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Les grecs et le moyen âge: avons-nous une dette envers les arabes ? (3)

Publié le 19 avril 2008 par Vincent

Venons en pour finir au coeur du  problème. Cette fameuse rupture avec l'islam des Lumières ... Je me permets de renvoyer à deux mini recensions faites par moi-même ici : celle du  livre de Gutas qui date de 1998 qui montre déjà à quel point il faut se méfier de la propagande abbasside et de ses mythes: le songe du calife qui  aurait vu Aristote, la "maison de la sagesse", autant de choses qui ne résistent pas à une analyse minutieuse des faits; et celle de Brague (2006) où je concluais en disant: Voilà donc  un livre intéressant car démystifiant de tout côté ce moyen âge que l'on voudrait tantôt obscurantiste, tantôt tolérant. Il n'est ni l'un ni l'autre. Sans doute rêvons-nous aujourd'hui d'un futur où un islam pacifié coexisterait dans le dialogue philosophique avec le monde chrétien et juif. Pourquoi pas. Mais ce futur reste à construire, il ne se trouve pas tout fait dans le passé  et quand on reste à ressusciter la soit disante paix des religions de l'Espagne médiévale, on commet au fond la même erreur que le monde musulman quand sa partie extrême cherche à ressusciter  l'époque du prophète Mahomet. Leçon difficile à entendre mais qu'il faudra bien accepter si l'on veut aller de l'avant. Je  rappelle l'existence de ces deux recensions (sans prétention) antérieures à l'article du Figaro et du Monde pour dire que l'on n'a pas attendu le livre de Gougenheim pour remettre en doute la thèse d'un islam des lumières.

 Cependant, dans l'article de Mr Boiron (Le Figaro) et plus encore  dans celui de Mr Pol Droit (Le Monde), il y a quelque chose qui me dérange, une sorte de plaisir à contaster qu'ouf ! On ne doit rien aux arabes ! L'enjeu idéologique est clair: d'un côté Alain de Libéra ou Arkoun (cité au début de l'article de Mr Pol Droit) partisan d'un islam (ou plus largement du monde arabo musulman) qui serait un maillon important de l'histoire européenne, de l'autre la thèse que l'on ne doit rien à l'islam ou aux arabes. Cet enjeu idéologique à mon humble avis ne peut que nous induire en erreur sur toute la complexité des échanges de l'héritage grec dans le monde arabe et chrétien. Pour une simple raison: et si c'était plus compliqué que cela ? Sans doute la dette à l'égard du monde arabe est-elle moins importante qu'on ne l'a dit  et sans doute le monde chrétien était-il moins ignorant en matière grecque qu'on l'a dit et j'ai commencé par dire que la thèse était trop simpliste pour être vraie. Mais une fois dit cela: que savons-nous vraiment en plus ?

Il est prématuré d'affirmer que l'hellénisation  (terme sans doute mal choisi, de toute façon) du monde arabe est restée superficielle. Dans quelle mesure ainsi la connaissance de la logique grecque a-t-elle affectée le raisonnement juridique dans le fiqh ? Quel impact les théories grecques du bonheur ont-elles eu dans l'islam ? Dans quelle mesure la vulgate du néoplatonisme a-t-elle influencé le soufisme ? Est-on en mesure de répondre clairement à ces questions ? Les arabes ont pris aux grecs ce qui les intéressaient (les chrétiens en ont fait autant) et l'ont digéré, à tel point qu'il est parfois impossible de tracer des lignes de transmission claire et nette. Le Connais-toi toi-même ainsi se retrouve dans certains hadith: plagiat ou retour à un thème universel ? Un autre exemple trouvé dans mes lectures : dans le Coran X, 100: " Il (=Dieu)  fera tomber la souillure sur ceux qui point ne raisonnent ?" En note, Youssef Seddik fait remarquer: "dans le Sophiste de Platon (230-231) Socrate fait la même liaison entre souillure et refus de la rationnalité." Autre exemple: le rapprochement qu'al Biruni fait entre l'Inde et Platon est loin d'être idiot et ce, en dépit du fait qu'al Biruni avait une connaissance sans doute très approximative de Platon. Je pourrais donner ainsi toute une suite de faits bien éloignés de la paisible certitude que les grecs et les arabes en sont restés à des rapports superficiels. Ce qui est certain c'est que le monde arabe n'a pas eu une réception de la pensée grecque très philologiquement exacte, ce qui conduit l'homme contemporain que nous sommes à conclure à un rapport superficiel. Le monde arabe a très souvent traduit la pensée grecque dans ses modes de pensée (voyez l'exemple de Thalès  expliqué par Shahrastani que j'avais analysé là ) et c'est parce que nous projetons nos modes de pensée contemporains que parfois, on passe à côté d'une intuition philosophique intéressante.


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