de fusil retentit. Un groupe de corbeaux qui passait par là s’éparpille en un instant, traçant dans le ciel des hachures noires incohérentes. Ramiers et merles affolés se blottissent en grand ramage dans l’ombre des sous-bois. Biches et chevreuils se réfugient le cœur battant sous les halliers. Puis le silence retombe. Comme une chape de plomb. Les deux motards ont arrêté le moteur de leur engin. D’une main tremblante, ils relèvent la visière de leur casque. Le visage pâle et crispé, ils scrutent les fourrés, dans l’expectative. Mais peu à peu le charivari reprend, indifférent au drame qui se noue. Ils nous tirent dessus, s’exclame le plus grand, un long échalas aussi maigre qu’un moine en fin de carême. Dingue, réplique l’autre, un petit taiseux au front buté. Ils relancent leur machine et repartent en sens inverse dans la direction du bourg. Parvenus dans la cour de la mairie, ils ôtent leur casque, dressent leurs mécaniques sur leurs béquilles et s’engouffrent dans le long couloir aux murs tapissés d’arrêtés municipaux. Engoncée dans une blouse de toile bleue qui souligne ses formes généreuses, la secrétaire observe avec placidité les deux énergumènes qui jaillissent soudain au-dessus de son comptoir comme deux diables de leur boite. Elle est trop habituée aux réclamations indignées pour s’émouvoir d’aussi peu. On nous a tiré dessus ! Alors commence un interrogatoire en règle. Qui ? Où ? J’appelle le maire. Il ne faut pas dix minutes au premier adjoint pour accourir. Il trouve les plaignants sagement assis sur une chaise, un verre d’eau à la main. Ils racontent leur histoire à mots hachés comme s’ils étaient encore sous le choc. A les entendre, ils auraient été attaqués par une compagnie de chasseurs sanguinaires armés d’armes de guerre de gros calibre. Pendant qu’on alerte les pandores, le correspondant du quotidien local arrive à son tour. Les deux victimes passent une main dans leurs cheveux mêlés pour le cas où il voudrait faire une photo et répètent leur aventure. La camionnette de la gendarmerie s’annonce enfin à grand renfort de sirène. Le maréchal des logis-chef Bérose s’en extrait avec une dextérité que son aimable embonpoint ne laisserait pas soupçonner. Alors ? C’est Marseille ici ? Selon des sources proches de l’enquête, on ne connaîtrait pas encore le nom du présumé coupable et moins encore son mobile. Les témoins interrogés, le père Mathieu et son épouse Marguerite, communément appelée Margottons, n’auraient rien vu ni rien entendu. Ce qui paraît fort plausible dans la mesure où ils ont avoué avoir regardé, à l’heure où se déroulaient les faits, leur habituel feuilleton policier allemand. Cependant, affirme le chef Bérose qui se refuse à égarer les conjectures, à ce stade de nos investigations, aucune piste ne peut être écartée. Qui parlait, hier, de la vie trop tranquille des vieux bougons de la campagne ?
Pour suivre régulièrement ces chroniques, il suffit de s’abonner gratuitement à "news letter"