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Pour en finir avec l’austérité et engager la transition : éliminer le surcoût rentier du capital et les paradis fiscaux

Publié le 02 mai 2013 par Lino83

Par Jean Gadrey sur Alternatives Economiques

Je vais m’appuyer d’une part sur une remarquable étude récente d’amis économistes (« Le coût du capital et son surcoût », Université de Lille1) et, d’autre part, sur une tribune publiée dans Libération par d’autres amis sous le titre « Éradiquer les paradis fiscaux rendrait la rigueur inutile » (29 avril). Les auteurs sont cités en fin de billet. Je vais donc célébrer à ma façon la fête du travail en faisant sa fête au capital.

Ces deux familles de mesures (éliminer le surcoût rentier du capital et les paradis fiscaux) ne suffiront pas à changer de direction, mais elles pourraient donner le signal et les fameuses « marges de manœuvre ». La plus « facile » à mettre en œuvre rapidement dans le contexte actuel, en Europe en tout cas, concerne les paradis fiscaux. C’est celle qui rapporterait le plus aux finances publiques. Mais l’austérité présente n’est pas seulement publique (politique de freinage de presque tous les grands postes de financements des biens publics et collectifs, des associations, etc.). C’est aussi l’austérité salariale, dans le secteur des entreprises, qui nous est présentée comme inévitable pour « restaurer la compétitivité ». C’est là qu’interviennent mes amis économistes, et c’est avec eux que je commence.

IL FAUT BAISSER LE COÛT… DU CAPITAL

Jean-Marc Ayrault présentait ainsi, le 6 novembre 2012, son « pacte de compétitivité » issu du rapport Gallois, en provoquant une explosion de joie (contenue) au MEDEF : « Le Gouvernement a décidé de retenir une première mesure, massive, et sans précédent, l’allègement de 20 milliards d’euros du coût du travail… Cela représentera l’équivalent d’une baisse d’environ 6 % du coût du travail…. Il prendra la forme d’un crédit d’impôt, le “Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi” (CICE) ».

Il reprenait ainsi à son compte l’antienne patronale assimilant quête de compétitivité et baisse du coût du travail, ce dernier étant toujours et en tous lieux supposé excessif.

Mais pourquoi ne parle-t-on pas du surcoût du capital, du gaspillage de capital ? Les entreprises paient des sommes de plus en plus énormes à des actionnaires, des banques, des rentiers de toutes sortes, aux marchés financiers, etc. C’est sur cette question que cinq économistes, dont trois amis lillois, viennent de fournir un rapport de 160 pages. Je vais juste en donner une idée. Le cœur est l’analyse et la mesure des excès « de la norme de rendement financier imposée aux entreprises, laquelle réduit de manière directe les opportunités d’investissement ». Car des projets rentables, mais moins rentables que la norme, ne sont pas mis en œuvre. À ce niveau de rémunération, la propriété joue contre l’entreprise, contre l’emploi.

Le surcoût FINANCIER ET RENTIER du capital, c’est la somme des intérêts EXCESSIFS versés à la finance, des dividendes EXCESSIFS et autres profits distribués et non réinvestis, mais aussi des loyers EXCESSIFS divers soumis à la spéculation foncière et immobilière par d’autres rentiers ou par les mêmes. On peut y ajouter les sursalaires des très hauts cadres et dirigeants, car ils sont directement liés à la financiarisation de l’économie et c’est pour cela qu’ils sont exorbitants. Ce sont pour une part des rentes financières.

Ce surcoût, c’est de la rente (un revenu de simple possession) financière EXCESSIVE dépourvue de justifications économiques, au sens de l’économie réelle, et qui résulte d’un rapport de forces actuellement asymétrique en faveur des rentiers et de la finance.

Comment font ces économistes pour estimer ce qui est excessif et ce qui serait « raisonnable » (le coût financier nécessaire ou inévitable) pour ces divers surcoûts, ces revenus liés à la propriété ? Ils empruntent des détours théoriques passionnants pour des spécialistes et ils en viennent à définir précisément le surcoût du capital comme « les revenus de la propriété versés par les sociétés non financières à d’autres agents économiques qu’elles-mêmes, moins le risque entrepreneurial, moins le coût de la transformation de l’épargne liquide en prêts (le coût d’administration des dépôts et du crédit, ou coût d’intermédiation). ». Ils mesurent ensuite ce surcoût selon plusieurs hypothèses prudentes. Voici l’un des graphiques de synthèse. Les années y sont illisibles sur l’axe horizontal. Il s’agit du demi-siècle 1961-2010. Le surcoût du capital, en % de l’investissement réel, grimpe fortement à partir des années 1980. J’ai reporté en annexe quelques lignes de commentaires techniques pour économistes amateurs ou professionnels.

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Selon leurs estimations « de milieu de fourchette », le surcoût du capital, hors surcoûts fonciers et immobiliers, représenterait en moyenne depuis vingt ans 60 % de son coût réel, c’est-à-dire de l’investissement, beaucoup plus qu’il y a 40 à 50 ans où il était modeste, autour de 10 à 20 %.

Montant total estimé par an de ce coût excessif du capital, ou surcoût par rapport à des coûts raisonnables et qui ont existé dans le passé : 100 milliards d’euros, 10 % de la valeur ajoutée des entreprises non financières, 50 % de l’investissement (estimation basse), près de 20 % des salaires bruts ! Voilà une vraie marge de manœuvre.

Non, les salaires ne sont pas trop élevés en France, au contraire, mais les coûts excessifs du capital allant à la finance et à la rente sont devenus exorbitants. Ils plombent aussi bien les salaires que le véritable investissement, et par ce biais les finances publiques. Baisser nettement le surcoût du capital et augmenter sensiblement les salaires, à commencer par les plus bas, serait un choix politique de sortie de crise, excellent pour l’économie réelle.

ÉRADIQUER LES PARADIS FISCAUX RENDRAIT LA RIGUEUR INUTILE

Je serai plus bref sur cette seconde priorité, non pas qu’elle soit moins importante, au contraire, mais parce que l’article de Libé est court, percutant, et vaut d’être lu intégralement via ce lien. Il est signé de Thomas Coutrot (Attac), Christophe Delecourt (CGT Finances), Vincent Drezet (Solidaires finances publiques), Pierre Khalfa (Fondation Copernic), tous membres du Collectif pour un audit citoyen de la dette publique. Voici juste un extrait :

« Les ordres de grandeur des sommes ainsi détournées donnent le vertige : la Commission européenne estime que 1 000 milliards d’euros échappent chaque année aux fiscs européens, soit 7 % du PIB de l’UE. Cela correspondrait pour la France, à 140 milliards d’euros par an, deux fois le montant de l’actuel déficit public… Il faut mettre au ban les paradis fiscaux en interdisant toute transaction financière avec eux et en obligeant les particuliers et les multinationales, françaises pour commencer, à rapatrier les avoirs qu’ils y possèdent. Il s’agit de remettre sous l’empire du droit commun les riches et les grandes entreprises à qui le néolibéralisme a permis de faire sécession vis-à-vis du reste de la société.

Enfin, force est de constater que les réformes de l’Etat menées par les gouvernements successifs sous des sigles divers (RGPP, Réate [Réforme de l’administration territoriale], MAP…) n’ont cessé d’amputer les moyens des services publics en charge de la lutte contre les fraudes. Il est temps de rompre avec ces politiques et de donner aux corps de contrôle les moyens humains, budgétaires et juridiques pour sanctionner efficacement les fraudes fiscales mais aussi sociales, économiques, industrielles, environnementales… »

ANNEXE TECHNIQUE SUR LE RAPPORT LILLOIS, dont les auteurs sont Laurent Cordonnier, Thomas Dallery, Vincent Duwicquet, Jordan Melmiès et Franck Vandevelde

Le rapport retient (page 103) une hypothèse centrale sur l’évaluation du risque entrepreneurial (RE) et du coût d’intermédiation (CI), évalués ensemble à partir du taux d’intérêt réel moyen, toutes échéances et tous termes confondus, des crédits accordés aux entreprises par les banques et autres institutions financières. Ce taux d’intérêt réel moyen (2 %) est appliqué chaque année au stock de capital fixe (reconstitué à partir de la FBCF) pour fournir l’estimation de (RE + CI), c’est-à-dire le surcoût du capital, hors surcoût en rentes foncières et immobilières, probablement important en France, bien plus qu’en Allemagne, mais non soumis à estimation.

On pourrait comparer ces normes de « coût raisonnable » à celles que Frédéric Lordon avait proposées avec son idée de SLAM (Shareholder Limited Authorized Margin, ou « marge actionnariale
limite autorisée »), dont le périmètre était toutefois un peu plus réduit


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