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"Echappement libre" de Jean Chauma

Publié le 09 mai 2013 par Francisrichard @francisrichard

Les motards connaissent l'échappement libre. Les cinéphiles le film éponyme de Jean Becker.

Le livre de Jean Chauma parle de tout autre chose que de motos ou de fuite en voiture chargée d'or.

Jean Chauma raconte un jeune garçon qui part de chez lui en juin 1968, à quinze ans, et qui se retrouve braqueur à vingt-deux.

Dominique Delille n'a pas fugué. Il est parti:

"Ce n'est pas l'idée de liberté qui l'excitait, mais le mouvement d'échappement."

Au tout début de cet échappement il est pris comme commis dans un bistrot de Paname, le Victor Hugo. Ce bistrot est tenu par Roger et Andrée David, lesquels ont une fille, Martine, du même âge que lui.

Andrée est une ancienne pute. Deux putes tapinent officiellement pour Roger, Marie et Danielle. En réalité elles versent une part de leur comptée à Andrée. Dominique loge chez Marie, qui l'initie au sexe. Mais il plaît aux trois... Il faut dire qu'il a de beaux yeux, de longs cils, comme une fille... et qu'il est bien monté... De quoi plaire à ces dames. Puis, à d'autres.

Jean Chauma raconte Dominique chez ses pseudo-parents, les week-ends avec eux à Maulers, en Beauvaisis; sa vraie mère, la troublante Lucienne, mariée à Jean-Paul; les pokers organisés par Roger dans le sous-sol du Victor Hugo; l'engagement de Dominique à dix-neuf ans dans les paras envoyés au Tchad, où il fait la connaissance de ses complices de bracos, Le Chinois et Damien.

Les trois compères sont très différents. Le Chinois est sans doute le plus voyou, mais il n'a qu'une idée en tête: "mettre de l'argent de côté pour ouvrir un chouette resto et vivre comme un bourgeois". Damien est un cave, qui aime s'encanailler la nuit et bande "pour les femmes de voyous". Quant au troisième:

"Dominique aimait le Milieu et il voyait la voyoucratie comme une sorte de religion, avec l'idée d'y faire carrière."

Le clan des Siciliens, avec Ventura, Gabin, Delon est un de ses films culte, sorti l'année de ses seize ans.

Dominique?

"Il se donnait des airs de dur à cuire, essayant de copier Delon dans ses films. Pourtant, malgré cette absence d'appréhension du monde, malgré ses rêves qui voilaient son regard, il ne jouait pas à être Alain Delon. Il tendait vers quelque chose se rapprochant de l'image qu'il se faisait des personnages que jouait Delon."

Et le fait est que leurs deux vies sont parallèles à leur commencement, pour diverger par la suite...

Jean Chauma décrit Dominique en ces termes:

"Dominique vivait sans raison, sans raisonnement. Il n'avait pas de système logique, pas de grille de lecture raisonnable. La vie ne se présentait pas comme conséquence des actes. L'acte, pour lui, valait pour ce qu'il était en lui-même. Par contre, Dominique semblait avoir certains sens, certains sentiments comme exacerbés. Il pouvait ressentir les choses, les voir venir avant tout le monde."

Un intuitif, un instinctif, en quelque sorte.

Dans ce livre, Jean Chauma parle d'un monde disparu, mais qui n'était pas sans charme et qui était celui de mes vingt ans et suivants, de mes deux rencontres avec Albert Simonin, l'une au Pays Basque, l'autre dans son appartement du XVe arrondissement de Paris, de mes rencontres avec ses livres et ceux d'Alphonse Boudard, de mes rencontres avec les films de José Giovanni...

Dans ce monde se faire respecter voulait encore dire quelque chose, même, et surtout oserais-je dire, chez les voyous. C'était un monde qui n'était pas pour autant tout rose...

En l'occurrence le monde décrit par Jean Chauma est même plutôt noir. L'auteur, en effet, fait pénétrer le lecteur dans un monde de sexe et de violence qui n'est pas, tant s'en faut, celui des bourgeoises ou aristocrates pensionnaires d'institutions religieuses de l'époque. Bégueules, s'abstenir!

Même si, de temps à autre, Jean Chauma emploie des mots de l'argot d'alors, même s'il n'hésite pas à employer des mots crus pour décrire des scènes qui les méritent, sa façon d'écrire n'est pas complaisante. Elle coule de source pure et fait ressortir, par contraste, toute la noirceur du propos.

Francis Richard

Echappement libre, Jean Chauma, 200 pages, BSN Press


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