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"Entrer dans la troisième époque du Web"

Publié le 13 mai 2013 par Blanchemanche

http://www.lejdd.fr/Economie/Actualite/La-France-dans-dix-ans-Entrer-dans-la-troisieme-epoque-du-Web-606814

INTERVIEW - Le philosophe Bernard Stiegler analyse pour le JDD le plan du gouvernement pour le numérique de demain.http://www.lejdd.fr/Economie/Actualite/La-France-dans-dix-ans-Entrer-dans-la-troisieme-epoque-du-Web-606814L'État compte investir plusieurs milliards pour développer le très haut débit, l'économie des objets connectés, le cloud computing ou encore les big data… Comment cela aidera-t-il à dessiner la France de demain?
Le numérique provoque une métamorphose de la société bien plus importante que ne le fit en son temps l'imprimé. D'ici dix ou quinze ans, les emplois manufacturiers seront robotisés, ce qui est déjà bien engagé chez Mercedes. Il n'y aura plus de caissières, plus de manutentionnaires ni de conducteurs de métro, voire de chauffeurs de camion. La corporéité sera bouleversée par les interfaces brain-computer ("cerveau-ordinateur") et par les capteurs et les prothèses qui entreront dans le corps humain. Tous les savoirs formels, les savoir-faire et les savoir-vivre évolueront.Et toute l'activité économique sera conditionnée par le numérique…
Oui. C'est pour cela qu'il faut investir massivement, faute de quoi l'Europe sera vassalisée – et à très courte échéance. Mais cela suppose une politique globale de développement, qui doit aller bien au-delà des investissements dans le très haut débit. Sinon, ces infrastructures seront exploitées à nos frais par des acteurs tels Google, Apple, Facebook et Amazon. Et nous financerons ce qui constituera notre colonisation numérique.Comment faire autrement?
Il ne s'agit pas d'imiter Google et les autres géants, mais d'entrer dans la troisième époque du Web, après celle de la navigation hypertexte dans les années 1990 puis celle des médias sociaux dans les années 2000. Le modèle googlien a ses limites : l'automatisation de la correction orthographique génère une dysorthographie, au risque de rendre les requêtes des internautes incompréhensibles par le moteur de recherche. Or le numérique entre aujourd'hui dans une troisième phase : celle des "technologies de l'annotation". Des "communautés d'annotateurs" apparaissent, qui réintroduisent des éléments d'interprétation humains débattus et partagés, pour affiner considérablement les résultats fournis par les algorithmes et les automatismes. Or cela constitue également la base de l'histoire des savoirs. L'Europe, qui fut à l'origine de tout cela en constituant justement cette République des lettres, doit jouer cette carte à fond. Mais cela passe par une politique universitaire ambitieuse, coordonnée avec une politique industrielle et éducative. La France devrait engager chaque année 500 thésards pour travailler sur l'impact du numérique dans leur discipline. L'audiovisuel public pourrait être missionné pour faciliter la publication de leurs travaux, avec le milieu éditorial et la presse : cela constituerait un chantier pour sauver ce secteur terriblement menacé aujourd'hui.N'est-il pas trop tard?
Pas du tout, mais il faut s'en donner les moyens. Cela suppose que ces thésards travaillent en suivant des méthodes de recherche-action et associent à leurs travaux des enseignants, des élèves et mêmes des parents, ainsi que les communautés d'amateurs qui prolifèrent sur le Web et qui sont parfois très inventives. Aujourd'hui, il manque une vision industrielle du numérique. Et ce n'est pas une question de budget. Le numérique modifie la société industrielle contemporaine dans toutes ses dimensions. Il faut envisager l'avenir de la plate-forme Dailymotion dans cette perspective, en soutenant par exemple un rapprochement entre Orange, France Télévisions, Gallimard et l'édition scolaire. Et il faudrait porter un tel écosystème à l'échelle européenne : l'échelon national ne peut être qu'un point de départ. Si rien n'est fait, dans dix ans, nous, les Européens, disparaîtrons de la carte des pays développés.Comment le numérique va-t-il modifier nos façons de travailler?
Nous allons vers une "économie de la contribution", où chacun participe, comme c'est déjà le cas avec Wikipédia. C'est la fin du modèle consumériste, et le début du modèle des pairs : dans le logiciel libre comme dans le monde académique, les échanges sont de pair à pair. Cela suppose de repenser le droit du travail, de réorganiser les entreprises, en se rapprochant du modèle des intermittents, de redéfinir les objectifs de la fiscalité. Il ne s'agit plus seulement de redistribuer du pouvoir d'achat, mais de savoir mettre en valeur son temps. C'est-à-dire de l'intelligence collective.

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