Magazine Environnement

Les émigrés

Publié le 13 mai 2013 par Rolandbosquet

emigres

   Le libraire et son épouse se montrent d’une extrême gentillesse. Ma table est située dans un endroit dégagé non loin de la porte d’entrée mais bien abritée des courants d’air et sans être pour autant à l’écart des clients. Le soleil du matin l’irrigue de lumière et une douce chaleur baigne la petite alcôve ainsi crée au milieu des étagères. Ma chaise est confortable et une autre est même prévue pour les personnes âgées qui adorent, me disent mes hôtes, discuter avec les auteurs. Á mon arrivée, les livres sont déjà disposés en deux piles simulant sans doute les tours de l’ancien château fort qui surplombait la ville. Sur une desserte recouverte d’un napperon de coton, patientent une tasse et son sucrier. Un petit café pour se mettre entrain ? Je ne refuse pas. Dehors, l’air est encore frais en ce début mai et je n’ai pu stationner ma voiture sur la place du marché toute proche réservée, ce jour là, aux maraîchers de la région. Je suis alors en campagne de promotion, comme on dit à la télévision, de mon roman "Le Chartil" qui traite de la migration des paysans normands en Limousin au cours des années soixante. Á ma connaissance, aucun d’entre eux ne s’est aventuré dans les environs de la petite ville de Corrèze qui m’accueille ce jour là. Le sujet n’en passionne pas moins les habitués de la librairie. Une charmante dame à la savante coiffure aux reflets bleutés m’explique ainsi que ses ancêtres lémovices ont émigré des plaines d’Europe Centrale dès l’âge de fer. Une autre, flanquée d’une petite fille au regard effronté, m’explique qu’étant situé au centre du royaume de France, le Limousin a été régulièrement traversé par des hordes d’envahisseurs qui se sont parfois installés à demeure. Un homme au débit haché qui s’affirme professeur autodidacte me conte l’histoire des Wisigoths réfugiés, après leur défaite contre Clovis à Vouillé, dans les noires forêts d’ormes qui tapissaient jadis les terres limousines. Un autre me décrit par le menu un village reculé au fond de quelque vallée perdue loin de tout et peuplé des descendants des cavaliers arabes que l’armée de Charles Martel repoussa jadis près de Poitiers. Ils auront probablement capturé ici ou là quelques bergères égarées pour se reproduire, ajoute-t-il, l’œil égrillard. Une vénérable grand-mère escortée de sa petite-fille tient absolument à me décrire l’arrivée d’un couple de Pieds-Noirs en provenance directe d’Alger et simplement vêtus d’une chemise et d’un fin pantalon de toile pour monsieur et d’une robe légère pour madame alors que le mois de mai était très pluvieux cette année là. Elle retenait son chapeau de paille de la main pour seprotéger de la pluie, la pauvre ! Une jeune retraitée, entendant la conversation et ne voulant pas être en reste d’anecdote, nous narre la découverte, dans les années soixante dix, d’un jeune Réunionnais caché dans l’abri à bois du garde champêtre. Il s’était enfui de la ferme de la Creuse où il avait été déporté ! Vous voyez que nous avons-nous aussi nos émigrés, conclut le libraire à l’heure de la fermeturedesa boutique. Après avoir achevé le décompte des quelques livres invendus son épouse met unpoint d’honneur à prononcer le mot de la fin :et vous, vous êtes d’ici ?J’avoue que, comme le héros de mon "Chartil", j’ai quitté, il y a longtemps, mes bocages normands et posé ma besace dans sa belle région.Je suis moi aussi un émigré, en quelque sorte !Elle recule alors d’un pas en me fixant avec attention :ben, honnêtement, vous n’en avez pas l’air !

Pour suivre régulièrement ces chroniques, il suffit de s’abonner gratuitement à "news letter"


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Rolandbosquet 674 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte