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Bruno Jeudy scanne la droite française

Publié le 02 mai 2013 par Delits

A l’occasion de la sortie de son livre enquête, Délits d’Opinion est allé à la rencontre de Bruno Jeudy, rédacteur en chef au Journal du Dimanche. Retour sur un décryptage passionnant des  différents prétendants de droite qui affutent déjà leurs armes pour 2017.

Délits d’Opinion : vous venez de publier avec Carole Barjon, « le coup monté »*, qui revient sur l’épique élection du Président de l’UMP en novembre dernier. S’agit-il d’un récit d’analyse ou d’une enquête de terrain ?

Bruno Jeudy  : Au départ, nous pensions faire une analyse plus politique, et au fil des entretiens nous avons compris avec Carole qu’il était indispensable de décrypter de l’intérieur ce qui s’était passé. Nous avons alors scanné tous les éléments. Et l’os, le talon d’Achille sur lequel nous avons buté, c’était les trois fédérations d’Outre-Mer non comptabilisées. Copé et ses proches s’expliquaient sur la désorganisation, sur les procurations qui avaient été utilisées des deux côtés, sur les irrégularités dans les votes. Mais demeurait cette énigme des trois fédérations oubliées. Alors, nous avons tiré le fil, cherché à savoir qui avait réceptionné ces résultats, quel était le cheminement des résultats jusqu’à la fameuse ligne. Nous avons rencontré les membres, les permanents de l’UMP, visionné des extraits d’un film tourné clandestinement au cœur de la commission. Bref, nous avons interrogé tout le monde.

Délits d’Opinion : quelle est votre conclusion ?  Copé a t-il forcé son destin ?

Bruno Jeudy  :  La crise de novembre à l’UMP vient de loin. Elle remonte à 2010, lors de la prise de contrôle par Copé d’un appareil qu’il va verrouiller. Il comprend très vite que l’enjeu sera de garder son fauteuil après l’élection présidentielle, que Sarkozy soit élu ou battu. Or, très tôt, il anticipe la défaite du président sortant. Et Copé sait que le jour ou Sarkozy sera battu, sa place sera contestée .Il travaille donc au contrôle total de l’appareil et place les siens aux postes clés. Il fait en sorte de verrouiller les instances de contrôle des élections internes.

Mais au-delà de la préparation, il y a les circonstances de la campagne électorale. Ma conviction est que tout s’est noué pendant la campagne. Cela s’opère en deux temps.

Lorsque le camp Fillon révèle qu’il dispose de 45 000 parrainages, les copéistes ont l’impression d’être battus sur leur propre terrain. Ils vont donc profondément professionnaliser leur approche, et notamment sur la question clé des procurations. Et là, Jérôme Lavrilleux effectue un coup magistral. Contrairement au clan Fillon qui remet tous ses formulaires de parrainages à la COCOE, le camp Copé n’en remet que 12 000 ou 13 000, soit un peu plus que le nombre requis. Les copéistes gardent le reste des parrainages qui vont lui permettre ensuite de recontacter les signataires. Car dans les formulaires de parrainages, il y a les photocopies de pièces d’identité, ce qui permet de fabriquer des procurations à la chaîne. A l’inverse, les fillonistes ont donné tous leurs parrainages à la COCOE, Et sont obligés dans un second temps de courir après les signataires pour demander des autorisations de procurations. Ils auront même recours à une plate-forme téléphonique privée, donc coûteuse, et finalement pas assez efficace !

A ce moment-là, Copé comprend très vite qu’avec les procurations, il évitera la défaite à 60/ 40 et qu’il peut même espérer atteindre 50/50. Il suffit alors d’un peu d’astuces pour faire basculer le scrutin du bon côté. Ainsi, le jour du vote ce ne sont pas moins de trois consultations qui sont effectuées, et qui vont créer une véritable embolie dans certains bureaux. Par ailleurs, le nombre de bureaux de votes dans les départements plus favorables au camp Fillon a souvent été plus faible.

Au final, on peut considérer que Lavrilleux a été plus fort que Ciotti, le directeur de campagne de Fillon. A la décharge de ce dernier, Fillon ne voulait pas apparaître trop procédurier, pour garder sa stature d’homme d’Etat.

Enfin, au moment des résultats, on voit tout l’intérêt d’être dans la place. Très vite le clan Copé a la confirmation que l’élection va se jouer à 50/50. Notre thèse est qu’ils décident alors de prendre de vitesse tout le monde. Car, il est beaucoup plus difficile de réintégrer la présidence quand on n’a pas été déclaré vainqueur par la Cocoe.

Délits d’Opinion  : Vous consacrez un chapitre à Patrick Buisson, conseiller de Nicolas Sarkozy en 2007 et 2012. Est-il au cœur du drame qui se joue ?

Bruno Jeudy : Patrick Buisson avait été un personnage central dans la campagne de Sarkozy en 2012. Copé a nié l’avoir comme conseiller, mais la vérité est que Buisson est un conseiller de Copé. Ce n’est pas J-F Copé qui a signé un contrat avec Buisson, mais Copé s’est débrouillé pour que son contrat avec l’UMP soit pérennisé et même réévalué à la hausse. Il est devenu un conseiller très important. Par ailleurs, Copé a dans son entourage un proche de Buisson, Lavrilleux. Pendant la campagne présidentielle, ce dernier est en effet devenu proche du conseiller de Sarkozy.

Délits d’Opinion : Il y a le combat entre deux clans qui s’affrontent pour le pouvoir. Mais, existe-t-il une ligne de fracture idéologique entre Copé et Fillon ?

Bruno Jeudy : La fracture idéologique n’est pas flagrante. Copé a certes créé la polémique dans cette campagne, notamment avec cette affaire de pain au chocolat. Mais il a surtout mieux senti le terrain. Il a compris que le militant UMP est plus radicalisé que le sympathisant. Lors du scrutin de novembre pour la Présidence de l’UMP, il y a eu environ 160 000 votants, qui représentent 1% de la droite -Sarkozy a récolté 16 000 000 de voix en 2012-. Pour gagner l’élection de l’UMP, il faut toucher les 1% les plus radicalisés, quand pour gagner la présidentielle il faut beaucoup plus élargir. Or, Fillon s’en est tenu à des discours généralistes de redressement et de rassemblement de la France, quand Copé lui a parlé le langage que les militants attendaient : impôts, immigration et attaque frontale contre Hollande.

Cela dit, ne réduisant pas cet affrontement à Fillon-le-centriste contre un Copé qui ser ait radicalisé. C’est plus compliqué. Car Fillon a considérablement droitisé son discours sur l’immigration, la sécurité. De la même manière, avec son passage à Matignon, il est devenu beaucoup plus libéral, voire davantage que Copé.

L’ancien Premier ministre est certes resté fidèle aux fondamentaux de l’UMP, c’est à dire la synthèse des familles gaullistes, libérales et centristes, dans la lignée des pères fondateurs Raffarin ou Juppé. Mais il a également durci son discours sur l’immigration notamment. Son problème est que cela ne se voit pas, que cela n’imprime pas de la même manière. C’est aussi une question de tempérament. Ses mots sont toujours mesurés, un peu intellectualisés, et peinent à rendre visible cette mue.

Délits d’Opinion : Quelle sera la stratégie de Copé en vue de la primaire de 2016 ? Peut-il continuer le processus de droitisation ?

Bruno Jeudy : Je suis d’abord impatient de savoir si la primaire à droite aura vraiment lieu. Je pense qu’il s’agit d’un mode naturel de sélection à la présidentielle et que la droite aura du mal à y échapper même si, sur le fond, ce système de désignation est en contradiction avec l’esprit des institutions de la Vème. Si Nicolas Sarkozy revient, je le vois mal se soumettre au jeu de la primaire. Il tentera de s’imposer naturellement ou transformera l’exercice en primaire de confirmation.

S’il y a une primaire, François Fillon sera candidat, Jean-François Copé sera candidat, même si son image est écornée, Xavier Bertrand sera candidat, et peut-être que Bruno Le Maire tentera sa chance.

Quant à la ligne de Copé, il campe sur cette droite forte, plus radicalisée sur des sujets sociétaux. Et en même temps, il est plutôt libéral sur le plan économique. Il tente de faire une synthèse, un peu comme Sarkozy dans les années 2000.

La comparaison avec Sarkozy n’est en revanche pas valable sur les questions sociétales. Dans les années 2000, le futur président avait fait son mea culpa sur le pacs, pratiqué l’ouverture sur le droit de vote des étrangers aux élections locales. La synthèse sarkozyste dans les années 2000 c’était autorité sur les sujets régaliens, libéral sur les sujets économiques et ouverture sur le sociétal. L’équation Copé pour les années 2020 ce sera plus rude sur les sujets de société, plus rugueuse sur les sujets régaliens et plus ouverte sur les sujets économiques, car le pivot central se déplace vers la droite. C’est le dessein de Patrick Buisson qui souhaite mêler les électorats de la droite et de l’extrême droite.

Quel que soit le dispositif, Copé veut avoir deux fers au feu. Soit, il y va. Soit Sarkozy se lance, et il peut espérer être le futur premier ministre si Sarkozy gagne. C’est sans doute ce que l’ancien président doit entretenir comme promesse. Pour l’instant, on est encore dans la fiction. Sarkozy aura aussi d’autres choix parmi les quadras de l’UMP. De la même manière, Copé sait qu’il a dix ans de moins que Fillon. Il peut se permettre de passer son tour en 2017. Et espérer des jours plus favorables en 2022 voire 2027…

Délits d’Opinion : Croyez-vous vraiment au retour de Sarkozy ?

Bruno Jeudy : Pour  Sarkozy, il y a aujourd’hui un boulevard. Hollande subit déjà une chute sans fin. C’est d’ailleurs le pari de Sarkozy. Il a déjà doublé Fillon dans les sondages. Et il espère que dans deux ans, il n’y aura même plus de match. Il joue donc le recours. Avec deux bémols néanmoins. Le premier est lié aux affaires qui pourraient gêner son retour.

Le second bémol est lié aux mouvements l’opinion aujourd’hui compliqués à anticiper: le jour où il annonce son retour, il risque de réveiller l’anti-sarkozisme à gauche. Je l’imagine un peu comme un réaction chimique qui n’est pas mesurable aujourd’hui. En ce moment, Sarkozy est en suspension, son retour est hypothétique. Mais le jour où le retour de Sarkozy sera effectif, comment réagira l’opinion ? Une partie de Français qui n’ont pas voté pour lui l’an passé peut se dire : «On ne l’aime pas, mais la situation l’impose ». Une autre partie peut rester bloquée en se disant : « Non, vraiment pas lui ».

Délits d’Opinion : Fillon a t-il encore une chance ?

Bruno Jeudy : Fillon,  quoi qu’il arrive, trainera comme un boulet de ne pas avoir gagné une élection imperdable. Pour un peuple de droite sensible à la culture du chef, cela peut être rédhibitoire. C’est son talon d’Achille. Alors, pour essayer de soigner les plaies de l’automne et de cette élection perdue il s’adresse directement aux Français en effectuant un tour de Franc à l’écart des médias. Il écrit un livre sur cette expérience qui sortira au début de l’année prochaine.

Il ne faut pas pour autant rayer Fillon de la course à la présidentielle. Il reste populaire. Par ailleurs, c’est un homme politique qui sait toujours se mettre sur la bonne vague. Il sait se placer. Certes, on lui reproche d’être un bon numéro deux. Mais il ne faut pas sous-estimer sa détermination. Il a déjà montré qu’il était capable de belles échappées, comme en 1999 pour la présidence du RPR. En 2005, il est viré du gouvernement par Chirac et rejoint aussitôt Sarkozy. Aujourd’hui, il cherche la bonne vague. Son salut, cette fois, passera par une émancipation de Sarkozy et du sarkozysme. Le fillonisme a besoin de contenu.

Délits d’Opinion : En 2014, auront lieu les élections municipales. Comment voyez-vous la situation à Marseille ?

Bruno Jeudy : J’anticipe une victoire de Gaudin, mais ce sera ric rac. Avec ce scrutin par arrondissement, il n’y aura pas de majorité absolue. Gaudin sera un maire sans majorité. Il devra composer avec la gauche et le FN qui aura plusieurs élus.

Si Gaudin a Caselli en face, il gouvernera avec une partie des voix PS, et fera des majorités de circonstances. Ils ont déjà l’habitude de gouverner ensemble, ce dernier étant Président de la communauté urbaine de Marseille Provence. Si c’est Carlotti, ce sera plus compliqué, et je ne crois pas que Mennucci puisse l’emporter. C’est d’ailleurs le candidat que Gaudin souhaite avoir face à lui.

Le problème pour Gaudin, c’est le FN qui dispose d’un candidat (ndlr, Stéphane Ravier) bien implanté. Aujourd’hui, le FN a un seul élu. Ils en auront beaucoup plus et feront un premier tour très prometteur. Leur problème, est qu’il ne pourront pas se maintenir au second tour partout. La question d’une alliance de circonstance se posera également. Au final je pense que Gaudin gagnera, gouvernant comme son maitre Defferre, sur le mode de la IV république et au gré des alliances temporaires.

Délits d’Opinion : Et Paris peut-il basculer à droite ?

Bruno Jeudy : Paris peut bouger. C’est jouable pour NKM. Pour deux raisons au moins. Bien sûr, la gauche est intouchable à l’est. Et le scrutin parisien c’est d’abord vingt élections.

N’oublions pas d’abord que Paris a une tradition de ville frondeuse contre le pouvoir central. Chirac fut élu contre l’avis de Giscard et réélu alors que Mitterrand était à l’Elysée. De même, quand la droite est au pouvoir, la gauche de Delanoë gagne les municipales.

Par ailleurs, la tête de liste compte plus que les 20 autres. Ce qui paraît ingagnable peut fonctionner si la tête de liste est bonne. Avec NKM, la droite a trouvé une candidate qui colle parfaitement à la sociologie en place. Elle a un profil bobo qui peut séduire les bobos aujourd’hui à gauche mais demain peut être à droite. Il lui faut désormais prouver qu’elle a des idées pour Paris et qu’elle peut faire bouger les lignes.

NKM a enfin l’habitude des victoires au finish. Ce fut le cas à Longjumeau, son ancien fief électoral. Elle aime la bagarre. Elle va être servie à Paris. Car Anne Hidalgo est une bonne candidate, une vraie cogneuse qui se prépare de longue date. Mais la socialiste souffre d’un handicap : on élit rarement un dauphin.

*Le coup monté, Carole Barjon et Bruno Jeudy, Editions Plon


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