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La France et la reproduction sociale : une société immobile ?

Publié le 08 mai 2013 par Labreche @labrecheblog

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Après le vif succès du Déclassement en 2009, Camille Peugny choisit dans Le destin au berceau de remettre sur le métier un thème abondamment traité mais finalement rarement actualisé : la question de la reproduction sociale et, surtout, de sa persistance voire de son renforcement dans les décennies récentes.

La fausse mobilité sociale française

Tout le monde ou presque connaît, a entendu citer, a lu, les ouvrages certes majeurs de Bourdieu et Passeron, Les héritiers (1964) et La reproduction (1970), classiques sociologiques hélas trahis par leur âge, et qui ont contribué à donner au thème de la reproduction sociale en France un caractère presque poussiéreux, décidément soixante-huitard. Aussi croit-on et dit-on que les hypothétiques Trente glorieuses de Fourastié auraient atténué le phénomène de reproduction. Comme la société américaine, qui derrière le mythe du self made man est l'une des plus figées parmi les pays occidentaux (voir ici et ), la société française continue de reproduire les inégalités, de génération en génération. Sept enfants d'ouvrier sur dix exercent eux-mêmes des emplois d'exécution, une proportion qui a très peu évolué depuis trente ans.


Peugny adresse au passage une intéressante remarque à ses collègues sociologues, « parfois en retard sur la réalité sociale », évoquant la vision tristement datée d'Henri Mendras lorsque celui-ci avance l'idée d'un processus continu de « moyennisation » sociale, dans La Seconde Révolution française (1988), alors même que la polarisation sociale se renforce de nouveau depuis les années 1970, et que les milieux sociaux tendent à se cloisonner de nouveau, que les inégalités ressurgissent entre générations et au sein des générations.

Une école parmi les plus inégalitaires

Pour mettre en avant efficacement la problématique de la forte reproduction sociale française, Peugny choisit logiquement d'interroger les outils censés la réduire, à commencer par le système scolaire français. Comme François Dubet l'a également fait récemment, Camille Peugny dresse un constat très éloigné de l'image du « creuset républicain », et détruit au passage quelques idées reçues comme celle des 80% d'une classe d'âge au baccalauréat, objectif jamais atteint et dont la France est encore très éloignée (actuellement 65% tout au plus selon les années, et seulement 34% en ce qui concerne le baccalauréat général). Aujourd'hui, les enfants d'ouvriers représentent 28% des collégiens, mais seulement 19% des lycéens généraux et technologiques, et 11% des étudiants...

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Citant Pierre Merle (2012), Peugny conclut que l'école française ne réduit pas les inégalités, et tend même à les aggraver, ce qui fait aussi écho aux questionnements de la Cour des comptes il y a quelques mois. De fait, les enquêtes PISA de l'OCDE, et le gradient socio-économique qu'elles calculent, tendent à confirmer ces positions, puisqu'elles classent la France à la dernière place, avec la Nouvelle-Zélande, en ce qui concerne la corrélation entre origine sociale et réussite scolaire. Et ce n'est pas tout, car Peugny constate que la situation se prolonge après la sortie du système éducatif : à diplôme égal, l'insertion des enfants d'ouvriers dans l'emploi est plus difficile que pour les enfants de cadres, et leur accès à des professions de cadre ou professions intellectuelles supérieures plus limité.

Une priorité : la jeunesse

Ce ne sont là que quelques uns des dramatiques constats dressés par Le destin au berceau. Mais il ne s'arrête pas là et parvient à esquisser quelques pistes pour bâtir une société moins reproductrice, grâce à une école moins inégalitaire, autant que par la réalisation de la promesse maintenant ancienne d'un véritable droit à la formation tout au long de la vie, d'autant plus crucial que la promotion par le diplôme supplante progressivement la promotion par l'ancienneté au sein des parcours professionnels. Mais c'est aussi la question des moyens accordés aux étudiants qui est posée, et l'hypothèse de financements comparables à ceux appliqués dans certains pays d'Europe du nord, et évitant aux jeunes de voir leur destin reposer sur les moyens de leur famille ou sur leur capacité à jongler entre études et emploi étudiant.

Plus généralement, c'est sur un appel à mieux considérer la jeunesse française, à lui accorder les mêmes droits qu'à leurs aînés (à commencer par les mêmes allocations, comme le RSA auquel l'accès est encore quasiment exclu pour les moins de 25 ans, cette proposition étant d'ailleurs aussi formulée par le CAE), à l'urgence de rendre à cette jeunesse un espoir, une confiance qui lui manquent, une considération qui ne lui est pas accordée, que Camille Peugny referme ce brillant opuscule. Pour, peut-être, enfin réaliser l'universalité des droits et de l'égalité d'accès à ceux-ci. Des souhaits et questionnements tristement absents de tous les projets actuellement mis en avant par la majorité censément de gauche qui gouverne le pays.

Camille Peugny
Le destin au berceau. Inégalités et reproduction sociale
Seuil/La République des idées, mars 2013, 111 p.
Prix éditeur : 11,80 €

Crédit iconographiques : 1. © Seuil/République des idées | 2. © Charb.


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