Sous ce titre volontairement provocateur, La Brèche revient sur les débats récurrents quant au supposé effet négatif des jours fériés sur la croissance. Ou comment, subrepticement, la mentalité droitière s’attaque à l’héritage des luttes sociales et, au-delà des jours fériés, vise les congés payés dans leur ensemble, au mépris des travailleurs comme d'ailleurs de l'économie.
Un alarmisme aussi général qu'injustifié
« Ce que coûtent les ponts de mai coûtent à l’économie française » (Challenges/Nouvelobs), « Jours fériés, ponts de mai : ce qu'ils coûtent à l'économie » (L’Expansion/L’Express), « Jours fériés et ponts de mai : une facture de 2 milliards d'euros » (La Dépêche du midi) (et d’autres articles encore dans Le Figaro, le JDD, La Tribune...). La presse française, de droite comme de gauche, manifeste à de rares exceptions près une véritable obsession pour le coût supposé des jours fériés pour l'activité économique.
La rhétorique est implacable : les ponts et jours fériés auraient un impact décisif, et entraîneraient un « manque à gagner » chiffré à 0,1 point de PIB en 2013, soit 2 milliards d’euros. Suivent déplorations quant au pauvre sort des entreprises forcées « de se livrer à quelques acrobaties calendaires » pour organiser un travail désorganisé par ces néfastes jours fériés. Coup de grâce : c’est une étude INSEE qui affirmerait l’existence de ce « manque à gagner ». Ou comment chercher une caution théorique à un discours idéologiquement marqué (mais on y reviendra d'ici quelques lignes).
On a peu entendu de remises en question de ces propos quasi-catastrophistes, qui plus est généralement prompts à mettre en avant une particularité nationale, encore une qui attesterait de ce fameux goût des Français pour la paresse. Gérard Filoche, cependant, s’est amusé à raison du caractère lourdement répétitif de ce débat, qui souligne systématiquement le « manque à gagner » des années où les jours fériés sont nombreux à tomber des jours ouvrables, et ne met jamais en avant le « surplus » des années où ils tombent en fin de semaine. Qui plus est, ce débat ne résiste pas à la comparaison internationale. La France, avec 7 à 11 jours fériés par an, est dans la moyenne européenne. Et en cumulant l’ensemble des jours de congés auxquels les salariés ont droit par an, c’est (pour l'année 2012) le Danemark qui arrive en tête du classement (41 jours), suivi par l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie et la Lituanie (39 jours). Quant aux États-Unis, les jours fériés dépendent aussi des États et des entreprises, et surtout ils sont généralement récupérés s’ils tombent un dimanche (le total annuel des congés est toutefois généralement plus bas).
Qu’est-ce qu’un effet calendaire ?
Les choses ne sont pourtant ni si simples, ni si catastrophiques. Interrogé par Ouest-France, Éric Heyer (OFCE/Sciences po) dont les propos ont été largement repris ces jours dernier précise déjà quelques éléments. D’abord, l’estimation de l’INSEE repose sur un calcul du manque à gagner pour la production industrielle (la seule réellement quantifiable en fonction directe du nombre d’heures travaillées) et sa compensation par le sucroît d’activité, dans le secteur du tourisme en particulier. Plus précisément, chaque jour férié représenterait 0,06% de PIB en moins, or l’année 2013 en compte deux de plus que la moyenne.
Surtout, l’étude de l’INSEE abondamment citée par les articles mentionnés ne justifient en rien leur tonalité négative sinon alarmiste, et ne la partagent pas, du moins. De fait, restant dans leur rôle de statisticiens, les auteurs de la note évoquée (Aurélien Poissonnier et Hélène Soual, 2012) signent simplement une actualisation d’un travail continu (voir par exemple la note de 2010) qui n’a pour autre objectif que d'expliciter les corrections de jours ouvrables dans les calculs des comptes trimestriels, visant à supprimer les effets purement calendaires des comparaisons trimestrielles (qu’ils soient positifs ou négatifs : jours fériés, variation du nombre de jours ouvrés en fonction des mois, années bissextiles et autres effets). D’une certaine façon, les jours fériés ne comptent pas dans le calcul de la croissance trimestrielle, pour éviter de fausses indications (aucune correction n'est effectuée sur le calcul annuel, qui est donc légèrement inférieur à la somme des trimestres). Quoiqu’il en soit, l’INSEE ne déplore rien, il calcule, tout simplement, et supprime justement les effets calendaires afin de mieux évaluer la croissance du PIB et le contexte macro-économique sous-jacent, qu’aucun statisticien ou économiste sérieux ne saurait mettre en rapport avec le nombre de jours ouvrés.
La note citée précise d’ailleurs, et il faut le comprendre, que « la mesure exacte des effets de jours ouvrables suppose de disposer de l’ensemble des indicateurs servant à la construction du compte ». Autrement dit, l’activité économique dépend avant tout des composantes déterminant le PIB, tel que la demande globale, la population en emploi, et les effets calendaires en dépendent aussi. Lorsque 10 % de la population est au chômage, les effets calendaires sont diminués d’autant. Enfin, comme le rappelle Éric Heyer, les effets calendaires négatifs sont « une goutte d’eau à côté des effets de l’austérité », et des erreurs de calcul de ceux-ci sur la croissance (Blanchard & Leigh 2013).
Une nouvelle étape du reniement social : vers la réduction des congés payés
Le problème, c’est que cette rhétorique de remise en cause des jours fériés conforte des comportements inadmissibles mais pourtant répandue chez un certain patronat peu scrupuleux, qui remet en cause de façon bien plus concrète l’acquis que représentent les jours fériés. Partout, des commerces qui ouvrent le 1er mai, pourtant jour obligatoirement chômé pour tous les salariés, dans toutes les entreprises et les catégories (hors établissements et services, principaux publics, ne pouvant interrompre totalement leur activité, comme les hôpitaux et les transports). Les abus ne sont pas du côté des salariés, mais du côté de ces entreprises-là, et de celles qui, comme le souligne Gérard Filoche, n’appliquent pas les deux jours de repos consécutifs, ou encore ne paient pas les majorations prévues pour le travail un jour férié, en violation bien souvent soit de la loi (pour le 1er mai), soit des conventions collectives qui le prévoient. Aucune statistique n’existe sur ces infractions pourtant courantes, comme sur la plupart des infractions au droit du travail et des litiges en découlant d’ailleurs (on sait en revanche que 14% des heures supplémentaires ne sont pas rémunérées ni compensées).
Par ailleurs, la contestation des jours fériés n’est rien d’autre que la première étape d’une attaque contre les congés payés qui ne fait que commencer, et qui va dans le sens des réformes imposées par le courant austéritaire de Berlin et Bruxelles. Déjà en Italie, le ministre de l’économie du gouvernement Monti, Gianfranco Polillo, avait proposé l’an dernier de supprimer une semaine de congés payés, estimant que la suppression permettrait 1% de croissance supplémentaire. Une proposition à la fois économiquement absurde et socialement ignoble.
Pour ce qui est des aspects économiques, d’une part parce cette croissance serait artificielle. Une fois la semaine supprimée, il faudrait en supprimer une deuxième pour observer le même impact l’année suivante, sans quoi le PIB retrouverait son niveau corrigé de cet effet de suppression. D'autre part, l’effet de la suppression n’est en rien assuré. En effet, le coût d’une semaine de congés pour une entreprise bien organisée est extrêmement faible, voire nul, comme celui des jours fériés d’ailleurs, et l’effet annuel d’une semaine de travail supplémentaire serait lissé pour la plupart des secteurs industriels. Seule la production industrielle pourrait logiquement connaître un effet direct, mais il n’est pas dit que celle-ci augmenterait mécaniquement, dans le contexte d’une demande déprimée qui pousse bien plus au chômage technique et aux suppressions de postes. Dans un marché de l’emploi très loin d’être en tension, une telle suppression aurait donc un effet quasi nul.
Une sixième semaine de congés payés pour favoriser la productivité ?
Socialement, enfin, la remise en cause des jours fériés et des congés payés, nouvelle pièce dans la contestation générale des droits sociaux, n’est rien d’autre que la contestation idéologique, au nom de la « compétitivité », d’acquis remontant, pour la France, au Front populaire, payés par la sueur et par le sang des travailleurs, fixés ensuite par la négociation (notamment en ce qui concerne l'accord sur les cinq semaines), et reposant également sur le droit international par la convention sur les congés payés de 1936, révisée en 1970.
Il serait également temps de rappeler que les jours fériés concernés sont, pour la plupart d’entre eux, des acquis issus de fêtes religieuses ancrées dans l'histoire des Français, ou bien célébrant des moments cruciaux de l’histoire sociale et politique de la Nation. Remettre en cause le 1er mai, c’est insulter le combat pour cette fête du travail et des travailleurs depuis le calendrier révolutionnaire de Fabre d’Eglantine (1793), le Labor Day des syndicats américains (1884) et la journée de manifestation annuelle décidée par la IIe Internationale, initialement pour célébrer le centenaire de la Révolution en 1889 (soit dit en passant, il serait bon que l’on cesse d’attribuer l’origine du 1er mai chômé à Pétain qui n’a fait que récupérer, dans un but corporatiste, une journée déterminée par des décennies de combat syndical et politique). De même, remettre en cause le 8 mai, c’est trahir le souvenir de la capitulation nazie de 1945, humilier le combat des forces alliées et de la Résistance française. Et l’on pourrait en dire autant du 11 novembre ou du 14 juillet. Dans un cas comme dans l’autres, les gesticulations face au caractère férié de ces jours-là ne sont pas autre chose que l’expression de sentiments allant contre l’héritage de la Révolution, de la Résistance, et de deux siècles de mouvement social.Plus encore, la corrélation positive entre quantité de congés payés et productivité au travail est largement connue et reconnue. Si ce n’est dans une optique purement idéologique, qui peut donc encore affirmer que les congés nuisent à la croissance ? En Europe, le nombre de congés payés auxquels les salariés ont droit va de 20 jours (quatre semaines) à 30 jours (six semaines) par an. Avec 25 jours, la France, comme pour les jours fériés, est dans la moyenne continentale. Deux pays accordent 30 jours de congés payés par an : l’Allemagne et le Danemark (respectivement 39 et 41 en comptant les jours fériés). Or, chacun connaît les performances économiques de ces deux pays. Et si, au lieu de contester les jours fériés, on accordait aux travailleurs une sixième semaine de congés payés ?
Crédits iconographiques : 1. Félix Valloton, La Paresse (gravure sur bois, 1896). Domaine public | 2. Affiche © CGT | 3. © Martin Vidberg | 4. 1er mai 1968 © D.R.